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modernes ont été plus heureux, et, sans s'être proposé comme but la transformation des forces physiques, ils l'ont effectuée dans tous les cas. La force vive acquise, la pesanteur d'un corps élevé au-dessus du sol, la chaleur d'une masse échauffée, la présence de l'électricité ou du magnétisme, la coexistence de deux substances susceptibles de s'unir chimiquement, représentent une certaine somme d'énergie, c'est-à-dire la possibilité d'accomplir un certain travail que l'on retrouve exactement dans la somme des effets obtenus et de l'énergie qui subsiste à la suite des transformations effectuées. Toutes ces puissances de nature diverse sont comparables, elles peuvent se mesurer avec une même unité, et l'équivalent total de leur somme reste invariable dans l'univers. Telle est la grande loi aujourd'hui incontestée sur laquelle nous voulons don. ner quelques détails.

La pierre placée au sommet de la pyramide de Chephrem a retenu et conservé, sous forme d'énergie latente, tout le travail dépensé il y a quatre mille ans par les ouvriers qui l'ont mise en place; elle est constamment prête à le rendre sous telle forme qu'on voudra le lui demander, sans en rien retenir ou y rien ajouter. Aucun mécanicien ne serait embarrassé pour lui faire acquérir, en la précipitant sur le sol, la vitesse due à 144 mètres de chute, c'est-à-dire, si cette pierre pèse 100 kilogrammes, une force vive mesurée par 14,400 unités. La pierre, en descendant, peut en élever une autre de même poids à une hauteur égale, ou, si l'on veut, un fardeau mille fois plus grand à une hauteur mille fois moindre; elle peut, soit par l'effet d'un choc, soit par celui du frottement, soit par l'intermédiaire d'une machine à compression, échauffer un liquide, un solide ou un gaz, et transformer son énergie en chaleur; cette chaleur obtenue, rien n'empêche de la faire agir sur une pile thermo-électrique pour donner naissance à un courant; ce courant peut lui-même décomposer de l'eau, séparer l'oxygène de l'hydrogène et transformer de nouveau l'antique travail des ouvriers de Pharaon en énergie potentielle qui deviendra sensible lorsque, après avoir mélangé les deux gaz, on en approchera une allumette enflammée; le courant électrique peut aimanter enfin des tiges de fer et présenter, sous forme de magnétisme, la faculté indestructible de fournir du travail.

Ces vérités sont bien connues, et les écoliers aujourd'hui les étudient chaque jour dans nos lycées. Nul ne peut réclamer l'honneur d'en avoir signalé le curieux enchaînement; mais Robert Mayer est allé plus loin en affirmant, parmi tous ces détours, l'égalité nécessaire et absolue entre les diverses formes d'une même énergie, ou, selon le langage qu'il adopte, entre les diverses manifestations d'une même force.

La pierre détachée de la pyramide peut produire, en tombant, 14,400 kilogrammètres équivalant à 33,8 calories. Eh bien, produisez ces calories, utilisez-les, sans en rien distraire, pour faire marcher une pile thermo-électrique, employez cette pile exclusivement à décomposer de l'eau, brûlez l'hydrogène obtenu, à l'aide de la chaleur produite dilatez un gaz, et, par le moyen d'un piston, faites-lui soulever un poids, vous reproduirez exactement, sans avoir rien perdu, les 14,400 kilogrammètres dépensés il y a quarante siècles.

Prenons un second exemple, inverse, on peut le dire, du précédent. Un ballon gonflé d'hydrogène en contient 1,000 mètres cubes; on le retient à terre, mais il possède la puissance de s'élever en entraînant avec lui une charge inférieure au poids de l'air qu'il déplace, et qu'il portera d'autant plus haut qu'elle sera moins considérable. Il renferme, comme la pierre culminante de la pyramide, la faculté de produire du travail, et le nombre de kilogrammètres qu'on en peut obtenir, la force vive qui peut naître d'un tel moteur, l'énergie calorifique ou électrique qu'il est possible d'en faire sortir, sont des quantités absolument équivalentes, et qui, exprimées par des unités convenables, doivent s'ajuster avec précision et s'exprimer par les mêmes chiffres; mais il y a plus, et comme dans le cas de la pierre, cette énergie potentielle, dont nous pouvons librement disposer, mesure exactement le travail dépensé pendant qu'on gonflait le ballon, et qu'il est aisé d'évaluer. Considérons le ballon complétement vide au moment où il présente l'aspect d'une pièce d'étoffe étendue sur le sol. Si l'hydrogène préparé d'avance était renfermé dans un gazomètre, et sous la pression atmosphérique pour le diriger dans le ballon et l'y accumuler, il faudrait employer une pompe dont la manœuvre produirait la totalité du travail cherché. Ce travail consiste à écarter les surfaces d'étoffe, pour créer dans leur intérieur le volume de 1,000 mètres cubes, qui, par hypothèse, est actuellement réduit à zéro. Mais, pour faire naître ce volume, pour pousser le taffetas dans la direction opposée à celle de la pression atmosphérique qui résiste, il faut vaincre une résistance de 10,000 kilogrammes environ par mètre carré; en sorte que le travail effectué est le produit de 10,000 par le volume engendré exprimé en mètres cubes, c'est-à-dire 10 millions de kilogrammètres capables d'élever un poids de 1,000 kilogrammes à 10,000 mètres de hauteur.

