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sous la dépendance de la Perse. L'alphabet d'imitation grecque dut, comme les convenances géographiques le font pressentir, être en usage dans les provinces de l'ouest où s'implantèrent les Sélèucides, les Romains et ensuite les Byzantins. Le seul renseignement précis que nous ayons sur ces alphabets archaïques est qu'il en existait un, composé de vingt-deux caractères, abandonné depuis longtemps à cause de son insuffisance, et qui était conservé par un évêque syrien du nom de Daniel, fixé dans la Mésopotamie 1. Le nombre des lettres, qui est absolument le même que celui de l'alphabet syrien, et la nationalité du possesseur, suffisent pour nous révéler le type sur lequel il avait été calqué.

On peut, à la rigueur, se représenter l'alphabet de Daniel ou un alphabet analogue, ainsi que l'alphabet grec, comme ayant été appropriés à représenter tous les effets phoniques de la langue arménienne par un procédé qui s'indiquait de lui-même, la combinaison de deux caractères, pour exprimer les articulations complexes dont cette langue est si richement pourvue, dans la classe des palatales, des dentales sifflantes et des liquides. Mais les inconvénients de cette écriture artificielle et de provenance exotique se firent sentir plus que jamais au milieu de la régénération sociale et du mouvement intellectuel dont l'avénement du christianisme fut le signal. Les vœux de tous, ceux du roi Behram Sapor et du patriarche saint Sahag, réclamaient la création d'un alphabet national. Un concile fut tenu pour cet objet, en 402, dans la ville de Valarsabad, où se réunirent le roi, les satrapes. le patriarche et l'élite du clergé. D'un accord unanime, ils recoururent à un homme d'un immense savoir, à l'esprit ingénieux, et qui fut le promoteur ardent et infatigable de toutes les réformes utiles dont l'Arménie fut alors dotée, saint Mesrob. Son alphabet, résultat de longs et laborieux tâtonnements, parut s'appliquer si bien à la langue arménienne, que l'invention en fut attribuée à une révélation céleste, et qu'il fut adopté par tous (406) avec un empressement qui alla jusqu'à l'enthousiasme. Il a, depuis lors, été consacré depuis lors, été consacré par un usage définitif et genéral sous le nom d'alphabet mesrobien, et s'est perpétué jusqu'à nos jours, avec les modifications apportées, dans le cours des siècles, aux formes des lettres pour les rendre d'un tracé plus facile et plus expéditif.

Les œuvres des auteurs qui avaient précédé saint Mesrob, et que nous

Moïse de Khoren, III, p. 51-54, et Vartan, Abrégé d'Histoire universelle, édit. de Venise, in-8°, 1862, p. 49.

avons déjà passés en revue, saint Grégoire, Zénob, Agathange, Faustus de Byzance et autres, furent aussitôt recopiées avec les nouveaux carac

tères.

En cherchant à se rendre compte des effets que produisit cette transcription, on se demande si elle affecta simplement la forme des lettres ou si elle occasionna des remaniements dans les textes mêmes1. M. Langlois se prononce hautement pour la seconde de ces deux hypothèses. Mais, si l'on se rappelle ce qui a été dit ci-dessus de la constitution présumée de l'ancien alphabet arménien et des combinaisons de caractères suppléant les caractères simples qui lui manquaient, on concevra que cet alphabet put répondre à toutes les exigences, reproduire exactement tous les textes, et que les copistes qui mirent en usage l'invention de saint Mesrob n'eurent à opérer qu'un changement matériel, sans avoir à faire aucune retouche littéraire. Rien donc n'empêche de croire que nous avons aujourd'hui, dans leur intégrité et dans leur état primitif, les monuments vénérables de cette vieille littérature de l'Ar

ménie.

