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Catéchèses de saint Grégoire et la relation d'Agathange, donne à la fin 1, comme une addition de copiste, une liste des rois d'Arménie jusqu'à Vram-Schabouh ou Behram-Sapor (392-413), et des patriarches jusqu'à la fin du VIII siècle. Remarquons que, si cette liste est attribuée, dans le manuscrit précité, à un certain Eznig, ce personnage ne peut être évidemment celui de M. Langlois et du P. Soukias Baron, lequel appartient au vi° siècle; et d'ailleurs dans ce manuscrit il n'est question nulle part de cette traduction imaginaire 2.

Au contraire, les preuves abondent de l'antériorité du texte arménien; mais, comme j'aurai à les développer plus tard, en le comparant avec le texte grec, je me bornerai, en attendant, à faire observer que cette antériorité peut être démontrée par les mêmes arguments qui s'appliquent aux Catéchèses de saint Grégoire. Agathange est déjà mentionné comme autorité historique par Zénob Klag, son contemporain; et Moïse de Khoren, qui le cite six fois, rapporte, dans le chapitre LXVII de son livre II3, ses expressions, identiques à celles que nous lisons dans la rédaction qui est actuellement entre nos mains. Depuis lors, tous les historiens, d'âge en âge, sont unanimes pour attester que l'ouvrage d'Agathange est le plus ancien monument de la littérature arménienne, et ne font jamais la moindre allusion à cette seconde édition si gratuitement supposée par M. Langlois. Il y a plus; le texte grec contient une date qui est décisive pour l'antériorité du texte arménien, dont le grec n'est ainsi qu'une version. Il fait correspondre le 26 septembre, jour du martyre de sainte Hripsimê, avec le 26 du mois de Hori énoncé par le texte arménien. Cette coïncidence n'ayant pu arriver, par le mouvement de rotation de l'année vague arménienne, que dans la tétraétéride comprise dans les années 464-467 de notre ère, il en résulte que c'est dans cet intervalle qu'il faut placer la rédaction de la version grecque, un siècle plus tard que la rédaction arménienne. Il n'y a donc plus lieu aux doutes exprimés par les Bollandistes, par Baronius et Tillemont, et nous devons accepter le texte arménien sous la forme où il a cours aujourd'hui, comme l'œuvre véritable du secrétaire de Tiridate.

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Folios 291 r et 292 v°. La méprise de ces deux savants provient de ce que, dans la restauration toute récente du folio où se trouve la fin de la liste en question, l'extrémité des lignes de l'écriture, détruite du côté droit, a été rétablie par une main ignorante, qui a inséré là, en dépit des règles de la grammaire et sans s'inquiéter de la dimension du vide laissé par la déchirure du papier, le nom bq, Eznag, pour 4, «Eznig. Cf. Agathange, ch. 1, p. 28 et ch. 11, p. 32, éd. de Venise, in-18, 1835.

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Contre l'authenticité de la relation d'Agathange, M. Langlois1 met en avant les faits légendaires dont elle est parsemée et ce qu'il appelle « des expressions peu en rapport avec la majesté du roi,» dont l'auteur était le ministre et par ordre duquel il la composa. Mais ces faits merveilleux et surnaturels, ce n'est pas en témoin oculaire qu'il prétend nous les raconter, mais tels qu'il les avait recueillis et sous la forme qu'ils avaient revêtue dans la croyance populaire, à une époque de foi naïve et crédule. Des exemples qui sont bien près de nous prouvent avec quelle promptitude naît la légende, avec quelle facilité et quelle persistance elle s'attache aux grandes figures historiques, au point d'en altérer complétement les traits. Celle de Tiridate se forma par les mêmes procédés, inhérents à la nature même de l'esprit humain, mais en prenant le caractère que comportait le temps où elle vit le jour. Les expressions déplacées que M. Langlois a cru apercevoir dans notre auteur sont celles du récit où celui-ci nous expose sans voiles les tentatives de séduction et ensuite de violence brutale auxquelles se livra Tiridate sur une noble jeune fille, aussi pure que belle, sainte Hripsimê. Si ces actes coupables eurent lieu, et il n'y a aucune raison pour les révoquer en doute, pourquoi Agathange les aurait-il passés sous silence ou dissimulés? En consentant à se faire l'historien de ce règne, il n'avait accepté sans doute cette mission qu'à la condition de dire toute la vérité, et il n'existait aucune raison pour lui de taire une faute dont l'humilité et le repentir du monarque, régénéré par le christianisme, permettaient la divulgation, et qui rendait encore plus éclatant le miracle de sa conversion.

