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D'ailleurs cette cérémonie ne confère aucun caractère spirituel à celui qui en est l'objet; c'est une simple formalité qui en fait un membre de la famille des Parfaits; elle ne l'enchaîne pas pour sa vie entière à son nouvel état, et il garde toujours la liberté de le quitter pour rentrer dans la vie du siècle. Si, plus tard, dégoûté encore une fois du monde, il veut se faire admettre de nouveau dans l'Ordre, il doit repasser par les mêmes cérémonies qui ont accompagné la précédente ordination. Il est assez rare que la vocation dure la vie entière. Les Arhats qui ont eu cette persévérance sont tenus en une très-grande estime; on les considère plus que tous les autres, et, après leur mort, on leur rend des honneurs exceptionnels. On désigne ces nobles et courageux personnages en ajoutant à leur nom: «Purs dès leur enfance1.»

Les très-minutieuses obligations imposées aux moines bouddhistes sont renfermées dans le Pattimokka 2, qui est le manuel de l'Ordre et le vade-mecum de tous les Talapoins; ils doivent l'étudier avec le soin le plus attentif et le plus constant. A certaines fêtes, les moines se réunissent pour en lire des parties ensemble et pour s'assurer que chacun le possède et le pratique consciencieusement. On doit le savoir par cœur, parce que le Pattimokka fixe jusque dans les plus minces détails tous les actes auxquels le Phongui est astreint durant la journée entière, tout le temps qu'il demeure en religion. Les fautes qu'un religieux peut commettre sont au nombre de deux cent vingt-sept. il y en a quelques-unes, comme la fornication, le vol, le meurtre et l'orgueil, qui entraînent de droit l'exclusion. Les autres fautes, qui sont moins grandes, peuvent être expiées par des pénalités qu'on impose aux délinquants, après qu'ils ont fait un aveu public et une confession sincère.

La confession, prescrite par le Bouddha lui-même, est encore en usage parmi les Talapoins, qui paraissent la comprendre fort mal. Dès qu'un religieux se croit coupable, il va trouver son supérieur et lui explique en quoi consiste l'acte qu'il a commis; il se contente de lui dire d'une manière toute générale qu'il a péché3. Le supérieur, aussi facile que le pénitent, lui recommande de ne plus pécher à l'avenir; et voilà la confession faite, entraînant fort rarement de légères pénalités, qui se réduisent à des promenades en plein soleil, à des corvées fatigantes et

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1 Le Bouddha et sa religion, p. 50g et 510. Pour le Paltimokka, voir les articles sur la collection Grimblot, Journal des Savants, cahier de janvier 1866, p. 48. Ms Bigandet semble un peu étonné de retrouver la confession parmi les bouddhistes. Cette ressemblance est due à la même cause que celles dont on a parlé plus haut.

à des lectures qu'on doit faire dans certaines conditions. « Ainsi, dit « MS Bigandet, une institution si bien conçue pour restreindre les pas«sions et pour empêcher l'homme de violer les commandements, ou << tout au moins pour prévenir la dangereuse habitude de les violer, <«<est maintenant réduite, faute de ferveur et d'énergie, à n'être plus «< qu'une cérémonie inutile et ridicule et une ombre de ce qui avait été «jadis prescrit par le Vinaya1. »

Il est bien vrai que, dans l'origine, la confession telle que le Bouddha l'avait établie était fort sérieuse, et M Bigandet fait bien de le remarquer 2. La confession a une base réelle dans la nature de l'homme, parce que l'aveu du crime est un soulagement pour la conscience du coupable. Mais c'est un problème fort délicat à résoudre que de resserrer la confession dans de justes limites et de lui conserver son efficacité. Il semble que, pour les Talapoins, elle est à peu près complétement vaine, et que le sens de la tradition s'est perdu en même temps que le sens véritable de l'acte qu'ils font. Il est possible aussi que les puérilités du Pattimokka aient contribué à ôter à cette institution toute sa force; et, quand on s'accuse à tout propos et plusieurs fois par jour, comme les Talapoins, on finit par ne plus attacher la moindre importance à un acte de contrition qui, autrement appliqué, aurait pu rester toujours redoutable et bienfaisant.

que

Le vœu de chasteté est mieux observé par les Talapoins que ne paraît l'être le vœu de pauvreté, d'après les détails que donne M Bigandet. Il est vrai que ce vœu est le plus important de tous, et c'est celui le Bouddha s'est efforcé de garantir du mieux qu'il a pu. «Il connais<< sait trop bien la faiblesse humaine, dit Mg Bigandet, et la violence << de cette terrible passion, pour ne pas savoir que la meilleure tactique dans cette guerre de l'esprit contre la chair, c'est de manoeuvrer à distance de l'ennemi et de ne pas aller l'affronter audacieusement 3. »

