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dépenses on réimposa sur les provinces les fonds des ponts et chaus«sées, parce que ces objets, très-considérables pour l'État, formaient <«< un objet médiocre pour les particuliers. » Nous voyons en effet un arrêt du 19 juin 1717 imposer une contribution extraordinaire de 962,000 livres sur les généralités d'élections, pour remplacer les fonds faits aux ponts et chaussées par le trésor royal. Par un arrêt du 9 août 1718 cette imposition fut élevée, pour l'année 1719, à 2,038,384 livres, afin de mettre à la charge commune les travaux exécutés dans la généralité de Paris, « attendu, est-il dit dans le préambule, que toutes « les autres généralités profitent également de la réparation des chemins « de ladite généralité de Paris, qui est le centre du commerce. >>

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On peut voir dans ces lignes l'origine de la coutume qui a prévalu depuis lors de faire contribuer la France entière aux travaux de Paris; mais, si l'on observe que l'imposition dont il s'agit ne s'appliquait qu'aux pays d'élection, on y trouvera aussi une nouvelle preuve de l'inégalité qui existait entre les provinces comme entre les particuliers, puisque les pays d'États, profitant aussi bien que les autres des routes aboutissant à Paris, ne participaient pas aux frais de leur entretien. Quoi qu'il en soit, les dépenses des ponts et chaussées comprirent, à partir de 1719, quatre parties distinctes: 1° le fonds ordinaire prélevé sur les tailles; 2° l'imposition destinée à payer les appointements des ingénieurs; 3° l'imposition générale levée sur les pays d'élection pour suppléer aux anciens fonds du trésor; 4° les impositions spéciales, affectées par arrêt du Conseil à des ouvrages déterminés. La dépense totale et annuelle varie, de l'année 1720 à l'année 1737, entre 2 millions et 3 millions 1/2 de francs. A partir de 1737, les dépenses suivirent une progression toujours croissante, et en 1780 elles surpassaient 7 millions.

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Tels sont, du moins, les chiffres donnés par les comptes des finances, mais on peut lire dans un Mémoire présenté au roi en 1782 par Chaumont de La Millière, intendant général des ponts et chaussées, que, « si la somme affectée annuellement à ce service était considérable, les <«< besoins de l'État n'avaient pas permis depuis longtemps de remettre. « au département des ponts et chaussées la totalité de ces fonds, ce qui « avait produit un arriéré énorme de la part du trésor royal vis-à-vis « dudit département arriéré, qui jetait la comptabilité dans un désordre « tel qu'on ne pouvait se dispenser d'y remédier. » L'arriéré n'était pas en effet de moins de 17 millions de livres, et, pour le masquer, il avait fallu faire figurer dans les comptes de chaque année des recettes et des dépenses fictives. A partir de 1782, la comptabilité paraît avoir été

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plus régulière, mais les dépenses ne diminuaient pas, et, en 1786, elles s'élevaient à 9,631,577 francs.

Malgré cette augmentation progressive, et en ayant égard surtout au détournement de fonds signalé par La Millière, les résultats obtenus semblent hors de proportion avec le chiffre des dépenses. La longueur des routes construites de 1743 à 1780 peut être évaluée à 6,000 kilomètres, et il faut y ajouter les ponts, les ports et les canaux. Mais les dépenses annuelles doivent être augmentées du produit de la corvée, c'est-à-dire, d'après les évaluations les plus modérées, d'une somme de travail représentant environ 12 millions de francs.

Quant aux mesures administratives prises pendant cette période, les plus importantes, après l'application de la corvée, qui mérite d'être étudiée à part, sont relatives aux rapports entre les chemins et les propriétés riveraines. Les arrêts de 1705 et de 1720 furent complétés par une ordonnance du 25 mars 1754; la largeur légale des chemins fut maintenue; tous les chemins, sans exception, durent être conduits dans le plus droit alignement, bordés de fossés de six pieds de largeur et d'arbres plantés à six pieds en dehors des fossés. Il était interdit de construire sur le bord des chemins sans alignement et sans permission; les riverains étaient tenus d'entretenir et de réparer les accotements,

etc. etc.

