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«que vous voyez pendu à un frêne auprès d'une tente. — Qu'à cela ne <«<tienne,» répond Meraugis; et il va abattre l'écu. Aussitôt s'élèvent dans le pavillon des plaintes et des gémissements capables de fendre le cœur. Emu et surpris, le chevalier demande d'où vient une si grande douleur. Personne ne lui répond directement; et la cause, il ne l'apprend pas et ne l'apprendra que plus tard. La suspension est ingé

nieuse.

Donc Meraugis et Lidoine reprennent leur quête d'aventures. Ils ne sont pas longtemps sans en rencontrer une. Venus à un gué, ils trouvent un chevalier qui défie Meraugis à la joute. Au grand étonnement de Meraugis, le chevalier n'avait

Frain, ne chevestre, n'esperon,

Ne n'avoit verge ne baston,

Fors la lance et l'escu à droit. (P. 72.)

C'était en vertu d'un vou. Du premier choc l'inconnu et son cheval sont renversés tot en un mont, dit le trouvère; mais le vaincu se relève et revient l'épée haute sur Meraugis, qui lui dit : «Remonte à cheval et << combattons. » L'autre refuse.

« Jà à cheval ne t'assaudrai,

Fet Meraugis; honte en auroie. »

A pié descent en mi la voie. (P. 74.)

Le combat à pied n'est pas plus favorable à l'inconnu que le combat à cheval; il se rend à merci, et Meraugis lui impose d'aller aux deux dames du pavillon et de les saluer de sa part. A cette occasion, Meraugis apprend le mystère de l'écu et de la douleur des dames. L'écu appartient à l'Outredouté, chevalier d'une vaillance incomparable, mais d'une méchanceté égale à sa vaillance; il est l'effroi et la désolation du pays. Pourtant il est survenu une trêve à ses méfaits : une dame dont il s'est épris a obtenu de lui qu'il ne sortirait pas du domaine de cette dame et qu'il ne méferait à nul homme, tant qu'il n'aurait pas été l'objet de quelque outrage. C'est dans l'espérance de cet outrage qu'il a appendu son écu en lieu apparent. La vieille qui avait frappé le nain agissait pour lui. Nul ne touche à l'écu, tous l'évitent. Mais Meraugis l'a abattu; le démon va être de nouveau lâché, et c'est pourquoi les dames ont fait si grand deuil.

Ainsi instruit, Meraugis renouvelle à Laquis (c'est le nom de l'in

connu) son message, le chargeant, en outre, de dire à l'Outredouté qu'il ne demande

De lui, se la meslée non;

Por mal et por honir son nom

Giettai son escu à la terre. (P. 87.)

Laquis refuse, et ce n'est que menacé de mort qu'il promet de s'acquitter du message. Non sans raison redoutait-il pareille commission. L'Outredouté ne tarde pas à venir au pavillon, et, voyant l'écu abattu, il en accuse Laquis. En vain Laquis lui raconte comment Meraugis l'a jeté à terre, lui Laquis, et comment il défie l'Outredouté; celui-ci n'écoute rien, provoque au combat Laquis et le renverse.

Et les deux dames pour Laquis
Crient merci; mes c'est noienz,
Qu'onques merci n'entra leenz,
Dedens son cuer, Diex le maudie!
Por ce qu'il vielt que Laquis die
De Meraugis qu'il en a fet,

Le fiert et dit: « Quel part s'en vet?
« Nomme la voie. Sire, à destre. »
Et il le prend devers senestre,
Si lui fet un des ielz voler,
Et dit que c'est por assener
A la voie, qu'il ne l'oublist.
Mult l'a blecié, après lui dist:
Laquis, jà plus ne te ferai

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. Mai devant; là lors t'occirai,

Que j'aurai Meraugis vaincu.

« Et j'auroie mult bel vescu,

«Se je me venge de vous deus.» (P. 71.)

