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étrusque quelque chose d'âpre et de dur; ce que dénote d'autre part l'intervention fréquente des gutturales et des aspirées. En cela l'étrusque se rapprochait plus du latin archaïque que de celui de l'époque impériale. La tendance à abréger les mots, à supprimer certaines lettres, soit voyelles, soit consonnes, manifeste dans l'écriture, devait se faire également sentir dans le langage, car on comprendrait difficilement, s'il n'en avait pas été ainsi, pourquoi des noms étrangers, tels qu'étaient ceux des héros grecs, n'auraient pas été écrits tout au long; ces noms devant avoir été moins familiers aux Étrusques que leurs prénoms et noms nationaux. On conçoit que les voyelles eussent pu être facilement suppléées à la lecture parce que l'étrusque n'en possédait que quatre (A, 3, 1, V), qu'on ait supprimé celles qui ne portaient pas l'accent et se faisaient conséquemment peu sentir; mais, quand ce sont des consonnes, des ar ticulations entières qui disparaissent, il y a lieu de croire qu'elles ne se trouvaient pas dans le nom sous sa forme étrusque, autrement le lecteur n'aurait su quel son il lui fallait suppléer.

L'analyse des diverses transcriptions de noms grecs nous fait reconnaître que les Étrusques manquaient de certaines articulations de l'idiome hellénique, car ils les rendaient par des à peu près, en ayant recours à une combinaison de lettres dont la prononciation offrait avec ces articulations quelque analogie. Au reste, leur orthographe est loin d'être régulière; elle affecte peu de constance; tantôt ils suppriment les lettres finales, tantôt ils les conservent, et, comme je l'ai déjà noté, ils échangent indifféremment entre elles les lettres de prononciation voisine, et M, et O, 7 et 8, et, etc. Ainsi, ils écrivent fréquemment Aplu (V1A) pour Аplun (1A), lorsqu'ils veulent rendre le nom d'Apollon (Azóλwv), et ils suppriment parfois le t (†) ou le th (O) dans la transcription du nom de Clytemnestre (Kavτavolpa), écrivant Clumsta (A) pour Clutmsta (AY2MV) ou Cluthumustha (AOO).

Ces transcriptions imparfaites des noms grecs peuvent tenir aussi parfois, il est vrai, à ce que les Étrusques adoptent des formes helléniques différentes de celles sous lesquelles ces noms ont été généralement écrits par les auteurs anciens.

Je citerai comme exemples de ces transcriptions, les unes dues à l'imperfection et à la pauvreté de la vocalisation étrusque, les autres résultant de la tendance abréviative qui se manifeste dans l'épigraphie étrusque ou de l'adoption de certaines formes dialectales, les noms suivants: le grec Ayaμéuvav est rendu par Achmemerun (MMA); le (Vomama); surnom d'Alexandre (Åλéŝavdpos), sous lequel Pâris est généralement désigné sur les miroirs, est écrit: Elchsntre (2) ou Elsnire

Αγαμέμνων

(a), et, par abréviation, Echse (323). Le nom d'Achille (Axeus) se présente presque toujours sous la forme Achle (VA), contraction de la forme Achile (IVA), qu'on retrouve sur d'autres monuments étrusques, mais qui, à la configuration des lettres et à leur direction, se reconnaît pour une orthographe adoptée dans les bas temps sous l'influence hellénique. Le nom de Ménélas (Meveλaos) est écrit Menle (nam); celui de Pollux, ou mieux Polydeucès (Ioλudeúnns) est rendu par Pultuke (3V+JV1), qui rappelle le nom de Poltys (116λTUS), l'un des fils de Poseidon, et celui de Pultus (VJV) inscrit sur une urne de Chiusi. Le grec cenotaphion (xevorάiov), d'où nous avons fait cénotaphe et que les anciennes inscriptions latines transcrivent par CEPOTAFIV ou CEPOTAFIVM2, est rendu en étrusque par CEPTAPHE (JDATED)3.

Au reste, ces transcriptions, malgré les variantes qu'elles présentent, sont généralement conformes aux correspondances de l'alphabet étrusque et de l'alphabet grec. Comme le premier de ces alphabets manquait du B et du ▲, il le remplaçait par un P (1) et par un T (†); n'ayant pas le r', il y substituait un . D'autre part, comme le grec et le latin n'offraient pas toutes les nuances d'aspirées et de sifflantes de leur idiome, les Étrusques rendaient celles de ces lettres qu'ils rencontraient en grec ou en latin indifféremment par l'un ou l'autre des sons de même ordre qu'ils possédaient. Il y avait, à cet égard, un arbitraire complet, et voilà comment on voit dans les mêmes mots s rendu tour à tour par l'une ou l'autre des deux lettres qui exprimaient ce son dans l'alphabet étrusque. Le 8 s'échangeait avec le ou même avec le O, lettre qui aura probablement été ajoutée postérieurement, puisqu'elle

