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litaire, aide de camp de Napoléon, guide la plume de l'historien. On sait toute la bravoure que le jeune roi montra dans cette rencontre, et avec quelle vigueur les Français remportèrent la victoire : victoire qui, d'ailleurs, n'eut pas d'autre effet que l'objet proposé, à savoir, de s'ouvrir le chemin; qui ainsi n'empêcha pas les fugitifs de se rallier, de revenir un peu après sur les derrières de l'armée française, et de s'imaginer, en la suivant, qu'ils la poursuivent! La bataille de Fornoue fut célébrée à Milan, à Venise, à Rome, à Bologne, comme un triomphe des armes italiennes sur les Barbares. Il faut dire que les suites de cette brillante journée paraissaient bien faites pour entretenir les Italiens dans cette croyance et donner le change aux étrangers. Comment expliquer raisonnablement d'une autre sorte la longue inaction du roi à Turin et de ses troupes à Verceil en présence de l'ennemi qui assiégeait Novare; et pour conclusion, ce traité de Verceil entre Charles VIII et Ludovic (10 octobre 1495), qui remettait les choses dans le Nord au point où elles en étaient à l'arrivée de Charles VIII, mais qui, au fond, semblait finir toute cette campagne par une capitulation 1?

Charles VIII avait donc bien peu à s'applaudir de cette fastueuse équipée. Il avait conquis un royaume, mais ce royaume était dès lors presque perdu; il avait remporté une victoire, mais cette victoire était suivie de la reddition de la seule ville qu'on eût prise au duc de Milan. Ludovic, au contraire, n'avait pas tort de se croire triomphant. Sa politique si téméraire semblait en tout justifiée par le succès, et c'est le grand point de la politique italienne. Appeler les Français en Italie pour se faire duc de Milan, c'était vraiment folie; c'était leur donner le goût de l'Italie, et en Italie que pouvaient-ils raisonnablement souhaiter que Milan? Mais, par le fait, l'invasion française n'avait servi qu'à Ludovic. Il triomphait, et les puissances italiennes qui étaient naguère les rivales de Milan, Florence, Rome, Naples, avaient toutes, plus ou moins, dû s'humilier devant le roi de France. Venise même, le centre de cette ligue qui avait fait reculer Charles VIII, Venise tombait sous la menace de Milan; car le traité de Verceil rétablissait, entre Charles VIII et Louis le Maure, une alliance à laquelle Venise était invitée d'accéder, sous peine d'y être contrainte par les forces unies de Milan et de la France 2.

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Voy. sur ce traité, Guichardin, l. II, ch. v, et M. de Cherrier, t. II, p. 305. - Nous ne pouvons plus que renvoyer à M. de Cherrier pour les négociations qui précèdent le traité de Verceil et qui le suivent; car ce traité, pour Charles VIII, n'était pas une fin, mais comme les préliminaires d'une action nouvelle qu'il ne lui fut

A part ce triomphe insolent de la fraude qui, tôt ou tard d'ailleurs, trouve toujours son revers, la France et l'Italie auraient pu également tirer profit de cette expérience. Charles VIII, au moment où il songeait encore à se remettre en campagne, avait succombé, frappé de mort subite, et l'Italie allait voir disparaître du royaume de Naples les derniers vestiges de l'invasion 1. La France avait pu apprendre ce que l'on gagne aux conquêtes lointaines, et l'Italie ce qu'il en coûte à appeler l'étranger. Quel avantage pour le royaume et pour le monde entier, si la France, qui venait d'ailleurs de rendre un si grand prestige à ses armes, s'était bornée à en user pour mieux régler, que ne l'avait fait Charles VIII, ses différends avec ses voisins; si l'Italie, débarrasée de l'invasion étrangère, avait su refaire, pour la paix intérieure et la défense commune, cette ligue devant laquelle Charles VIII s'était retiré! Les choses, par un singulier bienfait de la Providence, étaient ramenées au même point qu'auparavant, avec la leçon du passé pour ne pas retomber dans les mêmes fautes. Mais cette leçon devait être perdue. La France, de propos délibéré et de connivence avec d'autres Italiens, allait se jeter de nouveau et entraîner le monde après elle dans les guerres d'Italie, et l'Italie, plus que jamais déchirée à l'intérieur 2, allait, pour toute la suite des temps jusqu'à notre époque, devenir la proie des étrangers.

V.