La substitution de formes graphiques nouvelles à des formes anciennes tombées peu à peu en désuétude ou conventionnellement abrogées à un moment donné, est un fait dont les exemples ne sont pas rares dans la vie des nations, et, pour en citer ici deux exemples, le plus ancien et le plus récent, je mentionnerai les caractères carrés des Hébreux remplaçant, après leur captivité à Babylone, leurs caractères primitifs, maintenus par les Samaritains, et l'alphabet russe introduit par Pierre le Grand pour tenir lieu de l'alphabet slavon ou cyrillique, et employés chez les enfants d'Israël, comme dans la Russie de nos jours, à transcrire des textes archaïques.

De la très-longue discussion à laquelle je viens de me livrer sur l'idiome dans lequel ont dû s'exprimer les historiens arméniens de la période qui se termine à la fin du iv° siècle, il résulte que Mar Apas Katina, Léroubna et Bardesane ont écrit indubitablement en syriaque 2, Zénob Klag plutôt en arménien qu'en syriaque, saint Grégoire, Aga

1

Les seuls changements qu'il soit possible de reconnaître aujourd'hui avec certitude dans les textes sont ceux qui portent sur les citations de la Bible; ces citations furent corrigées dans l'ancienne version faite d'après le syriaque, afin de les mettre d'accord avec la traduction exécutée d'après le grec des Septante, au v siècle. Mais ces changements furent motivés plutôt par des scrupules religieux que par des préoccupations littéraires. Le fait est certain pour l'ouvrage que Bardesane composa sur l'histoire d'Arménie, puisqu'il est très-explicitement attesté par Moïse de Khoren, II, 66.

thange et Faustus de Byzance en arménien. Les inductions que fournit le caractère tout particulier de leur diction sont corroborées par la tradition et par tous les témoignages historiques. Rien donc n'est plus arbitraire, comme je le faisais pressentir en commençant, que la classification proposée par M. Langlois, et à laquelle il a subordonné la distribution des matériaux de son premier volume: 1° les historiens qui ont écrit soit en syriaque soit en grec, comme Mar Apas Katina et Bardesane; 2o les historiens grecs qui ont composé, dans leur idiome maternel, des ouvrages dont nous ne connaissons que des traductions en arménien, comme Agathange et Faustus, et 3° les historiens syriens dont les œuvres originales sont également perdues en syriaque et nous ont été conservées seulement en arménien, comme Léroubna d'Édesse et Zénob Klag. On voit que M. Langlois a posé en principe ce qui précisément est en question; mais, lors même que l'on n'accepterait pas les conclusions auxquelles j'ai été amené en contradiction avec lui, il n'en serait pas moins incontestable que le point en litige, subsistant toujours et provoquant des doutes qu'il est impossible de détruire, ne saurait devenir la base d'une méthode absolue de classification.

Ce n'est pas tout cet arrangement a un inconvénient qui, pour être d'un ordre matériel, n'en est pas moins considérable; les fragments de Mar Apas Katina, Léroubna et Bardesane proviennent d'un auteur unique, Moïse de Khoren. Ce dernier historien, appelé à occuper à son tour une place dans le second volume de la Collection, a dû, pour y figurer d'une manière complète, reprendre les pages qui en avaient été détachées et insérées dans le premier volume, et qui, dans ce tome second, dépourvues de notes, sans révision ni améliorations, ne constituent qu'une répétition inutile.

Il ne faut pas croire, d'ailleurs, que les citations dont Moïse a grossi son livre soient textuelles ou directement empruntées; il les entremêle de ses recherches et de ses réflexions personnelles, en sorte qu'il est souvent trèsdifficile, quelquefois même impossible, de démêler ce qui appartient réellement à l'auteur qu'il met à contribution. La vérité de cette observation n'apparaît nulle part avec plus d'évidence que dans le fragment qu'il a pris à Léroubna. Dans les onze chapitres insérés sous ce nom1 dans la Collection de M. Langlois (p. 326-331), c'est à peine s'il y a quelques lignes que l'on puisse rapporter avec certitude à l'écrivain syrien. Il serait même téméraire d'affirmer que ce qui fait le fond de cet extrait, la correspon

1 Cf. Moïse de Khoren, II, 26-36.

dance d'Abgar Oukama avec le Christ, a été tiré du livre de Léroubna, plutôt que de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, qui avait été traduite en arménien, et que Moïse a mise souvent à profit.

