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mettre en question la valeur morale du mandat de chaque député. Mais l'opposition elle-mème, quand elle trouvait plus de chances de majorité de ce côté, ne préférait-elle pas la candidature des fonctionnaires? Ne soutenait-elle pas des candidatures de fonctionnaires contre des candidatures indépendantes? Et, quand plusieurs candidats conservateurs se trouvaient en présence, n'allait-elle pas, croyant avoir meilleur marché d'un candidat fonctionnaire, jusqu'à lui donner ses voix, bien qu'elle ne partageât pas ses opinions? En cela était-elle coupable? Pas plus que les conservateurs. Chaque parti restait dans son droit, et pratiquait sincèrement le gouvernement représentatif.

On prétendait, par la proposition, donner force et dignité à l'administration. Serait-ce, par exemple, relever les fonctions du parquet que d'exclure ses membres de la Chambre, tandis qu'on en maintiendrait l'accès à tous les membres du barreau? Non; ce n'étaient pas là les motifs vrais et sérieux qu'on avait eus en proposant la mesure ce qu'on voulait, c'était que la Chambre, arrivée au terme de sa carrière, prononcât sur ellemême un véritable arrêt de condamnation; qu'elle déclarât avoir manqué, à un certain degré, de moralité et d'indépendance. Tel était le sens vrai de la proposition: discréditer l'instrument pour frapper l'ouvrage de la même réprobation; forcer la Chambre à un suicide.

Lorsqu'une loi électorale était à faire, au sortir d'une révolution, on avait pu, sans blesser personne, sans atteindre aucune existence, imposer des conditions nouvelles d'éligibilité, prononcer des exceptions, des incompatibilités. C'est ce qui s'était vu en 1831. Même qu'à l'heure présente, le pouvoir changeant de main, une majorité nouvelle demandåt de nouvelles garanties pour affaiblir les défenseurs d'une politique vaincue, c'est ce qui se pourrait concevoir encore. Mais qu'on demandât à une Chambre de prononcer qu'elle a en elle un vice général, que sa moralité, sa dignité, son indépendance, ne sont pas entières, c'est ce qui n'était pas possible. La discussion des ar

ticles d'une loi semblable serait une grave insulte à chacune des catégories retranchées.

Quant à l'amendement spécial concerté entre MM. Thiers et Odilon Barrot, concernant les fonctionnaires attachés à la liste civile, qui accusait M. Thiers d'hostilité envers la royauté? Qu'avait-il besoin, dans une justification inutile, de rappeler ses services pour en accabler des royalistes nouveaux? Les événements de 1830, les avait-il accomplis tout seul? Avait-il, seul, placé la couronne sur la tête du Roi? Seul, avait-il défendu la royauté contre les factions? Seul, avait-il contribué au vote de la loi de régence? D'autres que lui pouvaient se dire royalistes, dévoués par leurs opinions et par leurs actes à la monarchie de Juillet. On n'accusait donc pas M. Thiers de sentiments hostiles envers la couronne; mais on lui demandait la permission de penser qu'être attaché à la personne royale ne doit pas être un titre de réprobation, une raison de suspicion aux yeux d'un pays où les conditions du gouvernement représentatif sont fidè lement accomplies. Une opinion semblable, mise en pratique, loin de fortifier la royauté et le parlement, n'aurait pour effet inévitable et immédiat que celui d'ébranler l'établissement de Juillet, en altérant ce qui est la première condition de l'autorité, le respect. (17 mars.)

M. Deslongrais ne voyait dans la première partie de la proposition que cette idée fondamentale si simple et si salutaire, que la députation ne doit pas être une carrière d'ambition personnelle: la mesure était donc dans l'intérêt de l'autorité et de la dignité parlementaire.

M. Hébert, rapporteur de la commission, ajouta que si l'on ne se préoccupait exclusivement que de maintenir la bonne composition de la Chambre et de lui conserver une attitude indépendante et respectable, la commission était parfaitement d'accord avec les auteurs de la proposition; elle différait seulement sur les moyens. Selon elle, la mesure ne remédierait point au mal, si mal il y avait; elle entraverait le bien, et substituerait à la libre volonté des électeurs, à leur jugement

éclairé, des règles arbitraires et partiales; à la place du droit commun s'établirait un régime de catégories et d'exclusion. Des moyens constitutionnels, efficaces, il y en avait. Et d'abord la loi du 12 septembre 1830, qui met devant la promotion ou l'avancement la perspective d'une réélection immédiate, loi dont l'effet avait été tel que, en quatorze ans et quatre mois, sur plus de 1800 députés qui s'étaient succédé au sein du parlement, il n'y avait eu que 51 promotions de députés non fonctionnaires et 161 avancements pour des députés entrés dans la Chambre revêtus de fonctions publiques. Il y avait encore la loi de 1831, qui a prononcé des incompatibités nombreuses, par exemple, l'inéligibilité des procureurs généraux, des procureurs du roi et autres fonctionnaires dans l'étendue de leur ressort. Aussi, au lieu de 11 procureurs généraux, la Chambre n'en renfermait-elle que 4 aujourd'hui. Enfin, n'était-ce rien que la responsabilité morale du député vis-à-vis de ses électeurs, que la responsabilité morale du gouvernement?

