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Charun soit exotique; sans doute il n'a pas été porté d'Italie en Grèce, mais il devait remonter à l'époque pélasgique et appartenir conséquemment à la terminologie théologique des Etrusques. Or ce nom se rattache par sa racine (xaípw, réjouir par antiphrase) au vocabulaire indoeuropéen1. Je passe maintenant à d'autres divinités. Je ne parlerai pas du nom de Turms, que je viens de rappeler tout à l'heure, et qui nous ramène au nom d'Hermès, et j'arrive à l'Aphrodite hellénique, la Vénus latine; elle est désignée sur les miroirs par le nom de Turan (HAV). Cette forme rappelle le surnom de Doris (Awpís, Awpitis) que recevait souvent la déesse de la génération et de la beauté et qui donna naissance à une divinité spéciale. L'échange du A et du + est parfaitement régulier aussi bien que la substitution de V à 2, que les Etrusques ne possédaient pas. Enfin, la nasale (M), qui termine ce nom, est une addition tout à fait dans le génie de la langue étrusque, fort riche en noms terminés par an (HA) ou un (HV) 2. Il est à remarquer, en faveur de l'assimilation de Turan et de la Doris grecque, que les monuments étrusques nous offrent plusieurs fois un surnom substitué au nom même de la divinité. Sans parler du nom d'Alexandre (34), sous lequel est généralement désigné Pâris, comme on l'a vu plus haut, rappelons qu'Hercule (308) reçoit parfois celui de CAVANICE, évidemment emprunté au grec Kaλλívixos, Sur un miroir représentant le jugement de Paris (AE), tandis que Junon est désignée par son nom étrusque (OAVNA), les deux autres déesses reçoivent des désignations tirées de surnoms grecs. Vénus s'appelle EVYVOгA, Еvτéρлn, c'est-à-dire celle qui charme, et Minerve, ALYDIA, Aλenτnpía, c'est-à-dire la tatélaire, la se

courable3.

La terminaison an, que nous fournit le nom de Turan se lie, au reste,

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Cette étymologie que propose Servius pourrait n'être pas exacte; j'incline à penser que Charon n'est qu'une forme du nom d'Acheron (Axépwv) (cf. Acheruntia sacra), lequel s'est pris pour désigner tout le monde infernal personnifié par Charon; car celui-ci n'est pas dans la mythologie étrusque simplement le nocher des enfers, c'est le dieu qui donne la mort et conduit au sombre séjour. . Ainsi la déesse Lêto, Antú, est appelée en étrusque Letun (HV+3) (Fabretti, Corp. n° 478); ce qui nous explique la transcription latine Latona. Cette forme tend à faire supposer que la divinité étrusque appelée Mean (HAM) était la Maia grecque et celle qui reçoit le nom de Thesan (AO) la ón grecque, fille de Tethys, figurée précisément près de cette déesse sur un miroir (Corp. n° 2477).— 3 Corp. n° 481. Il est étonnant que M. Fabretti n'ait pas reconnu le sens de ce nom, qu'il rapproche avec M. Braun de Váλrpia. La présence de Thalna aurait dû faire voir que ce sont ici les trois déesses qui se disputent la pomme, et non les Heures, qu'on a représentées.

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au fait de l'insertion de la nasale si fréquente dans les mots étrusques; ce fait reconnu nous mettra sur la voie de nouvelles étymologies.

La comparaison de divers noms montre en effet que les Etrusques, comme le font aujourd'hui les Albanais pour le grec, inséraient souvent, avant ou après certaines, consonnes une nasale qui n'était sans doute que faiblement prononcée, puisqu'ils la supprimaient le plus souvent, et qu'elle disparaît dans la transcription latine1. Ainsi l'ins cription bilingue n° 792 rend le nom étrusque écrit en abrégé Alfni (IM8JA) par Alfius, dans lequel la nasale qui suit F a disparu. De même on trouve le nom de Veti(a) (14) écrit Ventia (Alt), celui de Cocina (A) écrit Cencna (AнOH)2, celui de Carca (ADA) écrit Carena (AHA), etc. Il est donc manifeste que les Étrusques avaient une sorte d'anousvára ou plutôt d'anounâsika, dont le latin était dépourvu. Je dis anounâsika, car la place qu'occupe cette nasale donne à penser que la prononciation en était très-adoucie. En général la lettre n jouait un grand rôle dans la vocalisation étrusque; elle servait à former les dérivés, et paraît même avoir été la marque principale des dérivés. Ainsi on a déjà vu que Suthina (AHIOV) est le dérivé de Suthi (IOV). On trouve pareillement Sentnial (JAIHн2), dérivé de Senti(a) (12); Ritnei (134419), dérivé de Rite (+19) ou Rita (A+19); Pumpna (A1), dérivé de Pumpu V1V1); Puplina (AHIJ1V1), Paplana (AVJ1V1), dérivés de Pupli(a) (1J1V1); Veiznal (JAH$137), dérivé de Veizia (A117), etc.

