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Ceylan appelé Mathéna. Mais la doctrine du Mahavihara est la seule qui soit vraiment orthodoxe. Après avoir subsisté fort longtemps, ces « écoles finirent par se réunir dans celle du Mahâvihara, et cet événe<«<ment eut lieu l'an 1714 de la religion (1161 de notre ère) 1.»

L'auteur birman, ou plutôt l'auteur pâli, ne paraît pas connaître ici Bouddhaghosa et le rôle essentiel qu'il joua dans la restitution des écritures canoniques. Ce silence est assez singulier; mais il n'infirme pas le témoignage si précis du Mahâvamsa et de tous les auteurs singhalais 2. D'ailleurs, un peu plus loin, l'auteur birman revient à Bouddhaghosa; mais il change beaucoup son personnage, ainsi qu'on le

verra.

Quant à la conversion du Birman lui-même, voici ce qu'en raconte la légende traduite par MST Bigandet :

«Le vénérable Sona et Outtara, de la race Pounha, arrivèrent dans <«<le district de Saton (une province maritime du Birman actuel), appe«<lée Souvarna bhoûmî (la terre de l'or), au pays de Ramagnia, pour << établir la religion dans ces contrées reculées, qui sont au sud-est de « Mitzima. Le roi qui gouvernait alors Saton se nommait Sirimâçoka. «Avant que les messagers pacifiques du bouddhisme ne parussent dans <«< ces lieux, la ville était désolée par les forfaits des Bilous, qui venaient << de la mer et qui dévoraient tous les enfants nouveau-nés. Les habi«tants furent saisis de terreur, quand ils aperçurent deux étrangers re« vêtus de robes jaunes mettre le pied sur le rivage. Ils les prirent pour des monstres d'une espèce nouvelle qui venaient encore accroître leurs « calamités. Ils coururent aux armes, et ils se préparèrent à attaquer <«<les deux religieux. Mais l'un des religieux, voyant le danger dont ils << étaient menacés, dit à la multitude furieuse, du ton de voix le plus << doux : « Pourquoi nous attaquez-vous? Nous ne sommes pas des Bi«lous, et nous ne venons pas ici avec des intentions hostiles. Sachez

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2

The life or legend of Gaudama, etc., page 389. Il serait difficile d'affirmer ou de nier la parfaite authenticité de ces dates; cependant elles n'ont rien d'invraisemblable. - Voir mon ouvrage Le Bouddha et sa religion, p. 352 et suivantes, sur les travaux de Bouddhaghosa, d'après les traditions et les chroniques singhalaises. — 3 Mst Bigandet donne quelques renseignements sur la partie du Birman qui correspond à la province de Saton et au royaume de Ramagnia. Ce royaume s'étendait des bords de l'Irravady à ceux du Selvin. - Il paraît que, dans les croyances populaires de ces pays, les Bilous sont des espèces de monstres dont on s'effraye beaucoup sans savoir au juste ce qu'ils sont. Il est possible qu'en réalité les Bilous fussent des pirates qui faisaient des descentes sur les côtes et qui y enlevaient tous les enfants dont ils pouvaient s'emparer. (Voir encore une autre histoire de Bilou, life or legend of Gaudama, etc., page 233.)

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« que nous professons une religion qui ne nous permet pas d'attenter à « la vie du plus faible insecte, qui nous défend de voler, de commettre <«< un adultère, et qui nous interdit même de faire usage de liqueurs et « de spiritueux. Notre régime nous prescrit de ne manger que du riz <«< une fois par jour. »>

«En entendant ces explications de la part des deux étrangers, le peuple de Saton se rassura sur-le-champ, et l'on reçut les nouveaux « venus avec un grand respect et avec bienveillance. Bientôt le pouvoir « que possédaient ces deux religieux mit en fuite les Bilous de la mer; «et, depuis lors, les Bilous ne se montrèrent plus. Le roi et le peuple, <«< reconnaissants du service qui leur était rendu et ravis de la doctrine « qui leur était prêchée, acceptèrent avec joie les cinq préceptes, qu'ils promirent d'observer rigoureusement. Un nombre incalculable « d'hommes et de femmes se convertirent, et, parmi les néophytes, beaucoup embrassèrent la vie religieuse1. »

L'auteur birman cite ensuite un trait remarquable de la dévotion du roi Sirimâçoka, qui se procura à grands frais des reliques du Bouddha, et il ajoute :