Un auteur qui suit de très-près Agathange par l'âge où il a vécu, et qui s'annonce comme son continuateur, est Faustus de Byzance, qui a été admis dans la Collection de M. Langlois, traduit en français pour la première fois et accompagné d'une Introduction par M. Emin. Je me propose d'examiner le travail de ce savant professeur, lorsque je m'occuperai en particulier de l'historien qui en est l'objet; ici je n'ai point à sortir des considérations générales qui doivent nous aider à juger la méthode de classification de M. Langlois. Le surnom ethnique que portait Faustus, pouquíuq, pouzant, ou poLqwuqwgf, pouzantatsi, «le Byzantin,» dénote le lieu de sa naissance, peut-être la ville où il reçut son éducation. Un historien du v° siècle, Lazare de Ph'arbe, nous apprend en effet qu'il y fit de brillantes et solides études 2. Voilà en quelques mots tout ce que nous savons de sa biographie. Une phrase

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1 Collection, t. I, p. 100. Hist. d'Arménie, Venise, in-12, 1793, p. 14.

de son livre ainsi conçue, «le prince chef de notre famille, de la race « des Saharounis,» a suggéré l'idée à quelques critiques que Faustus descendait de cette illustre famille satrapale, et, par conséquent, qu'il était arménien. Mais ce passage, au jugement du P. Karékin, est corrompu, et il propose une autre leçon, qui semble plausible 1, et qui a obtenu l'assentiment de M. Emin, leçon qui confirme l'opinion généralement reçue et partagée par ces deux savants, sur l'origine grecque de Faustus. Quoi qu'il en soit, il est indubitable que notre auteur a dû passer en Arménie la plus grande partie de sa vie et en connaître parfaitement la langue; mais il ne paraît pas y avoir exercé des fonctions publiques, avoir été attaché par un titre quelconque à la cour des Arsacides, ou avoir fait partie du clergé. On doit croire, au contraire, qu'il s'est tenu éloigné des rangs de la nation, si l'on considère les préventions qu'il nourrit contre elle et qu'il exprime sans aucun ménagement. Aussi, par un retour de sentiments malveillants, tous les écrivains arméniens anciens, à l'exception de Lazare de Ph'arbe, et les modernes, tels que Tchamitch et Indjidji, affectent de montrer le peu de cas qu'ils font de lui, et ne craignent pas de déclarer que son livre, sauf en quelques pages, ne mérite aucune créance. Cette sévérité de jugement tient peut être à une autre cause: Faustus, ayant puisé à des sources d'informations différentes de celles où Moïse de Khoren a eu accès, se trouve quelquefois en contradiction ou en dissidence avec lui; de là cette partialité qui s'est manifestée contre un étranger peu sympathique en faveur d'un écrivain, enfant du pays, tenu en honneur par tous, comme un modèle non-seulement de savoir et de style, mais encore de patriotisme. Aussi la plupart des historiens venus après Faustus, tout en le consultant, tout en s'appropriant même ses expressions, s'abstiennent de prononcer son nom. Ce silence systématique n'atténue en rien sa valeur historique, et l'un de nos plus habiles critiques, Saint-Martin, la proclamait naguère, comme le faisait Lazare de Ph'arbe il y a seize cents ans. Nul en effet n'est mieux instruit que Faustus des mœurs, des coutumes et des croyances populaires des Arméniens de son temps; nul ne connaît mieux le système et le jeu des institutions féodales importées par les Arsacides, les affaires intérieures du royaume, les intrigues et les désordres de la cour d'Arménie, la condition et les vicissitudes des grandes familles satrapales en un mot, il est parfaitement au courant de ce qui s'est passé pendant la période de quarante-huit ans (344-392) dont il s'est fait le narrateur. Mais, s'il se montre à nous très-bien informé,

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en général, il y a cependant un point où nous le prenons en défaut, et d'où nous pouvons induire que les documents officiels lui ont manqué quelquefois. Dans les nombreux combats qu'il a enregistrés, les chiffres des troupes arméniennes et ennemies sont constamment, et comme de parti pris, exagérés, et si invraisemblables, que l'on ne saurait y voir autre chose qu'une création de fantaisie substituée à la réalité, que l'auteur ignorait.

Laquelle des deux langues, grecque ou arménienne, a employée Faustus? C'est là une question qui revient à son sujet, comme nous l'avons vue se présenter pour les écrivains précédents. Le P. Karékin penche pour le grec, et M. Émin, beaucoup plus affirmatif, ne tolère aucune hésitation à cet égard, en se fondant sur la conformité textuelle, dit-il, d'un passage commun à Faustus et à un historien byzantin du vr siècle, Procope 1; il en conclut que Faustus commença par écrire en grec, et que ce texte, lu par Procope, fut le modèle de l'arménien.