Ainsi les Talapoins ne doivent jamais se trouver sous le même toit ou dans la même voiture que des femmes. Il leur est défendu de recevoir quoi que ce puisse être de leurs mains, de toucher leurs vêtements, ou même de faire une caresse à une petite fille. Si des femmes viennent dans les monastères pour apporter des offrandes ou écouter la récita

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The life or legend of Gaudama, etc. p. 512. Pour la confession bouddhique, voir Le Bouddha et sa religion, p. 91 et suiv. La confession d'Adjataçatrou est remarquable à bien des égards; mais il semble résulter des circonstances au milieu desquelles elle se produit que le roi coupable se confessait à des brahmanes, avant d'implorer l'assistance plus salutaire du Bouddha. The life or The life or legend of Gaudama, etc. p. 515.

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sans

tion des textes saints, les Phonguis doivent toujours se tenir à une grande distance et entourés de leurs disciples. Dans les grandes fêtes, quand la foule du peuple, hommes et femmes, afflue aux temples ou à la demeure des religieux (kiaongs), les Phonguis se rangent sur une seule ligne, leurs éventails devant la figure, pour épargner à leurs yeux la vue d'objets dangereux et provoquants. On prend encore bien plus de précautions quand il s'agit de s'entretenir avec des nonnes. Afin de mieux assurer la loi de la continence, les Phonguis ne sortent jamais du monastère, ou n'entrent jamais dans une maison particulière, être escortés de plusieurs de leurs novices. L'opinion publique est inflexible et inexorable sur le chapitre du célibat, qui est regardé comme la première condition que doit remplir tout Arhat. Le peuple ne pourrait jamais croire qu'on est prêtre ou ministre de la religion, si l'on n'était point dans cet état. Toute infraction à cette obligation capitale est immédiatement châtiée. Les gens de la localité s'assemblent aussitôt au logement (kiaong) du coupable, où parfois on l'a poursuivi à coups de pierres; on le dépouille de ses habits, et plus d'une fois on va même jusqu'à le mettre à mort avec l'autorisation du gouvernement1. On le traite tout au moins en proscrit, et la femme qu'il a séduite partage sa confusion et son infamie. « Cette sévérité de la part d'un peuple dont <«<les mœurs sont si relâchées, dit Ms Bigandet, mérite l'attention des << observateurs de la nature humaine. D'où vient, chez des hommes «< corrompus et à moitié civilisés, cette estime profonde, ce respect << sans bornes pour cette haute vertu? Comment la regardent-ils comme « essentielle à ceux qui visent à être parfaits? Grâce en partie à cette «pression de l'opinion populaire, grâce en partie aussi à d'autres motifs, la règle du célibat, extérieurement du moins, est scrupuleusement <«< tenue, et les infractions sont fort peu communes. Comme cette règle « n'enchaîne le Phongui que pendant qu'il reste en religion, celui qui ne se sent pas de force à dompter sa passion, préfère toujours quitter « sa communauté; il retourne à la vie civile, où il peut, par une alliance « légitime, mettre fin à ses luttes intérieures, plutôt que de s'exposer à « une faute qui pourrait avoir pour lui de telles suites. >>

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En général, les Talapoins sont très-sobres; ils sont demeurés parfaitement fidèles aux prescriptions qui leur défendent toute boisson fermentée et tout repas après midi. Ils mangent une ou deux fois avant cette heure, qu'ils ne franchissent jamais, et ils mangent toujours en commun. Les aliments devraient être simplement du riz et des végétaux,

The life or legend of Gaudama, etc. p. 516.

mais l'usage permet du poisson et même de la viande. Le Talapoin devrait se contenter aussi de ce qu'il reçoit dans son Patta; mais la piété des dévots, et surtout des dévotes, fournit toujours le couvent de ce que la cuisine du pays, fort peu habile du reste, peut préparer de meilleur et de plus friand. On ajoute au riz réglementaire des boulettes de viande, des fruits de la saison et des confitures; en un mot, on soigne beaucoup l'ordinaire des reclus; mais cependant les Phonguis ne sont ni intempérants ni gourmets1.

Il est vrai que la quantité de leurs aliments est fixée, de même que l'est aussi la manière dont ils doivent les prendre. Chaque bouchée doit être assez petite; on ne doit pas se hâter d'en saisir une seconde avant d'avoir avalé complétement la première. Si l'on se hâtait trop, on paraîtrait prendre plaisir à manger au lieu de satisfaire simplement le besoin. Il est curieux de voir un Phongui procéder à son frugal repas; on croirait qu'il obéit malgré lui à la plus dure des nécessités. Il y a cependant quelque adoucissement à la règle qui prescrit de ne pas manger après le milieu du jour et jusqu'au lendemain matin. On ne mange pas, il est vrai; mais on se permet des boissons, comme l'eau de coco, le jus de canne à sucre et autres liquides rafraîchissants, sans compter la perpétuelle mastication du bétel, dont les Talapoins ont constamment la bouche pleine 2.