L'insertion de la nasale une fois constatée, nous pouvons remonter de certains vocables étrusques à leur racine. Ainsi il nous est maintenant possible de rapprocher le substantif Hinthial (JAIOHB) de son prototype grec. L'inscription d'une des peintures de l'hypogée de Chiusi, publiées par M. Noël des Vergers, a achevé de prouver ce qui ressortait déjà d'autres inscriptions où il figure, à savoir que ce mot signifiait ombre, apparence d'un mort, autrement dit âme, puisque, dans cette peinture, l'âme de Patrocle est désignée par l'épigraphe: JAIOVIS

J>VATA1· (Hinthial Patrucles) 5. Or ce mot hinthial est précisément la forme étrusque du grec eidwλor, qui avait le même sens. La considé

du latin Genicius.

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Cette nasale se remarque dans la forme latine de certains mots grecs. Ex. Man lius, Μάλλιος. * M. Fabretti voit, il est vrai, dans cette forme le correspondant 3 M. Fabretti distingue, en général, ces noms qui ne diffèrent que par l'insertion de n, et fait, par exemple, dériver Sentnial de Sentnia et non de Sentia; mais je crois qu'il n'y a là que des formes diverses d'un même nom. — Voy. Corpus, n° 2162, 2169, p. GLXXXIX, - On remarquera que forma se disait à la fois de la beauté et du spectre d'un mort.

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le latin

ration de l'insertion de la nasale nous fait reconnaître l'origine grecque d'un autre nom, c'est celui que porte une des divinités figurées sur un miroir ayant jadis appartenu à la collection Durand (Corp. n° 2475) et décrit par M. J. de Witte comme représentant la toilette d'Hélène. Celle-ci y est désignée par son nom étrusque (↓IZAJAM); Vénus (nvqv+) préside à ses atours. L'une des assistantes tient d'une main un style et rajuste de l'autre le diadème de la fille de Léda. Près d'elle l'on a écrit le nom de vνonvm (Munthuch). Or, si l'on fait attention que les deux autres assistantes s'appellent Hinthial (AIOMIB) et Vipe (FE), on sera conduit à voir là trois figures allégoriques. Vipe est la forme étrusque correspondant au grec H6n, la jeunesse; le rapprochement du mot hinthial et du grec εἴδωλον, εἶδος, nous montre que ce mot signifiait proprement la forme (forma) et par suite la beauté1. Le mot Munthuch devait donc s'appliquer à quelque charme de la belle Hélène, et nous y retrouvons le grec peidos, c'est-à-dire le sourire?. Sur un autre miroir (Corp. n° 2054 ter), ce même nom est donné à une joyeuse bacchante figurée près d'un satyre appelé Chelphun (V) répondant au grec yeλa@av (le rieur, le plaisant). Et le même nom reparaît sur deux miroirs sous les formes Munthu (VOHVM) et Munthch (VOM) inscrit à côté de l'image de Vénus (HA¶V†), la déesse qu'Homère qualifie de Qiλoueid's, qui aime le rire. Sans doute que Munthuch était une déesse de la joie, de la gaieté, et voilà pourquoi, sur le miroir Roulez, elle est représentée à côté d'autres déesses allégoriques.

à F

La prédilection que l'idiome des anciens Tyrrhènes avait pour la nasale expliquera comment ils purent substituer parfois la lettre initial, supposition qui permettrait de saisir l'identité de la déesse étrusque Nortia et de la divinité latine Fortuna ou Fors. Sur un miroir, une divinité du destin, une sorte d'Euménide porte le nom de Nathum, MVOAN; nous avons là l'équivalent du latin Fatum, si l'on admet l'échange des deux lettres. Pareille correspondance a pu s'offrir en passant du dialecte sabin au latin; en effet, dans ce dialecte, le mot Nero ou Ner signifiait homme courageux ; or, l'échange admis, il fournit l'équivalent de vir ou fir".

L'insertion de la lettre s (2) ou de la lettre z (*), déjà signalée cidessus, nous fait assister à un phénomène analogue à celui que nous

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On retrouve de même l'insertion de n, si l'on compare le latin mando au grec μάω, μάσσω. Ce nom ne se rencontre pas, il est vrai, mais il peut avoir existé et il est conforme au génie de l'onomastique hellénique. Voy. K. O. Müller, Etrusker, II, p. 54. Voy. Glossar. ital., col. 1208. 22. Sueton. Tiber. I. J. Lyd. De magistr. I, xx111, IV, XLII.

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Aul. Gell. XIII,

7 Cf. sanscrit virâs.

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présente la nasale. La comparaison des noms nous montre que cette sifflante était tour à tour écrite ou supprimée. Ainsi on trouve le nom de Thana (AHAO) écrit Thasna (AHZAO); Remznei (a) (119), Remznal (JAHM39), sont des dérivés du nom de Remne (39); le nom de Vetnei (a) (13) s'écrit parfois Vetsnei (a) (13+); enfin les formes Capsnas (2AHMAD) ou Capznas (MAH÷1AD), Capznal (JAH÷1AD), appartiennent à la même souche que les noms de Capne (3118), Capnas (2AM1A) et Capni(a) (IH1A). Il est donc à supposer que cette sifflante avait simplement pour effet d'allonger la prononciation de la lettre à laquelle elle était jointe, et elle suppléait peut-être ainsi à l'absence des voyelles longues.