J'ai dit plus haut que la guerre d'Italie était le principal sujet de M. de Cherrier dans son histoire de Charles VIII. Cela est si vrai, que, le récit du règne achevé, l'auteur y joint deux appendices pour nous donner la suite de cette guerre sous Louis XII d'abord, puis sous François Ier jusqu'au triomphe de Charles-Quint. Dans le plan où je concevais le remaniement de l'ouvrage pour une édition prochaine, en même temps que la première partie du règne de Charles VIII se réduirait aux

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pas donné d'entreprendre. — 1 Naples, moins les châteaux, était retombée, dès le 7 juillet 1495, au pouvoir de Ferdinand II. Montpensier emmena du château Neuf son artillerie et le gros de la garnison à Salerne le 26 octobre, et les fantassins qu'il y avait laissés encore capitulèrent le 8 décembre; la tour de Saint-Vincent s'était rendue le 27 novembre; le fort de l'OEuf tint jusqu'au 27 février 1496. Presque toutes les villes avaient suivi l'exemple de Naples. Le 20 juillet 1496, Montpensier, renfermé dans Atella par Gonzalve de Cordoue, capitulait, et succombait peu après à l'épidémie qui décimait ses troupes. Restaient Gaëte et Tarente, Monte San Angelo et Venosa, où flottait encore le drapeau français. Gaëte capitula le 19 novembre. - 2 Voir au livre III de Guichardin les factions et les guerres qui la désolent entre l'expédition de Charles VIII et celle de Louis XII.

proportions d'un simple résumé, les appendices s'assimileraient au corps même du récit et le continueraient avec la même ampleur. C'est surtout sous Louis XII, c'est dans le commencement de François Ier que s'accumulent les fautes politiques dont la France supportera si longtemps les fatales conséquences. L'expédition de Charles VIII, après tout, n'avait été qu'une aventure de roman réalisée, une brillante fantaisie exécutée à l'honneur de la furie française, une féerie en action; une marche triomphale à travers l'Italie, introduisant à la conquête du plus séduisant des royaumes, et une retraite disputée au dernier moment fort à propos pour qu'elle se couronnât d'une victoire. Tout cela s'en était allé en fumée; mais l'imagination en restait émue comme d'un beau rêve évanoui. Il n'en fut pas de même des campagnes de Louis XII et de François Ier; et le cœur saigne quand on voit l'oeuvre calculée des politiques aboutissant aux plus sanglants désastres : des rois gâtant comme à plaisir, par de folles prétentions et des combinaisons insensées, la position la plus belle que la France ait jamais pu demander à la conquête; appelant eux-mêmes ceux qui les doivent chasser, et n'ayant détruit les puissances italiennes que pour élever sur leurs ruines et sur les nôtres la puissance de nos plus redoutables ennemis. Je ne veux point m'appesantir sur ce sujet bien plus curieux encore à étudier que l'autre, puisque aussi bien, dans l'ouvrage de M. de Cherrier, il n'est traité qu'en appendice; mais je ne puis cependant point ne pas justifier en peu de mots, puisqu'il y a touché lui-même, les conclusions de cette sorte de réquisitoire contre deux rois beaucoup trop admirés.

Louis XII avait voulu recueillir toute la succession de Charles VIII. Il épousa sa veuve, répudiant sa sœur, pour garder la Bretagne; il reprit tous ses projets sur l'Italie. Il y avait un double intérêt : il avait à faire valoir sur Naples les droits qu'il tenait de Charles VIII, et sur Milan ceux de sa propre maison. Ce fut par là qu'il commença. Il n'avait rien à craindre de ses voisins. Henri VII avait trop d'embarras en Angleterre; Maximilien était tenu en échec par les Suisses; Ferdinand le Catholique faisait passer avant tout l'union de l'Aragon et de la Castille; et en Italie Louis XII avait pour lui la peur qu'inspirait Ludovic à tout son voisinage. Allié de Venise contre ce prince, comme Charles VIII avait été l'allié de Ludovic contre Naples, il prit, perdit par ses fautes, mais reprit une seconde fois Milan; et, cette fois, maître de la personne de Ludovic en même temps que du pays, il se voyait l'arbitre de l'Italie entière. Les puissances du nord de la péninsule l'avaient accueilli ou secondé; au centre, les villes de Toscane avaient besoin de sa protection contre Florence, et Florence même, de son

amitié, pour ne pas retomber sous les Médicis; Alexandre VI à Rome ne demandait qu'à être oublié, et les petits seigneurs de Romagne à être soutenus contre l'ambition de César Borgia; au sud enfin, le roi de Naples, incapable de se défendre seul contre les Français, était prêt à toutes les concessions et se serait fait volontiers le vassal de la France.

Quelle devait être la politique de Louis XII? C'était évidemment d'accepter une telle situation et de la rendre même, par toutes sortes de ménagements, plus acceptable aux autres. Mais elle ne lui suffit I pas. voulut mettre le centre de l'Italie aux mains de ses alliés, les Borgia, il voulut prendre Naples pour lui-même; et quant à Naples, comme il ne pouvait l'avoir sans entrer en lutte avec le roi d'Aragon, maître de la Sicile, il eut l'étrange idée de partager avec lui: résolution aussi insensée en elle-même que révoltante dans son exécution; et ce fut Louis XII qui en porta la peine. Il avait fait entrer avec lui dans ce royaume celui qui bientôt l'en chassa.