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1 Sur les monuments d'une date plus récente et qui accusent l'influence grécolatine, on lit: ALI+SANTRE et ALIXENTROM. Voyez Orelli, Inscr. lat.sel., n° 4514, 4515. — Corpus, n° 2101. Le mot lupu (V1VJ), dont est suivi ce vocable, pris du grec, et qui se lit à la fin d'autres épitaphes, semble en être l'équivalent étrusque. Sa forme complète est vraisemblablement MV1V, qui doit répondre au grec λetavov, restes, reliques, ou à 2016, libation; d'où le verbe , dans l'inscription (n° 2058) :

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qui semble devoir se traduire par

Larthias Alethinas Aruntia Rufia (natus) ætatis Lx parentavit municipium deprecationibus.

72.

ne fait pas partie de l'alphabet grec primitif. Quoique le th (0) se confonde le plus habituellement avec le +, cependant sa prononciation devait être plus douce et légèrement aspirée; ce qui explique comment cette lettre a pu se confondre, au moins dans les derniers temps, avec le D1. La comparaison d'inscriptions étrusques de l'époque la plus basse avec d'autres d'une date plus reculée montre, par exemple, que le nom de Thana (AHAO) devient Dana (DAHA), conséquemment que Thania se prononçait Dania. Or la ressemblance de ce dernier vocable avec le nom de la déesse Diana (Diane) n'échappera à personne, et l'on est alors conduit à supposer que le nom de Thana ou mieux celui de Thania, dont il n'est qu'une forme dans laquelle la voyelle i avait disparu ou ne se prononçait que très-faiblement, nom qui se lit sur une foule d'inscriptions funéraires, était celui d'une déesse du panthéon étrusque répondant à la Diane des Latins. Toutefois on peut opposer à cette assimilation cette circonstance que l'on ne rencontre, sur les miroirs qui nous conservent tant d'appellations de divinités, nulle part la forme Thana ou Thania. La déesse assimilée par les Étrusques à la Héra hellénique et à la Junon romaine s'appelle, non Thana, mais Thalna (AMJAO) ou Talna (ANJA+). Ces deux noms, qui ne diffèrent que par l'insertion de la lettre J, sont-ils identiques? c'est là un point qu'il s'agit d'éclaircir. Remarquons d'abord que cette lettre paraît n'avoir eu chez les Étrusques qu'une prononciation très-faible, car certains rapprochements, que j'ai proposés dans un travail publié il y a plusieurs années, indiquent qu'elle ne constituait, au commencement des mots étrusques, qu'une sorte d'aspiration. Il est d'ailleurs à noter que L des Latins, lorsqu'elle était jointe à une autre consonne, s'est presque toujours changée en i dans l'italien. La valeur identique des terminaisons en isa (A2) et en isla (AJ21) dans les noms patronymiques étrusques dont j'ai parlé dans mon premier article vient encore à l'appui de cette supposition. De tout cela il suit que la forme Thalna devait être trèsvoisine de la forme Thana, et l'on est alors tout naturellement amené à admettre l'identité des deux noms. Je conviens cependant qu'il peut

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Ainsi le nom d'Odvoσeus devient en étrusque +20V (Corp. n° 25317).— Voyez l'inscription étrusque en caractères latins donnée dans Conestabile, Iscriz. etrusch. di Firenze, n° 25, Tav. VI, p. 240. 3 Voyez le mémoire intitulé: Sur le véritable caractère des événements qui portèrent Servius Tullius au trône et sur les éléments dont se composait originairement la population romaine dans les Mémoires de l'Acad. des inscriptions et belles-lettres, 1. XXV, part. II, p. 174, 175, 181, 182 (1866). Cf. plangere et piangere, glacies et ghiaccio, claudere et chiudere, clarus et chiaro, clavis et chiave, flatus et fiato, maculare et macchiare, elc.

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A

sembler singulier que les monuments figurés nous présentant la forme Thalna, les épitaphes ne nous donnent jamais que la forme Thana, qui, si les deux noms sont identiques, doit avoir été moins ancienne, J ayant disparu du mot par suite de sa prononciation quasi muette. La raison en est peut-être que l'orthographe primitive avait persisté dans le nom de la déesse, tandis qu'elle s'était effacée dans le nom propre de femme qu'il avait fourni. Je conviens qu'il y a là une objection sérieuse, et ce n'est pas sans motif que M. A. Fabretti cherche ailleurs l'étymologie du nom de Thalna1.

La nature de semi-voyelle que semble avoir affectée la lettre étrusque, et qui rappelle de l'alphabet sanscrit, peut nous fournir une interprétation vraisemblable du mot flere (39318) ou fleres (M3938), inscrit sur divers monuments étrusques, pouvant avoir le caractère d'exvoto, et qui paraît devoir être rendu par offrande (donum, oblatio). En effet, en ne prenant la lettre que pour une simple aspiration jointe au ph initial, on a dans ce mot le même radical que dans le latin fero, qui donne les dérivés fertum et offertum.