Mais, dira-t-on, il n'en est pas de la sorte; il n'y a, en réalité, ni pompe, ni gazomètre, ni force motrice dépensée; on verse de l'acide sulfurique étendu sur du zinc en grenaille, le gaz se dégage, et, sans l'aide d'aucune force, sans exiger aucun travail, il se rend de lui-même

dans le ballon, le remplit et le gonfle. Il ne faut pas s'arrêter à ces apparences, et la dépense, pour avoir changé de nature, n'en est pas moins égale à l'énergie obtenue; les forces chimiques se substituent ici aux efforts équivalents qu'elles remplacent. Si, pour faire mouvoir la pompe nous avions employé une machine à vapeur, on aurait vu sans difficulté dans le charbon consommé l'équivalent du travail obtenu. L'appareil producteur a brûlé du zinc au lieu de charbon, voilà tout. Ce zinc brûlé, ou oxyde de zinc, s'est combiné avec l'acide sulfurique, second phénomène de même nature, union de deux corps doués d'affinité, qui s'effectue avec dégagement de chaleur et produit de travail; mais l'eau en même temps a été décomposée. C'est un travail dépensé équivalent à celui qu'on produirait en brûlant de l'hydrogène, et qui doit être retranché de la somme des deux autres; la différence équivaut nécessairement aux 10 millions de kilogrammètres dont nous avons parlé.

La force (énergie), pour Robert Mayer, est un être immatériel; les inventions humaines peuvent la diriger, la disperser et la transformer, non la détruire, l'amoindrir ou l'accroître; sa puissance, quoi qu'on fasse, reste entière et immuable, et le temps même ne saurait l'affaiblir; s'il en était autrement, on pourrait, par une conséquence trèsprochaine, créer le mouvement perpétuel, et Mayer regarde cette preuve comme trop bonne et trop solide pour y rien ajouter.

Le livre de Robert Mayer restera, j'ose l'affirmer, l'une des productions les plus considérables de notre époque. J'en ai dit le principe et le but; mais les développements, aussi ingénieux que profonds, égalent, sans contredit, son auteur aux plus illustres inventeurs.

Lorsque du haut d'une montagne une pierre roule dans la vallée, il y a dépense de travail, et ce travail, consommé en frottements et en chocs, devient en dernière analyse de la chaleur; réciproquement l'élévation d'un fardeau équivaut à une dépense de chaleur, et, dans un grand nombre de cas, est produit effectivement par elle.

Robert Mayer compare ingénieusement, et assimile même par des explications très-nettes, ce double phénomène à la propriété des corps de se réchauffer ou de se refroidir quand on les comprime ou les dilate. La chaleur dégagée dans les combinaisons chimiques n'a pas une autre origine, et les molécules de nature différente qui, obéissant à l'affinité, se précipitent les unes vers les autres, peuvent être assimilées à la pierre tombant vers la terre qui l'attire. La force vive qui en résulte se manifeste à nous sous forme de chaleur sensible.

Un système physique, quel qu'il soit, possède une certaine énergie. latente ou sensible, qui diminue ou s'accroît avec le travail accompli ou

consommé, et que, par conséquent, tout travail continu doit épuiser tôt ou tard. Un phénomène bien important dans notre univers semble chaque jour démentir cette doctrine. Le soleil verse perpétuellement non-seulement sur notre globe, mais dans l'espace infini, une quantité immense de chaleur, et dépense sans compensation une énergie correspondante. Comment ne s'épuise-t-il pas, et pourquoi, en un mot, ne semble-t-il pas se refroidir?

La première idée qui se présente est qu'une masse aussi énorme se refroidit trop lentement pour qu'on puisse le constater. Robert Mayer, par des calculs précis, écarte d'abord cette hypothèse.