« De même qu'à Ceylan, la religion ne se propagea d'abord au Bir« man que par tradition orale. Le premier qui sentit le besoin de pos«séder les écritures fut Bouddhaghosa, religieux de Saton et de la race <«<de Pounha. Il s'embarqua donc à Saton, qui était alors sur le bord <«< de la mer, et il fit voile pour Ceylan, où régnait le roi Mahânama, « en l'année 943 du nirvâna (400 ans après Jésus-Christ). Il résida trois <«< ans dans l'île, et il écrivit le Pitakattaya tout entier sur des feuilles « de palmier en caractères birmans, tandis que le Pitakattaya qu'il << trouvait était écrit en langue et en lettres de Ceylan. D'autres disent qu'il traduisit en pâli les écritures qui étaient en langue singhalaise. « Pendant que Bouddhaghosa séjournait dans l'île, il sut si bien conquérir l'affection des habitants, qu'ils lui firent les présents les plus magnifiques quand il quitta le pays. Il rapporta dans le Pays de l'or, au « royaume de Ramagnia, une collection complète des écritures sacrées. » On voit que la tradition birmane, en ce qui regarde Bouddhaghosa, est assez différente de la tradition singhalaise. C'est cette dernière qui paraît la plus sûre. Il est possible que dans l'autre il entre quelque arrière-pensée de rivalité. Les Birmans font de Bouddhaghosa un des leurs, afin de ne pas paraître s'inspirer uniquement de l'orthodoxie de

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The life or legend of Gaudama, etc., page 391. On ne dit pas ici la date précise de la conversion du Birman; mais il semble probable que cette conversion suivit d'assez près celle de Ceylan, du moins selon la légende birmane.

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Ceylan, L'office de Bouddhaghosa est de traduire simplement en langue birmane des livres qui sont composés en langue singhalaise. Le bouddhisme existe dès longtemps au Birman; mais le canon des écritures n'y est pas complet et régulier. Un religieux va le chercher dans l'île où ce trésor est conservé, et il le rapporte à sa patrie, heureuse d'être affermie dans la croyance qu'elle a déjà. Au contraire, selon la tradition singhalaise, Bouddhaghosa vient des savants monastères du Magadha; il rend à Ceylan le service inespéré de remettre en pâli, langue originale de la Triple Corbeille, le Pittakattaya, qui n'était connu que dans l'idiome populaire. Il rend un service plus considerable encore au Birman en le dotant des écritures, que jusque-là le pays n'avait que très-imparfaitement connues.

De la conversion du Birman, l'auteur passe à celle du Pégu, qui est encore plus obscure; et voici les principaux traits de son récit. Dans l'année 419 de l'ère du Pégu (1058 après J. C.), Anorata, 42 ou 44° roi du Pégu, fait la conquête du royaume de Ramagnia et il s'empare de la ville de Saton. En s'en retournant dans ses États, il emporte la collection des écritures que Bouddhaghosa avait rapportée de Ceylan, et il emmène avec lui les arhats les plus instruits. Grâce à leur aide, il établit fermement la religion au Pégu. Une centaine d'années plus tard, quand les trois grandes écoles de Ceylan se furent fondues en une seule, celle du Mahâvihâra, des religieux du Pégu et du Birman retournèrent à Ceylan, à la fois pour y accomplir un saint pèlerinage, et pour y puiser des lumières nouvelles dont avaient grand besoin les pays récemment convertis. Cette mission réussit à merveille; et, depuis ce temps, la foi fut aussi florissante au Pégu qu'elle pouvait l'être au Birman. Ces événements se passaient vers la fin du XII° siècle de notre ère 1.

La légende birmane entre ici dans des détails confus et très-concis sur la succession des rois de Pégu et sur le changement de la capitale, qui, de Tsit-Ken, fut tranférée à Ava, en 1364. Enfin l'auteur termine .son ouvrage en nous apprenant qu'il le composa en l'an 1773 dans la province de Dibayen, pour la plus grande gloire des Trois précieux.

Par l'analyse qui précède et par les extraits que nous avons donnés, on peut voir ce qu'est précisément l'ouvrage qu'a traduit Ms Bigandet, en le tirant tour à tour des deux manuscrits qu'il avait à sa disposi

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The life or legend of Gaudama, etc., p. 393. Il semble que, dans tout ce passage, Ms Bigandet a cessé son système exact de traduction, et qu'il a abrégé les documents qu'il faisait passer en langue anglaise. On peut le regretter en cet endroit particulièrement, ainsi que dans plusieurs autres.

tion. Il est évident que la légende birmane n'a rien d'original par ellemême, et qu'elle a été puisée à deux sources principales, le Lalitavistâra et le Mahâvainsa. Pour le fond, c'est sur ces deux documents qu'elle s'appuie. Elle rappelle, sans les inodifier, les faits les plus essentiels de la vie du Bouddha. Son principal mérite, c'est d'essayer de donner une biographie complète; et, dans une certaine mesure, elle y a réussi mieux qu'aucun des ouvrages bouddhiques jusqu'à présent publiés. On y suit le Tathagata depuis sa naissance jusqu'à sa mort; et, sauf la lacune que j'ai signalée plus haut, le fil ne se rompt pas.

