S'ele est dyables par dedenz, Ou guivre, ou fantosme, ou serpenz, Por la biauté qui est defors, Doit touz li mons amer son corps. (P. 23.) Là-dessus, il demande à Meraugis conseil sur cet amour qui occupe tout son cœur, et le dialogue suivant s'établit : Por quoi l'amez? Por sa biauté. Por sa biauté ? Voire, sans plus, Se Diex i a autre bien mis, Je n'en sui liez, ne ne m'en poise. -Onques de vostre los n'issi, Ce dit Gorveinz, ne ne quier fere; Car vous m'avez de cest afere Bien conseillié à mon talent. (P. 24.) La satisfaction de Gorvein ne dure pas longtemps; car, à son Meraugis lui demande conseil sur l'amour que lui aussi a conçu Lidoine : J'aim la dame que vous amez Por son douz non, por sa proesce. Que je l'aim por ce sans plus, voire, Que s'ele estoit brunete ou noire, Ou fauve, que vous en diroie? Já por ce mains ne l'ameroie, tour, pour Mais, au lieu de répondre comme Meraugis, Gorvein lui conseille de ne plus songer à Lidoine; autrement, il romprait l'amitié. L'amitié se rompt en effet; car Meraugis n'entend pas renoncer à son amour; et un combat acharné commence entre les deux, qui ne sont plus amis; il n'aurait cessé que par la défaite ou la mort d'un des champions, si Lidoine, intervenant, ne leur avait commandé d'abandonner une lutte dont elle est l'objet. En vain ils réclament, en vain ils demandent qu'elle les laisse vider la querelle. La damoiselle est inflexible, et les renvoie au jugement de la cour du roi Artus, qui décidera de quel côté est le droit, du côté de l'amoureux de la beauté physique, ou du côté de l'amoureux de la beauté morale. Lidoine leur enjoint de se soumettre au jugement, quel qu'il doive être, et déclare qu'elle aussi s'y soumettra. Meraugis et Gorvein promettent de se présenter devant la cour. La cour est à Cardueil; Noël, terme fixé, est arrivé; Lidoine et les deux chevaliers sont présents. On expose l'affaire; et, quand le roi veut en délibérer avec ses barons, la reine s'élève contre cette intention, et déclare que c'est à elle et à ses dames qu'appartient la décision de la question pendante. Le roi reconnaît la justice de cette prétention; et la reine, assemblant ses dames, leur parle ainsi : Dames, entendez, pensez i; De quoi li jugemenz doit estre. De vous doit tex jugemenz nestre, Que bien puisse estre oïz partout. (P. 40.) Grand est le débat parmi les dames. Damoiselle Avice ne peut comprendre que l'on sépare deux choses aussi étroitement unies que beauté et courtoisie : Dames, ce me desvoie Du jugemenz que ci jugiez, Que chascun l'aime par moitiez. Ne sai, ne nulz ne set coment. Noient; ne noient ne vaudroit La cortoisie, se n'estoit Li biax cors qui tot enlumine. (P. 41.) Mais la comtesse de Cyrencestre rappelle aux juges ce que précisément on leur demande de décider : Lorette au blond chef plaide pour amour et courtoisie contre amour et beauté : Biauté qu'est-ce? ce est uns dis, Que ce qui naist de lui n'est teus, Qu'el soit cortoise en toz bons lieus. Por ce di je et si voil prover Qu'amours doit cortoisie amer; Et s'amours aime ce qu'il doit, Ne d'aussi naturiels amours. (P. 45.) L'avis de Lorette au blond chef prévaut parmi les dames; et le roi proclame le jugement en pleine cour. Gorvein refuse de s'y soumettre; il provoque de nouveau Meraugis, et le combat recommencerait, si le roi n'interposait son autorité. Mais Lidoine s'y soumet; et, en acquiescement, elle accorde un baiser à Meraugis et le droit, pour un an, de la nommer sa dame. Au bout de l'an, elle verra si elle veut continuer à accepter ses services. Mais, en doanant le baiser, Lidoine, qui sait que l'amour se prend par les yeux, cherche à s'y soustraire en ne regardant pas le chevalier. Précaution inutile: L'année fixée Une grant piece s'en garda, Et amours se fiert en la roiz. Qu'est roiz? qu'apel je roiz? les ielz, Et dont nel sai je nommer mielz. (P. 53.) par Lidoine ne s'écoulera pas sans que les périlleuses aventures viennent en couper le cours. Le roi donne un grand festin : Coustume estoit à si haut jour Servoient devant la roïne. (P. 54.) Au plus beau du repas survient un nain difforme, qui, s'adressant au roi, lui demande s'il se rappelle que son neveu Gauvain, le meilleur chevalier du monde, est parti, il y a un an, pour lui conquérir l'épée aux estranges renges, et qu'il devait revenir aujourd'hui même. — Oui, dit le roi, il m'en souvient; et où est Gauvain? -- Je ne le dirai pas, reprend le nain; tout ce que je puis t'apprendre, c'est qu'il serait ici, s'il était en son pouvoir de revenir, et que tu n'as chance de le revoir : ... fors tant seulement S'en ceste court a chevalier, Un seul, qui tant s'osast prisier, Et Or soit oï qui s'eslira D'aler enquerre les noveles Du chevalier as damoiseles. (P. 57.) A cet appel, tous les chevaliers demeurent muets. Seul, Meraugis se déclare prêt à partir, si sa dame lui en donne congé. Non seulement Lidoine le lui permet, mais encore elle veut l'accompagner pour être témoin de sa prouesse; car ་་ Savoir vault mieux que oïr dire. (P. 59.) Les voilà partis. La première rencontre qu'ils font est du nain qui vint rappeler le souvenir de Gauvain; il est dolent, à pied, privé de son cheval. «Qui t'a mis en cet état? - C'est cette vieille qui est là, « à l'entrée de la lande. » Meraugis y court; la vieille dame s'arrête et frappe le chevalier au visage. Meraugis saisit le frein, arrête le cheval et retient la vieille. «Quoi, dit-elle, me frapperiez-vous, dans chevalier? Non, reprit-il, mais vous n'êtes pas cortoise envers moi. Rendez" moi le cheval du nain. Je ne vous le rendrai pas, ou plutôt je ne « vous le rendrai qu'à une condition, c'est que vous irez abattre cet écu, ༥ |