Cependant la largeur excessive donnée aux grands chemins, par l'arrêt du 3 mai 1720, présentait entre autres inconvénients celui d'enlever à la culture des surfaces considérables de terrain, et cet inconvénient était aggravé par la latitude laissée aux intendants d'opérer eux-mêmes le classement des chemins. Turgot, devenu ministre, entreprit de réformer ces abus, et, par un arrêt en date du 6 février 1776, il fit établir quatre classes de chemins, dont les largeurs furent réduites à 42, 36, 30 et 24 pieds. La largeur de 60 pieds était conservée toutefois, par mesure de sûreté, dans la traversée des forêts, et le roi se réservait la double faculté de réduire la largeur des routes en pays de montagnes ou de l'accroître aux abords des grandes villes, mais seulement jusqu'à la limite extrême de 60 pieds. Il est bon de remarquer à ce sujet que certaines avenues, celle du pont de Neuilly par exemple, large de 152 pieds, venaient d'être établies avec des dimensions exorbitantes, et que les dispositions de l'arrêt du 6 février 1776 s'appliquant exclusivement aux routes à construire, les chemins déjà terminés devaient garder leur ancienne largeur, quelle qu'elle fût. L'article 4 de cet arrêt, mettant fin à l'arbitraire des intendants, portait que chaque route du royaume serait classée en Conseil d'État.

Après la chute de Turgot, l'édit de 1776 tomba en désuétude comme la plupart des réformes dues à ce grand ministre. Une seule disposition lui survécut, au moins en partie, c'est celle qui accordait aux proprié taires dépossédés une indemnité pécuniaire. On peut voir en effet un arrêt du Conseil, en date du 20 juillet 1779, ordonner l'imposition pendant dix ans sur tous les habitants de la généralité de Tours, de 410,000 francs, «pour le payement des indemnités dues aux proprié«taires des bâtiments et terrains pris pour l'alignement des routes. » Mais il n'en était pas de même dans tout le royaume. D'après le mémoire déjà cité de l'intendant général la Millière, en 1782, 11 généralités seulement sur 26 avaient les ressources suffisantes pour payer les indemnités; 6 autres ne possédaient que des ressources insuffisantes; les 9 dernières étaient absolument sans ressources. D'après le même mémoire, on ne payait généralement rien pour les terres labourées, et l'on considérait les propriétaires comme indemnisés par la plus-value des terrains. Aucune enquête préalable n'admettait d'ailleurs les intéressés à faire entendre leurs réclamations avant l'adoption du tracé. Les premières mesures protectrices de ce genre datent de 1783. Un arrêt du 20 avril ordonne aux ingénieurs d'établir sur le terrain le tracé des routes projetées, six mois au moins à l'avance, et les réclamations dans cet intervalle étaient jugées par le Conseil d'État.

L'administration, pendant le xvin° siècle, s'occupa souvent aussi de la plantation des routes. Plusieurs édits royaux, entre autres des lettres patentes de Henri II, en date du 17 janvier 1552, avaient enjoint aux propriétaires riverains de planter sur le bord des chemins différents arbres suivant la nature des terrains; mais, comme la largeur des routes n'était pas légalement fixée, ces plantations avaient envahi leur sol même et formé à leurs abords des fourrés dangereux. Aussi chercha-ton à les faire disparaître. L'article 3 de l'ordonnance des eaux et forêts de 1579 était ainsi conçu : «Tous les bois, épines ou broussailles qui << se trouveront dans l'espace de 60 pieds ès grands chemins servant au « passage des coches, carrosses publics, messagers, voitures de ville et « autres, tant des forêts de Sa Majesté que de celles des ecclésiastiques, << communautés, seigneurs et particuliers, seront essartés et coupés aux frais de Sa Majesté. » L'arrêt du 26 mai 1705, qui fixait la largeur légale des chemins, faisait défense à tous particuliers, pour la sûreté des routes, « de planter à l'avenir des arbres, sinon sur leurs héritages, « et à 3 pieds de distance des fossés. » Mais l'arrêt du 3 mai 1720, en renouvelant cette disposition, prescrit aux riverains de border les routes d'arbres convenablement espacés. On voulait par là remédier aux nom

breux déboisements. Les jeunes arbres à planter devaient être fournis par des pépinières publiques établies aux frais des généralités. L'article 8 de l'arrêt était ainsi conçu: «Faisons défense à toutes personnes de « rompre, couper ou abattre lesdits arbres, à peine, pour la première «fois, de 60 livres d'amende, et, pour la récidive, à la peine du

<< fouet. >>

D'autres ordonnances, rendues en 1772 et 1776, confirmèrent et étendirent ces dispositions, et donnèrent lieu aux belles avenues plantées d'arbres dont plusieurs subsistent encore. Depuis lors on a, pendant de longues années, négligé le soin des plantations. On les a même condamnées comme nuisibles au bon entretien des routes. Mais on est revenu de ces craintes momentanées, et les arbres aujourd'hui sont plantés sur le bord même de la route.