Les Étrusques n'ayant pas le , le rendaient généralement, comme l'a montré la transcription du nom d'Alexandre, par un uni à un 2. Cette observation nous fait reconnaître dans le nom de Malavisch (AJMA), donné sur les miroirs à Hélène, le correspondant d'un thème qui aurait été, en grec, Mada, et où se retrouve la même racine que dans les vocables μαλάσσω, μάλαξις, impliquant l'idée de mollesse, de douceur, d'adoucissement, racine qui entre dans le nom grec de la mauve, padán, lequel rappelle la forme étrusque ici notée. Ainsi que l'a remarqué Panofka, Malacha (Makaya) est une épouse d'Apollon ou d'Héphæstos. Ce nom a sans doute été suggéré par celui de la ville homonyme située dans l'île de Lemnos, la patrie du dieu du feu; c'est probablement le même motif qui a fait imposer pareil nom à une fille de Lemnos dont l'Argonaute Euphémus eut Leucophane2. La présence du nom de Malacha, si voisin de l'étrusque Malavisch, dans une île toute pélasgique et tyrrhénienne, est très-significative; elle vient à l'appui des conclusions qui seront posées plus loin.

L'étude que je viens de faire de la vocalisation étrusque a fourni assez de points de contact entre l'idiome des anciens Tyrrhènes et la famille indo-européenne, notamment le groupe gréco-latin, pour que nous soyons autorisés à chercher dans ces langues l'étymologie de divers mots étrusques dont la signification nous est connue, mais dont la provenance ne ressort pas avec autant de clarté que celle de plusieurs des mots déjà examinés. L'analyse de quelques-uns de ces noms nous donnera un spécimen de ce qu'il est aujourd'hui possible et permis de

tenter.

L'un des vocables étrusques du sens le mieux établi est sans contre

1 On trouve aussi MAHMAO, Corp. n° 1958...

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dit le mot clan (MAJ), rendu en latin par natas, et dont il a été question dans mon premier article. Ce mot est certainement étranger à la source où le grec et le latin ont puisé les termes dont ils faisaient habituellement usage pour rendre les idées de naître, d'engendrer; mais on sera frappé de sa ressemblance, je dirai même de son identité avec le grec xλv signifiant pousse, rejeton; car l'a (A), en étrusque, répond aussi bien que a (V) à w, et il est, de plus, à remarquer que le mot xàúv n'est qu'une variante du mot xλados, qui avait également le sens de rejeton, de branche', et qui se prenait, au figuré, dans l'acception de descendant (cf. l'anglais offspring). Cette étymologie du mot clan est d'autant plus vraisemblable qu'une des inscriptions dont j'ai eu occasion de parler 2 nous montre que le mot en question ne s'employait pas seulement comme l'équivalent d'enfant (fils ou fille), qu'il servait aussi à désigner le descendant d'une famille.

M. Fabretti a vu dans le mot sec, sech, sechis (NEM, VEM, DM), que le lecteur sait, par un de mes précédents articles, avoir signifié fille (filia), le correspondant du grec Téxos, Téxvov, enfant. Cette supposition est très-admissible, car la prononciation adoucie du t (†) étrusque de vait souvent le rapprocher de la sifflante. J'ajouterai à ce que l'antiquaire italien dit, à l'article de son Glossaire qui en traite, qu'il y a lieu de rapprocher le mot sec du latin seculum, dont la forme archaïque est seclum. Ce mot, qui a fini par signifier siècle, autrement dit l'espace de cent ans, avait originairement le sens de génération, d'âge, sens qu'il conserva encore parfois; la liaison des deux idées tenait à ce que, suivant la doctrine étrusque, l'existence de l'univers, ou tout au moins de la natio nalité tyrrhénienne était partagée en un certain nombre d'âges dont la durée respective était fournie par celle de la vie la plus prolongée entre tous les hommes qui constituaient cette génération. Ainsi que l'a fait voir Otf. Müller, le système des siècles (secala) était entièrement d'ori gine étrusque; rien de plus naturel que de supposer qu'il en était de même du mot siècle, dont le racine est manifestement sec, et qui, sous sa forme étrusque, s'écrivait vraisemblablement V

Un mot qui ne doit pas être passé sous silence, parce qu'il est l'un des témoignages les plus solides en faveur de la thèse que je soutiens, est elera (A9313). Il paraît avoir été employé pour distinguer dans les épitaphes le second de deux enfants ayant porté le même prénom3.

Ce sens explique comment le nom de Clan a pu être appliqué à une rivière, le Clanius, aujourd'hui le Clanio ou l'Agno. Corp. n° 2033 bis, p. CLXXVI. Ce sens ressort surtout de l'inscription da Corpus no 2055, où sont énumérés

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