Le goût littéraire, si l'on peut parler de goût dans ces matières, y est relativement moins mauvais que dans bien d'autres élucubrations bouddhistes. La superstition y est tout aussi aveugle; et la foi dans les miracles les plus extravagants et les plus inutiles s'y étale avec la naïveté et l'exubérance ordinaires; mais le style est plus raisonnable, et il ne s'y revêt pas d'ornements par trop faux. Les épisodes que nous avons reproduits sont assez bien présentés; et, sans que le lecteur puisse être jamais ému, il est cependant intéressé, et ne reste pas absolument indifférent. La date de l'ouvrage sert à en expliquer le caractère. Malgré l'immobilité prétendue qu'on attribue bien à tort aux peuples asiatiques, ils font aussi des progrès, moins rapides et surtout moins brillants que les nôtres; mais ces progrès, pour être plus cachés, sont réels néanmoins; et il est clair qu'à la fin du xvme siècle les auteurs birmans n'écrivaient plus comme leurs prédécesseurs au x1° siècle, à l'époque des réformes religieuses, ni surtout comme au vou au vro, à l'époque de la conversion. De là cette ordonnance assez régulière du récit, qui arrive presque au ton de l'histoire; de là cette sorte d'élégance nette et rapide qui atteste une assez grande culture de l'esprit. C'est depuis un demi-siècle tout au plus que le Birman a été mis en contact avec la civilisation occidentale par les Anglais; et cette influence n'avait pu se faire sentir à l'auteur de la légende, qui vivait il y a cent ans. Mais cet auteur avait pu profiter de tout ce qui s'était fait avant lui dans son propre pays; et il semble qu'il n'y a pas manqué.

Ce qui peut surtout nous toucher dans cette légende, c'est l'esprit d'édification dont elle est animée d'un bout à l'autre. Le Bouddha y est présenté à l'imitation des fidèles comme le modèle accompli de toutes les vertus. Il serait hasardeux de soutenir que l'idéal ait été toujours réalisé; mais l'auteur y fait de son mieux, et, fait de son mieux, et, s'il ne réussit pas, il n'a, du moins, épargné aucun effort. Le Bouddha est le grand précepteur

Voir le premier article, Journal des Savants, cahier d'août 1869, page 457.

de la morale telle que ces peuples la comprennent, ou du moins telle que la comprennent, chez ces peuples, les intelligences les plus éclairées. L'idéal chrétien est infiniment plus haut, et je n'ai garde d'établir une comparaison qui ne serait pas assez juste et qui pourrait être blessante; mais l'idéal birman ne laisse pas que d'être assez élevé et assez pur. C'est le même qu'à Ceylan, qu'au Népâl, qu'en Chine et dans les autres pays bouddhistes; mais, ici, l'intention morale est marquée davantage, et elle communique à tout l'ouvrage une solidité et une onction remarquables.

Il va d'ailleurs sans dire qu'en adressant ces éloges à l'ouvrage birman, nous supposons toujours que le traducteur a été parfaitement exact et que M Bigandet n'a pas trop laissé passer l'empreinte européenne dans son travail, qu'elle dénaturerait. Ce scrupule nous est venu quelquefois; mais il nous était impossible de l'éclaircir comme nous l'eussions désiré.

Un partie très-curieuse du livre de M Bigandet, et tout à fait actuelle, ce sont les notes et les appendices qu'il a joints à sa traduction. Vivant au milieu d'un peuple de bouddhistes, en relation avec les religieux et les moines les plus instruits, il a pu apprendre de leur bouche une foule de choses que la science la plus consommée ne saurait révéler à nos érudits. Quelques conversations et des questions bien posées peuvent être extrêmement instructives; et, par la nécessité même de sa situation, Mgr Bigandet a dû provoquer bien des entretiens de cette sorte et même bien des confidences. Ses devoirs de missionnaire apostolique étaient un secours et un stimulant de plus; chargé de convertir à la foi chrétienne les peuples au milieu desquels il passait sa vie, il était obligé de connaître d'abord à fond la foi insuffisante et erronée qu'il avait à remplacer par une meilleure. C'est en commen. tant la légende birmane qu'il nous fait part des explications précieuses qu'il a recueillies. Sans le vouloir, c'est comme le tableau de l'état actuel du bouddhisme au Birman qu'il a composé. Mg Bigandet ne prétendait qu'élucider par ses notes les passages obscurs de l'original, mais il est allé plus loin; et nous essayerons de mettre à profit les renseignements qu'il nous a donnés grâce à la situation toute particulière où il se trouvait.

BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

(La suite à un prochain cahier).

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