Les mesures, plus ou moins approchées, de la chaleur solaire annuellement envoyée à la terre, la représentent comme pouvant fondre une couche de glace de 30 mètres de hauteur qui recouvrirait notre globe. Tout angle solide égal à celui sous lequel, du centre du soleil, on aperçoit la terre, reçoit une quantité égale de chaleur, et l'on doit, en conséquence, multiplier ce résultat par 2,300,000,000. Le calcul donne, pour la dépense de chaleur annuellement faite par le soleil, un nombre de calories représenté par 51,671, suivi de dix-sept zéros, et, en supposant le calorique spécifique du soleil égal à celui de l'eau, qui, de toutes les substances terrestres, possède le plus élevé, il résulterait de cette perte un abaissement annuel de 1°,8, et la température du soleil, depuis cinq mille ans, aurait baissé de 9,000 degrés.

La déperdition, d'ailleurs, ne peut se faire uniformément dans la masse interne. C'est par la surface qu'elle la surface qu'elle se produirait, et, depuis bien longtemps, ces chiffres le démontrent, une croûte refroidie aurait recouvert et obscurci l'astre radieux, si l'énergie continuellement perdue n'était, d'une manière ou d'une autre, restituée à sa masse.

Faut-il croire pour cela à un phénomène chimique, à une perpétuelle combustion? Supposons, pour en juger, que le globe entier du soleil soit formé de charbon dont la combustion peut produire 8,000 calories par kilogramme brûlé il suffirait de soixante années pour dissiper par le rayonnement la chaleur due à la combustion. Il est donc inutile de rechercher la source possible de l'oxygène nécessaire à l'entretien d'un tel brasier.

Le soleil tourne sur lui-même comme la terre, et fait sa révolution en vingt-deux jours. On a cherché, sans aucune apparence de raison, à voir dans l'immense force vive qu'il possède la source réparatrice de la chaleur continuellement dissipée; mais cette force vive se conserve sans variation apparente, et, par conséquent, ne se transforme pas. Le calcul, très-aisé à faire, montre d'ailleurs qu'employée à réparer les pertes

calorifiques du soleil, elle serait, après cent quatre-vingt-trois ans, complétement épuisée.

L'hypothèse de Mayer est très-ingénieuse et très-hardie; le monde solaire est immense. Les espaces planétaires contiennent, disait Képler, plus de comètes qu'il n'y a de poissons dans l'océan; un nombre presque indéfini d'astéroïdes invisibles doivent circuler autour du soleil, d'autant plus retardés par la présence de l'éther que leur volume est moins considérable; ils doivent, à la longue, tomber sur lui et s'abîmer dans sa masse. Ce sont les chocs produits par ces chutes continuelles qui entretiennent, suivant Mayer, et renouvellent la chaleur du soleil. La terre, douée d'un pouvoir attractif bien moindre que le soleil, s'empare continuellement d'un nombre considérable d'étoiles filantes. En une seule nuit, à Boston, elles se succédaient comme des flocons de neige, disent les observateurs, qui ont évalué leur nombre à 240,000. Le nombre de celles qui, dans une nuit, passent dans le voisinage de la terre paraît s'élever à des centaines de millions; et ce nombre, il n'en faut pas douter, n'est qu'une fraction insignifiante de la masse des astéroïdes qui appartiennent au système solaire. Si, comme il est impossible de ne pas l'admettre, un éther matériel remplit les espaces célestes, la résistance, insensible pour les planètes, se fera sentir sur des corps de volume comparativement très-petit, et une action prolongée doit, suivant les lois de la mécanique céleste, les faire tomber peu à peu sur le soleil. Robert Mayer va plus loin et demande ingénieusement à la théorie des planètes la vitesse probable de ces astéroïdes au moment où ils choquent le soleil. La vitesse acquise par un corps qui tombe à la surface d'un astre s'accroît, cela est évident, avec la hauteur de chute, et, quand celle-ci est petite, on sait qu'elle est proportionnelle à sa racine carrée. Mais cette loi cesse bientôt d'être applicable, et, pour chaque planète, une certaine limite qui ne peut être dépassée correspond à une hauteur infinie. L'attraction étant, comme on sait, inversement proportionnelle au carré de la distance, cette limite, pour une planète de forme sphérique, est la vitesse qui serait acquise, si, en suivant la loi relative aux petites chutes, la hauteur était égale au rayon de la sphère altirante. Elle est pour le soleil 630,400 mètres par seconde; c'est la plus grande vitesse que puisse produire son attraction. La vitesse minima peut s'évaluer aussi aisément; l'astéroïde, en effet, avant de rencontrer le soleil, décrit une ellipse dont le petit axe, qui diminue sans cesse, devient égal au diamètre du soleil. Le grand axe est au moins égal à ce diamètre, et les formules du mouvement elliptique permettent, en le supposant connu, de calculer la vitesse, dont la valeur minima est 465,

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