Il n'est pas hors de propos de remarquer que, dans le vieux français aussi bien que dans certains mots anglais, la lettre L donne à la voyelle à laquelle elle se lie le caractère d'une longue ou d'une diphthongue 2, ce qui en rapproche la prononciation de ce qu'elle pouvait être en étrusque. L'adoucissement que nous présente cette liquide chez les Étrusques devait aussi se produire en certains cas pour le T, précisément quand il était uni avec L. J'ai dit plus haut que le nom de Pollux se transcrivait Pultace (1), qui rappelle davantage la forme grecque Hoλudeúnns et sert comme de transition entre celle-ci et la forme latine. Or l'existence de cette dernière ne peut s'expliquer que par l'adoucissement de la prononciation du T dans la forme Pultuce. Les Latins écrivaient originairement par un T ou St initial des noms qui s'écrivirent ensuite simplement par un L dont ce T était suivi 3. C'est ainsi que le mot de Tlabonius devint Labonius. La disparition de ce

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con, etc..

2

M. Fabretti rapproche ce nom du grec καλία et du nom de Θαλλῶ. — ' Ex. en auglais salt, all, call; en français: fol, mol, sol, col, qui se prononçaient fou, mou, sou, ‚3 Cf, stlembus et lembus, stlocus et locus, stlis et lis. Ce nom se retrouve dans le texte étrusque sous la forme Tlapuni(a) (IHV1AJT); il est à rapprocher de la forme Tlapu (V1A). (Voy. Glossar. ital., col. 1825.) Tout donne à penser que, comme l'admet M. A. Fabretti, le nom de Tlesna (AH2Jt) correspond au nom latin de Lænius ou Lænas, ce qui nous fournit une nouvelle preuve de la valeur purement aspirée de T. Ici la lettre S (2) a pour effet d'allonger la voyelle comme

Tinitial ne saurait guère se comprendre que si le T se prononçait d'une manière très-adoucie ou, pour mieux dire, de cette manière dite par les Anglais broad et qui naît du gonflement de la bouche, donnant quelque chose d'analogue à ce que les Latins désignaient précisément par un mot ainsi articulé (stloppus). Une telle valeur explique et justifie la correspondance du nom de Turms (MM9V+) et de celui de Epuns, du mot Talaru ou Talar (V9AJV+, 9AJV†) et du latin Ollarium.

En appliquant plusieurs des données qui viennent d'être exposées à divers noms étrusques, nous arrivons à saisir entre le panthéon des anciens Tyrrhènes et celui des Grecs de décisives analogies.

Sur les monuments figurés de l'Étrurie, Jupiter, le Zeus hellénique, est toujours désigné sous le nom de Tina (AHI+) ou sous celui de Tinia (AIHI), qui n'en diffère que par la présence de cette même lettre |, si fréquemment supprimée dans les noms que contiennent les épitaphes étrusques1. La parenté de ce vocable avec les formes Znvós, Znví, Záv, est manifeste2. Le nom de Charun (HVA) ou Charu (VAV), inscrit sur les monuments figurés de l'Etrurie près d'une divinité infernale dans laquelle on reconnaît Charon (Xápwv), n'est pas une des preuves les moins fortes de l'affinité de la religion des Tyrrhènes et de celle des Hellènes. Ici le même nom nous est fourni par les deux langues; l'on ne peut guère supposer que ce soit encore là une importation due aux artistes grecs; car le personnage que les Étrusques désignent sous le nom de Charun appartient à cette catégorie de divinités léthifères propres à leur théogonie, et dont ils liaient si étroitement l'idée à tout drame funèbre, que leurs artistes les avaient introduits jusque dans des sujets purement grecs d'origine. Quand, dans ces représentations empruntées aux traditions de la Grèce, on voit les noms des dieux étrusques substitués aux noms des dieux grecs, comment supposer que, pour un personnage d'une physionomie d'ailleurs aussi étrusque que ce Charun armé du marteau, on eût adopté une appellation étrangère 3. On sait, au reste, que Charon n'a joué qu'un faible rôle dans la mythologie hellénique; Homère n'en fait nulle mention, et ce sont surtout les poëtes latins qui l'ont mis en scène; ce qui montre que le nocher des enfers était beaucoup plus italique que grec. Il n'est donc point vraisemblable que le nom de

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dans notre ancienne orthographe. On peut également rapprocher le nom de VJ de celui de Lucius. 1 De ce nom dérive le nom propre de Tinius que nous fournissent les inscriptions étrusques et latines. (Voy. Glossar. ital., col. 1815.) Voy. Glossar. ital., col. 1814. 3 On a voulu, il est vrai, voir dans ce personnage le Mantus ou dieu de l'enfer étrusque, mais rien n'établit cette identité. (Voy. Glossar ital., v. Mantua.)

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