Quelle que puisse être l'importance des diverses mesures administratives prises pendant le xvII° siècle en matière de travaux publics, leur intérêt s'efface devant celui que présente l'histoire de la corvée, à laquelle M. Vigron a consacré presque entièrement l'un des trois volumes de son important ouvrage.

Le travail obligatoire et gratuit imposé à certaines classes de la population était en vigueur dans le monde romain; il subsista, après l'invasion des barbares, comme une redevance des vaincus envers les vainqueurs, en prenant toutefois, selon la coutume qui prévalut dans chaque province, deux caractères très-distincts: personnelle et servile dans certaines régions et ne pouvant être exigée des hommes libres, la corvée ailleurs était inhérente à la glèbe, et les fonds qui en étaient grevés y restaient assujettis, en quelques mains qu'ils vinssent à passer. Dans les premiers temps de la monarchie franque, alors que les grands feudataires ou comtes n'étaient encore que les représentants de la puissance royale, la corvée était appliquée à des ceuvres d'intérêt général, telles que la construction et l'entretien des voies de communication. Les actes publics de Charlemagne et de ses successeurs le prouvent sans contestation. Pour la réparation de l'église, du pont et de la chaussée, est-il dit dans un capitulaire de 793, que tous se conforment à l'ancienne coutume et qu'il ne soit pas présenté d'immunité : « que les ponts pu<«<blics, porte un autre Capitulaire de 819, faits, suivant l'ancienne cou<«<tume, par corvée (per bannum), soient restaurés partout dans la pré«< sente année; si quelqu'un est convoqué à un pont public et n'y est «< pas venu, il versera quatre sols dans le trésor royal.

« Le droit de corvée appartenait aux Francs sur leurs hommes, est-il dit dans des remontrances du parlement de Paris en date du 4 mars 1776,

<< mais les Francs étaient tenus de faire servir leurs hommes mêmes à « divers ouvrages utiles au roi et à l'état, tels que les communications. <«< nécessaires aux officiers royaux pour veiller à l'administration des pro«vinces. Les comtes étaient chargés d'y tenir la main. » Cependant l'application de la corvée aux travaux des grands chemins, depuis le x° siècle jusqu'au règne de Louis XIV, n'est constatée dans aucun document connu. Faut-il en conclure avec M. Vignon que ce mode de travail fût, sous le régime féodal, complétement absorbé au profit des seigneurs, et que la corvée fût une pure redevance seigneuriale? La question semble peu importante; quel que fût le mode d'application, la corvée ne cessa pas d'exister, et, si les seigneurs ne firent travailler leurs vassaux qu'à la construction et à l'entretien des chemins qui conduisaient à leurs châteaux, la tradition n'en demeure pas moins vivante et peut être invoquée plus tard. « Lorsque les serfs, est-il dit dans les remontrances déjà «< citées du parlement de Paris, obtinrent des affranchissements en de<«<venant citoyens libres, mais roturiers, ils demeurèrent corvéables.... Le droit de corvée a fait partie, dans tous les temps, des droits annexes à la couronne. Il y eut d'ailleurs deux sortes de circonstances dans lesquelles les grands chemins furent toujours entretenus à l'aide de la corvée ordonnée par les représentants du pouvoir royal; ce fut pour le passage des troupes en cas de guerre et pour les voyages des rois. La corvée, dans le premier cas, devenait une charge de guerre, et le roi, dans le second, faisait acte de suzeraineté.

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Quoi qu'il en soit, ce fut seulement sous le règne de Louis XIV que la corvée commença à être appliquée d'une manière régulière à l'entretien des grands chemins. Le produit des péages, les fonds donnés par le trésor royal, les impositions levées sur les provinces, suffisaient à peine pour construire et entretenir les principaux ouvrages; il fallait, en outre, un travail presque continuel pour niveler le terrain et le consolider par des empierrements. Les intendants trouvèrent tout naturel de faire faire ce travail à l'aide de la corvée dans les provinces frontières ou récemment conquises. Il s'agissait, pour ainsi dire, de réparer les désastres causés par la guerre, et les charges militaires pouvaient être imposées aux populations. Ainsi fut-il fait en Artois, en Alsace, en Franche-Comté et en Dauphiné. L'application de ce moyen fut étendue à d'autres provinces, sans cependant devenir générale. Colbert, en effet, écrivait, le 13 août 1683, à l'intendant de Soissons : « A l'égard «< du pouvoir que vous demandez de faire travailler aux chemins des « frontières par la corvée, je dois vous dire que le roi ne donne jamais « de pouvoir général de cette qualité; mais, lorsque vous proposez quelque

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