L'Outredouté part à la recherche de Meraugis. Ils se rencontreront. Dès les temps anciens, dans ces récits, la parodie était voisine du sérieux. Meraugis retrouve le nain camus du début, qui lui dit :

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Il le mène devant le roi Amargon avec sa cour assemblée, trente chevaliers à pied et un à cheval tout prêt à jouter; et, présentant Meraugis, il dit: Voici mon champion, qui ne veut ni concorde, ni paix. Le roi l'accepte, et le chevalier à cheval s'apprête à rencontrer Meraugis, qui se voit engagé dans une querelle dont il ne sait rien.

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Meraugis n'ose le démentir, de peur de paraître fuir un combat, et la joute commence entre les deux chevaliers; elle est terrible; pourtant Meraugis est vainqueur, et le vaincu, rendu à merci, lui dit :

Sire, el sont vous à marier.

Meraugis ne comprend pas; il ne comprend pas davantage, quand le roi, s'avançant, lui déclare :

Tenez mon gant, je vous saisis
De l'onour et des damoiselles.
Cent en i a, qui mult sont beles,

Qui sont à vous à marier. (P. 101.)

Voici ce dont il s'agit : Tous les ans, les barons et les vavasseurs du roi envoient, à pareille époque, leurs filles à la cour, et le chevalier qui

est le mieux faisant a l'honneur de les marier; c'est cet honneur que Meraugis vient de conquérir par sa prouesse. Bien, dit le chevalier, mais je ne laisserai celui que j'ai abattu se relever, si le nain n'a ce qu'il demande. On appelle le nain. Lui aussi avait voulu avoir part à ces mariages, et au chevalier, maintenant vaincu, qui mariait, il avait demandé une damoiselle naine, camuse et bossue comme lui, assortie à lui, dit-il, comme le fou et la marotte. Le chevalier le repoussa discourtoisement, et le nain jura de lui trouver un champion qui lui ôterait sa prérogative. Tout s'est accompli comme il l'a voulu, mais il n'a fallu rien moins que la prouesse de Meraugis pour marier le nain et la

naine.

On pourrait oublier que Meraugis est en quête de Gauvain; il ne l'oublie pas cependant. Il cherche l'enchanteur Merlin qui doit le renseigner, et, en le cherchant, il reçoit l'avis de s'adresser à une chapelle et à une croix qu'on lui indique. Il y va, n'y trouve personne et déjà se désespérait, quand Lidoine, car Lidoine ne l'a pas quitté, lui montre sur un des bras de la croix une inscription en lettres d'or, ainsi conçue :

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Ne puis je savoir où il vont,
Ne qu'il deviennent, ne s'il sont
Repairié par aillours, ou non.
Et por ce est la voie sans non.
Or poes choisir, et si iras

Laquele des trois tu voudras. (P. 118.)

Les voies sans merci et sans raison ne plaisent pas à Meraugis; mais le hasard et l'inconnu de la voie sans nom l'attirent, et il s'y engage avec la fidèle Lidoine.

C'est quelque récit de ce genre dont la tradition était venue jusqu'à La Fontaine, lui inspirant sa fable des deux chevaliers, du torrent et de la ville dont l'aventurier devint roi. Nos deux aventuriers, Meraugis et Lidoine, chevauchent dans la voie sans nom; bientôt ils aperçoivent une ville magnifique, dont une foule nombreuse sort en chantant et en dansant. On vient à la rencontre de Meraugis, on le salue, on le regarde avec étonnement, on l'emmène dans la ville, et Meliadus, le sénéchal de la cité, le conduit au bord de la mer, où l'on s'explique:

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Et Meliadus explique que dans l'île sont un chevalier, une dame et des serviteurs; que, s'il triomphe du chevalier, la dame et le château seront siens, mais que, s'il est vaincu, il sera à la merci de la ville. L'attrait d'une bataille décide Meraugis; du bord il voit le chevalier qui

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