Les productions de la muse historique de l'Arménie ne comportent point l'application de cet ingénieux procédé de la critique philologique, qui consiste à rechercher, dans les ouvrages d'une vaste littérature, les lambeaux épars d'une composition qui n'existe plus dans son ensemble, à les rapprocher dans leur ordre primitif et logique, et, au moyen de cette synthèse, à reconstruire l'édifice écroulé et évoquer la pensée qui en a dirigé l'exécution.

Ce travail de restitution, qui nous a valu le recueil des Fragmenta historicorum græcorum de M. Ch. Müller, magnifique gerbe formée des épis tombés du champ inépuisable de la littérature grecque, ne saurait convenir à la littérature arménienne, dont les débuts sont enveloppés d'obscurités et entremêlés d'incertitudes, et dont les souvenirs primitifs n'ont laissé de trace tant soit peu reconnaissable que dans un seul ouvrage, l'Histoire d'Arménie de Moïse de Khoren.

Il aurait été préférable, et, à mon avis, c'était la seule marche à suivre, de reproduire cet ouvrage en entier, à son rang chronologique, d'en respecter le plan et l'ordonnance, sauf à faire ressortir dans un commentaire les éléments d'origine diverse qu'il a admis.

Les considérations générales qui viennent d'être développées nous ont préparés à aborder maintenant l'examen spécial des travaux dont a été l'occasion, pour M. Langlois et pour ses collaborateurs, chacun des historiens de sa Collection, en commençant par ceux qui se rattachent à l'école syrienne ou qui procèdent de l'influence hellénique, et en finissant par ceux qui composent le volume récemment paru et qui appartiennent, soit par leur origine, soit par la nature de leur composition, à la littérature nationale de l'Arménie.

ÉD. DULAURIER.

(La suite à un prochain cahier.)

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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

L'Académie des inscriptions et belles-lettres a tenu, le vendredi 19 novembre 1869, sa séance publique annuelle sous la présidence de M. Adolphe Regnier. La séance s'est ouverte par un discours du président, annonçant, dans l'ordre suivant, les prix décernés et les sujets de prix proposés.

JUGEMENT DES CONCOURS.

Prix ordinaire de l'Académie. Question proposée pour sujet du prix à décer ner en 1869 « Faire connaître l'économie politique de l'Égypte sous les Lagides. » Le prix a été décerné à M. Giacomo Lumbroso. Une mention très-honorable, avec une médaille d'encouragement, a été accordée à M. Félix Robiou, docteur èslettres.

Antiquités de la France. L'Académie a décerné :

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La première médaille à M. Frédéric Godefroy, pour son Dictionnaire critique et historique de l'ancienne langue française, lettre A (manuscrit);

La deuxième médaille à M. Longnon, pour son Livre des vassaux du comté de Champagne et de Brie (1172-1222), in-8°;

La troisième médaille à M. Luzel, pour ses Chants populaires de la basse Bretagne, premier volume, Paris, 1868, in-8°.

:

Des mentions honorables sont accordées : 1° à M. Chéret, pour l'ouvrage intitulé Vézelay, Etude historique, Auxerre, 1863-1868, 3 volumes in-8°; 2° à M. Balasque, pour ses Etudes historiques sur la ville de Bayonne (avec la collaboration de M. Dulaurens), tomes I et II, Bayonne, 1862-1869, in-8°; 3° à M. l'abbé Chevalier (de Romans), pour les ouvrages suivants : 1° second volume des Documents inédits relatifs au Dauphiné, publiés par l'Académie delphinale (comprenant les Cartulaires de l'Eglise et de la ville de Die, le Nécrologe de Saint-Robert de Cornillon, etc.), Grenoble, 1868, in-8°; 2° Cartulaire de l'abbaye de Saint-André-le-Bas, à Vienne, Lyon et Vienne, 1869, in-8°; 3° Cartulaire du prieuré de Saint-Pierre-du-Bourg-lez-Va

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