M. Hébert rejetait donc la proposition comme n'apportant que des garanties stériles, comme dangereuse en ce sens qu'elle restreignait le cercle de l'éligibilité, comme inutile en ce sens que, depuis 1831 jusqu'à l'heure présente, le nombre des fonctionnaires n'a fait que varier de 141 à 156, résultat inévitable, vu le nombre des fonctionnaires dans le pays.

L'honorable député terminait en disant que la mesure ne pourrait avoir qu'un effet sérieux, étranger peut-être aux intentions de ses patrons, celui de discuter et discréditer à l'avance la candidature d'une grande partie des membres de la Chambre.

Après un discours de M. Durand (de Romorantin), qui, au nom de la minorité de la commission, déclara ne pas trouver dans les lois de garanties suffisantes, la Chambre passa au scrutin de division sur la question de savoir s'il y aurait lieu à discuter les articles de la proposition. La discussion fut écartée par 232 suffrages contre 184; majorité absolue, 209 sur 416. (18 mars.)

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Interpellations relatives aux événements de Pologne. Les tristes événements qui, dans les premiers mois de l'année, signalèrent la malheureuse tentative d'insurrection dans les provinces polonaises (voyez plus loin France, Histoire extérieure et Pologne), donnèrent lieu, dans la Chambre des députés, à des interpellations présentées, le 13 mars, par M. de La Rochejaquelein.

L'honorable député n'avait pas cru possible que la tribune française ne retentit pas au moins de quelques paroles de sympathie pour les malheureux Polonais quand, depuis quatorze ans, les deux Chambres reproduisaient annuellement des vœux unanimes en faveur de la Pologne. Ces vœux, il est vrai, ressemblaient assez à une épitaphe sur un tombeau; mais si, quand la Pologne était calme, on excitait ainsi ses espérances, fallaitil, au jour de l'action, l'abandonner lâchement?

Dans la situation actuelle, que pouvait-on faire? toujours des vœux, et malheureusement des vœux stériles. Mais, au moins. y avait-il nécessité de manifester une vive indignation s'il était vrai que, dans un gouvernement monarchique, des tètes de nobles et de prêtres eussent été mises à prix, s'il était vrai que des paysans eussent été excités à se soulever contre les propriétaires. Il fallait protester contre de pareilles infamies, et, sans donner encouragement à l'insurrection, élever la question d'humanité.

M. de La Rochejaquelein formulait ainsi ses interpellations: Quels détails le ministère pouvait-il donner à la Chambre sur la situation des affaires de Pologne ? Qu'avait-il fait pour remplir le vœu exprimé par quatorze adresses des deux Chambres? Que comptait-il faire aujourd'hui que, sur les ruines de la nationalité polonaise, les débris épars de ce malheureux peuple se débattaient dans une longue et cruelle agonie? Puisque le gouvernement se regardait comme lié par les traités de 1815, quelles mesures comptait-il prendre, en vertu de ces traités, pour assurer à la Pologne, et notamment à la république de Cracovie, les garanties stipulées par les traités?

M. le ministre des affaires étrangères fit observer que, parmi les questions faites par l'honorable préopinant, la plus importante avait trait aux actes d'un gouvernement étranger; le Cabinet pouvait donc se dispenser d'y répondre, mais il ne le ferait pas. Si ces faits étaient exacts, il ne fallait pas hésiter à les qualifier de déplorables et de coupables; provoquer un bouleversement social pour échapper à un danger politique, c'était un crime. «Mais, ajoutait M. le ministre, les révolutionnaires font ces choses-là; les gouvernements réguliers ne sauraient se les permettre. » M. le ministre avait toutes raisons pour ne pas croire à ces bruits de journaux, et aucun document ne lui avait montré quelque chose de semblable.

M. Guizot donnait les explications suivantes sur la situation sociale des paysans dans la Prusse et dans l'Autriche :

Depuis que le grand-duché de Posen et la Gallicie appartiennent, l'un à la Prusse, l'autre à l'Autriche, l'un et l'autre gouvernement se sont appliqués à améliorer la condition des paysans; l'un et l'autre, à des degrés divers, y ont réussi. En Prusse, la condition des paysans polonais du grand-duché de Posen comme du reste de la monarchie (car il n'y a aucune différence dans l'administration des provinces prussiennes) est devenue beaucoup meilleure ; ils sont aujourd'hui propriétaires ; ils ont été soumis à des juridictions régulières et publiques; ils ont été affranchis des oppressions féodales, des abus qui pesaient sur eux. Aussi, lorsque des conspirations ont été faites dans cette province contre le gouvernement prussien, la population rurale n'y a pas répondu; elle a trouvé sa condition meilleure que celle dont on lui rappelait le souvenir, et s'est refusée aux provocations dont elle était l'objet.

Dans la Gallicie, quoique d'une manière moins complète, le même fait s'est produit. La législation de Marie-Thérèse et de Joseph II y a changé complétement la condition des paysans, elle l'a améliorée; au-dessus de la juridiction purement seigneuriale, une juridiction impériale, des magistrats impériaux, ont été institués, auxquels le paysan peut toujours recourir, et

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