L'humilité des Talapoins n'est pas moins sincère que leur chasteté

The life or legend of Gaudama, etc. p. 517. La Loi est certainement la première cause de cette sobriété, que tout le monde ne pratique pas autour des Talapoins; mais il faut tenir compte aussi du climat, qui force sans doute les habitants à une tempérance qu'on ne violerait pas sans danger. Ibid. p. 517 et 518. Voici une note curieuse de M" Bigandet sur l'usage de la viande que se permettent les Talapoins, bien que cette alimentation semble peu d'accord avec la loi qui les régit. « Les Phonguis professent la plus tendre compassion pour la vie des animaux, et ils ne voudraient pour rien au monde être suspectés d'avoir participé au meurtre de l'animal dont la chair les nourrit. J'ai souvent pris plaisir à les interroger quand je les voyais manger de la viande bouillie, en leur remontrant que cette pratique n'était pas tout à fait conforme à leurs théories. Ils me répondaient toujours qu'ils n'avaient pas tué l'animal dont ils mangeaient la chair, et qu'ils avaient simplement accepté un morceau de viande sans vie; que l'homme qui avait tué l'animal était certainement coupable et qu'il expierait cette faute, mais qu'il était seul responsable de ce délit, qui ne concernait que lui. A cette réponse par trop élastique, j'objectais en riant que, s'il n'y avait personne pour manger la chair, il n'y aurait non plus personne pour immoler l'animal, et que, dans mon opinion, si l'un était coupable, l'autre partageait bien aussi la faute. A cet argument, les interlocuteurs se mettaient toujours à rire; et, se sentant sur un terrain peu solide, ils changeaient adroitement de conversation. Sans doute les Phonguis croient qu'il est mal de tuer les animaux; mais aussi ils avouent qu'il est bien difficile de vivre en ce monde sans commettre ce délit. »

et leur tempérance. Elle se laisse voir dans tout leur maintien, leur conduite et leur conversation; ils veillent sans cesse à ne montrer sur leur physionomie, toujours sereine, aucune de leurs émotions; ils ne parlent jamais ni précipitamment ni à haute voix; tous les sujets légers d'entretien leur sont interdits soit entre eux, soit avec les laïques. Ils marchent dans les rues d'un pas calme, en fixant toujours les regards à terre, à vingt ou trente pieds devant eux. Toujours absorbés dans la méditation et l'étude du dedans, ils n'aperçoivent et ne saluent personne durant leurs promenades; ils ne remarquent point les hommages dont on les entoure; ils ne témoignent pas la moindre reconnaissance pour les offrandes qu'on leur fait. Les objets les plus inattendus et les plus curieux les laissent froids. Une seule chose semble leur être à cœur : la plus rigoureuse application de toutes les observances de la loi1.

Les occupations des Phonguis, outre celles que prescrit la règle professionnelle, sont peu nombreuses. Parfois on les appelle auprès des malades, non pour apporter aucun secours spirituel, mais pour chasser par leur présence les esprits malins qui tourmentent le patient. Mais voici une grande difficulté d'étiquette, quand le malade est placé à un étage au-dessus du rez-de-chaussée. Il serait inconvenant qu'un Talapoin eût les pieds de quelqu'un au-dessus de sa tête, et surtout des pieds de femme. Comment faire? Le Phongui a un expédient tout prêt: on lui prépare une planche dont un bout pose dans la rue, et dont l'autre extrémité s'appuie sur la fenêtre de l'étage où le saint homme est attendu. Il monte alors légèrement sur la planche, et il évite le danger que sa dignité pourrait courir, en s'exposant peut-être au danger plus réel d'une lourde chute. «J'avoue, dit Ms Bigandet, que je me suis beau« coup amusé la première fois que j'ai vu, à Pinang, un Phongui sia<«< mois faire cet exercice. La petite foule qui le regardait était animée « de sentiments divers : les uns riaient; la plupart restaient silencieux; <«< mais leur contenance à tous indiquait assez que l'on admirait beau« coup la conscience délicate du religieux qui prenait cette précaution2. » Un service très-grand et beaucoup plus réel que rendent les Talapoins, c'est de tenir les écoles où tous les enfants sont instruits gratuitement. On leur apprend à lire, à écrire et à compter; et, comme les Talapoins sont nombreux, il n'y a guère d'hommes au Birman qui restent dans l'ignorance. Malheureusement la rigueur de la règle interdit aux prêtres de recevoir des filles; les femmes ne reçoivent donc pas la moindre instruction, et l'on n'en trouverait pas une sur mille qui connût une

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The life or legend of Gaudama, page 519. - Ibid. p. 521.

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