En appelant le roi d'Aragon dans le royaume de Naples, il avait livré le sud de l'Italie à l'ennemi; en abandonnant la Romagne à César Borgia, il fit du centre la même chose : car cette force qu'il avait mise aux mains sanglantes et impures des Borgia, allait échoir, après la mort d'Alexandre VI, à Jules II, c'est-à-dire à l'ennemi déclaré des étrangers en Italie, et d'abord de la France. Restait au moins le nord : et là, appuyé de Venise, il pouvait tenir tête à tout adversaire. Mais, par une nouvelle aberration d'esprit plus grande encore que toutes les autres, il se prit à envier à Venise ce qu'il lui avait cédé du Milanais; et, pour l'en dépouiller, il fit alliance avec les ennemis de cette république, c'est-à-dire ses ennemis à lui-même, avec Jules II, avec Maximilien. Il avait appelé l'Espagne dans l'Italie du sud, il appelait l'Autriche dans l'Italie du nord: le résultat ne devait pas être différent. Il fut chassé du nord comme du sud; il avait tourné contre lui les Italiens et les puissances étrangères; et, après de si brillants débuts, suivis de tant de fautes, il voyait la France envahie dans ses frontières : résultat trop ordinaire des guerres de conquête! Il n'avait pas seulement humilié les armes de la France, il avait déshonoré sa politique! Aux traités de Grenade, de Lyon, de Blois, de Cambrai, il avait dépassé en mauvaise foi la diplomatie italienne, et il avait trouvé plus perfide et plus habile que lui. On peut vanter les vertus de Louis XII et son administration intérieure; il fut bon, clément, généreux, économe, le Père du peuple, mais au total un des fléaux de la France: car c'est lui qui a commencé la grandeur de nos rivaux; c'est lui qui les a introduits en Italie et qui a fait de ce

malheureux pays un champ de bataille où la France a dû verser le meilleur de son sang jusqu'à nos jours.

François Ir ne fit pas mieux d'abord, et la seconde partie de son règne, quoique plus sagement inspirée, fut impuissante à réparer le mal que la première avait fait ou laissé faire. François Ir ne veut rien abandonner des prétentions de Louis XII sur l'Italie. Il est jeune, il est ardent, et son coup d'essai dépasse en éclat les plus grands succès de son prédécesseur. Sûr de Venise et de Gênes, en quelques jours il franchit les Alpes, gagne la grande bataille de Marignan et conquiert sur Maximilien Sforza, le client des Suisses et de l'Autriche, Milan et tout le Milanais. Les princes et les républiques de l'Italie, les Médicis rétablis à Florence, et le pape Léon X saluent le vainqueur, acceptant, amis de la veille ou du lendemain, la décision de la victoire; et les puissances étrangères s'y résignent ou recherchent même sa bonne amitié. Les Suisses, qui l'ont combattu pour le compte d'un autre, il est vrai, se lient à lui par un pacte perpétuel. Le roi d'Angleterre, Henri VIII, le jeune Charles, petit-fils de Maximilien et de Ferdinand d'Aragon, dès ce moment en possession des Pays-Bas, avaient à l'avance traité avec lui.

Ce jeune Charles, qui faisait hommage à François Ier pour ses provinces françaises et recherchait son alliance, était pourtant le rival qu'il aurait bien pu deviner. Il était l'héritier naturel de Maximilien et de Ferdinand, ses deux aïeuls : et quels périls, s'il réunissait un jour, avec tous leurs États, leurs possessions et leurs prétentions en Italie? Or ce n'était pas chose tellement fatale qu'une politique habile ne pût l'empêcher. Charles avait un frère, Ferdinand, élevé auprès de son aïeul Ferdinand le Catholique, et qui semblait être l'objet de ses préférences; Ferdinand songeait même à lui laisser sa succession. L'intérêt de François Ier était de favoriser ce dessein, qui avait pour soi d'ailleurs les meilleures raisons politiques. Qu'est-ce que l'Espagne, qui venait de s'ouvrir le Nouveau Monde, gagnait à se jeter avec l'Autriche dans la politique de l'ancien continent? qu'est-ce que l'Autriche devait gagner à s'unir à l'Espagne? François Ier y aurait sans peine déterminé Ferdinand, si, pour l'y fixer, il lui avait offert de ne plus l'inquiéter davantage sur la Navarre et sur Naples. Il n'en fit rien; bientôt même, Ferdinand étant mort, François I, au traité de Noyon, aidait Charles d'Autriche à aller prendre possession de l'Espagne, moyennant un article qui lui donnait une sorte de satisfaction sur Naples. La couronne de Naples était reconnue à Charles, comme les autres, à la condition qu'il épousât la fille de François Ier: elle était au berceau! Voilà donc toute la puissance

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