M. Emin serait arrivé, j'en suis sûr, à une conclusion toute contraire, s'il eût comparé attentivement ce passage à la fois dans Faustus et dans Procope; s'il avait mis en regard, d'un côté, la narration de l'historien arménien, où aucun détail n'est omis, où les noms de lieux et ceux des personnages qui prennent part à l'action sont soigneusement rapportés, et dont le caractère local est si apparent, et, de l'autre côté, le récit sommaire de l'annaliste grec, où l'on voit si évidemment les ciseaux d'un abréviateur et un travail de seconde main. Procope nous apprend qu'il a emprunté ce récit à un ouvrage qu'il intitule ἡ τῶν Αρμενίων ἱστορία, ou bien ἡ τῶν Αρμενίων συγγραφη, mais dont il ne nomme pas l'auteur. cet ouvrage est-il bien l'original grec que M. Emin attribue à Faustus et dont procède, suivant lui, la rédaction arménienne? Le doute naît d'une particularité qui lui a échappé et que je me permets de lui signaler. Il s'agit d'une conférence accompagnée de circonstances romanesques, sans doute vraie au fond, qui eut lieu entre deux souverains contemporains, Arsace III, roi d'Arménie (386-388), et Sapor II, roi de Perse (310-380). Procope appelle ce dernier, à deux reprises différentes, et de manière à exclure toute idée d'une faute de copiste, Пaxoúpios, Pacorus. Ce nom n'appartenant à aucun des souverains sassanides et ne se rencontrant que dans la liste des Arsacides, leurs prédécesseurs, produit ici un grossier anachronisme, et, par suite, une preuve que l'historien byzantin n'avait pas sous les yeux ce prétendu original grec de

1 De bello Persico, II, 5; Cf. Faustus, IV, 53 et V, 7; M. Langlois, Collection, t. I, p. 268-272 el 285-287.

Faustus, et que la connaissance de l'entretien des deux monarques lui est venue d'ailleurs. S'il a existé une rédaction grecque de l'ouvrage de Faustus connue de Procope, la forme très-abrégée qu'elle affecte dans le passage auquel il est fait allusion ci-dessus implique l'antériorité d'un autre texte, qui ne saurait être que l'arménien. Rien n'empêche non plus d'admettre que cet abrégé a été écrit postérieurement par Faustus lui-même ou par quelque compilateur anonyme.

IV.

Ces vues critiques de M. Émin sur le texte actuel de Faustus, si elles sont contestables, peuvent, du moins, passer pour très-modérées en comparaison des assertions que M. Langlois a hasardées en commentant ceux des historiens qu'il s'est réservés pour sa part de collaboration. Ces deux savants, et avec eux le P. Karékin, ont été entraînés, peut-être à leur insu, par un préjugé, qui, pour être invétéré, n'en est pas mieux fondé, et d'après lequel la transformation que subit le système graphique des Arméniens, au commencement du v° siècle, par l'invention de l'alphabet dit de saint Mesrob, aurait opéré une complète rénovation dans la structure même de leurs monuments littéraires. On sait qu'aupara vant ils n'avaient pas d'alphabet qui leur fût propre et qu'ils transcrivaient leur langue à l'aide de caractères d'emprunt. Trois auteurs de cette époque, Gorioun, Moïse de Khoren, Lazare de Ph'arbe, et deux autres plus récents, Etienne Açogh'ig (x siècle) et Vartan (x11° siècle), nous apprennent que ces caractères étaient d'origine syrienne, perse ou grecque; en sorte qu'il y aurait eu trois modes d'écritures usités à la fois. La difficulté ou même l'impossibilité que l'on a cru entrevoir dans la constitution de ces alphabets étrangers de se prêter à la transcription de la langue arménienne est ce qui a contribué à suggérer l'idée que les ouvrages du ive siècle furent d'abord rédigés en syriaque ou en grec et que ce n'est que plus tard qu'ils furent traduits en arménien. Débrouillons ce qu'il y a de confus et de contradictoire dans les notions qui nous ont été transmises sur ces alphabets primitifs de l'Arménie, et nous parviendrons à déterminer dans quelle limite cette révolution graphique s'accomplit et les véritables changements qui en furent la conséquence. Il faut d'abord remarquer que cette double dénomination de lettres perses et syriennes ne doit, par le fait, être entendue que d'un seul et même alphabet, qui eut pour patron, comme le zend, une des variétés de l'alphabet syrien, et qui prévalut dans les contrées orientales de la Grande Arménie, situées dans le voisinage et

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