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ne faisait qu'employer les moyens à son usage pour un but caché qui valait mieux.

Lors des conférences multipliées qu'il eut de nuit au Palais-Royal et ailleurs avec la reine, il est à croire que dans ces oratoires mystérieux, où elle le recevait pour conférer plus librement, il essaya s'il ne pourrait pas intéresser en elle la femme; qu'il regarda souvent ses belles mains, dont madame de Motteville nous a parlé; qu'il eut l'air par instants rêveur et distrait aux questions mêmes de la politique; mais la coquetterie de la reine ne prit pas à ce manége; son cœur était fixé. Retz sentit qu'il ne pourrait jamais décrocher le Mazarin. Mais il ne fut pas, ce semble, assez prompt à le sentir, et il continua d'agir au dehors comme s'il y avait eu espoir, en effet, de l'éloigner définitivement. Une plaisanterie qu'il laissa échapper contre la reine, et qui revint à celle-ci (il l'avait appelée Suissesse), irrita la femme, et contribua à la vengeance finale plus peutêtre que ne l'auraient pu faire les seules infidélités politiques de Retz.

Il a toujours nié qu'il eût aspiré au ministère, et les raisons qu'il en donne sont assez énergiques pour nous frapper, sinon pour nous convaincre. A l'une de ces avances, vraies ou fausses, qui lui furent faites, il répondit « qu'il était très-incapable du ministère pour toutes sortes de raisons, et qu'il n'était pas même de la dignité de la reine d'y élever un homme encore tout chaud et tout fumant, pour ainsi parler, de la fuction. » Ailleurs, il se livre à nous, sur ce point, avec un accent de vérité qui serait plus fait encore pour nous toucher : c'est à la fin de la seconde Fronde, dans laquelle il tint une conduite si différente de celle qu'il eut dans la première; mais cette première réputation d'ambitieux à main armée le poursuivait toujours : « Est-il possible, disait-on en lui supposant cette visée du ministère, est

il possible que le cardinal de Retz ne soit pas content d'être, à son âge (il avait trente-sept ans), cardinal et archevêque de Paris? Et comment se peut-il mettre dans l'esprit que l'on conquière à force d'armes la première place dans les Conseils du roi? » - « Je sais qu'encore aujourd'hui, ajoute-t-il, les misérables gazettes (qui traitent) de ce temps-là sont pleines de ces ridicules idées. » Et il montre ces idées comme alors très-éloignées de lui, « je ne dis pas seulement par la force de la raison à cause des conjonctures, mais je dis même par mon inclination qui me portait avec tant de rapidité et au plaisir et à la gloire... » Il en conclut que le ministère était encore moins à son goût qu'à sa portée : « Je ne sais si je fais mon apologie en vous parlant ainsi, écrivait-il en s'adressant à madame de Caumartin; je ne crois pas au moins vous faire mon éloge. »

Cette gloire, ce point d'honneur dont Retz nous parle toujours, et qu'il ressentait à sa manière, c'était une certaine réputation populaire, la faveur et l'amour du public, c'était d'être fidèle aux engagements envers ses amis, de ne point paraître céder à un intérêt purement direct; vers la fin, toute sa doctrine de résistance semble n'avoir plus guère été qu'une gageure d'honneur contre le Mazarin.

La seconde Fronde (1650-1652) éclata, comme on sait, au nom des princes de la maison de Condé que Mazarin avait fait mettre en prison, et qu'il fut obligé de rendre à la liberté. Dans cette seconde période des troubles, le cardinal de Retz, bien loin d'être un agitateur et un boute-feu, comme on le suppose trop généralement, est plutôt un négociateur et un modérateur peu écouté. Monsieur, duc d'Orléans, lieutenant général du royaume, s'était pris pour lui d'une grande confiance et se l'était donné pour intime conseiller. Mais quand on sait ce qu'était Monsieur, peureux, défiant, dissimulé, chan

geant d'avis plusieurs fois le jour, se mettant à siffler quand il ne savait plus que dire, et employant tout son esprit à cacher sa lâcheté par des faux-fuyants, on s'expliquera la perplexité et les embarras journaliers de Retz. La faiblesse de Monsieur avait bien des degrés et des étages, nous dit-il, et il nous les fait mesurer et compter un à un « Il y avait très-loin chez lui de la velléité à la volonté, de la volonté à la résolution, de la résolution au choix des moyens, du choix des moyens à l'application. Mais ce qui était de plus extraordinaire, il· arrivait même assez souvent qu'il demeurait tout court au milieu de l'application. » Placé entre un prince de cette nature et le Parlement, cette autre machine compliquée et non moins désespérante à mouvoir, primé dans le parti par le prince de Condé, son ennemi alors et dont il ne peut vouloir le triomphe, Retz se consume durant deux années dans les pourparlers, les expédients, les tentatives perpétuelles d'un tiers-parti impuissant à naître et toujours avorté. Que de maximes sages il sème en chemin à pure perte! Que de coups d'œil perçants sur le vrai des situations et la misère des partis! Combien de fois n'a-t-il pas occasion de s'écrier en sortant des séances du Parlement : « Rien n'est plus peuple que les Compagnies !... Les plus sages parurent aussi fous que le peuple, le peuple me parut plus fou que jamais. » La gaieté de certains endroits de son récit ne peut nous couvrir qu'incomplétement le dégoût de ce régime anarchique, contradictoire, et dont ceux qui y étaient plongés, par une illusion trop ordinaire, ne s'apercevaient pas.

Retz, à qui rien n'en échappe, en a maintes fois la nausée, et on se demande, en le lisant, comment un matin quelque bon sentiment, quelque accès de bon sens énergique et de droiture, ne fût-ce même qu'un accès d'impatience et d'ennui, ne l'a pas décidé à rom

pre une fois pour toutes avec cette complication inextricable d'intrigues, désormais sans but et sans issue. C'est ici que les`vices de l'homme doivent entrer en ligne, car ils y trouvaient leur compte. Retz, en jugeant le fond des choses qu'il méprise, n'en haïssait pas le jeu et le tripot. Il s'était fait à cette manière de vivre déréglée et libertine. Chaque soir, l'hôtel de Chevreuse, ou quelque autre distraction clandestine, le consolait de ses propres ennuis du jour et de la perte de l'État. Tel est, chez les hommes de l'esprit le plus supérieur, le malheur des vices; ils éteignent les bonnes inspirations à leur source et les empêchent de naître. Nous avons vu de nos jours un homme de vertu pratique, d'intégrité et de foi, un archevêque de Paris comme l'était Retz, sincèrement ému des malheurs et des erreurs du peuple et de la dissension civile, aller droit avec simplicité au danger, ouvrir les bras et donner sa vie pour le bien de tous : et Retz, retiré vers la fin des troubles dans son cloître Notre-Dame, retranché à l'ombre des tours de sa cathédrale, et abrité, comme il disait, sous le chapeau, hésitait, avec toutes ses lumières et ses générosités mondaines, à faire un acte public qui hâtât l'issue et mît fin à la souffrance universelle. Il s'y décida toutefois, et fut un des principaux négociateurs de la rentrée de la Cour dans Paris.

On lui en sut peu de gré, et, sa réputation passée s'attachant à lui, non sans cause, on le traita purement en politique, c'est-à-dire qu'après s'être servi de lui dans le premier moment, on l'emprisonna dans le second.

Sa prison, sa fuite, son séjour à Rome, ses voyages et caravanes en divers lieux, ses obstinations dernières pour conserver son siége de l'archevêché de Paris, nous fourniraient trop de vues sur ses faiblesses et sur les côtés infirmes de sa nature. Un de ses conseillers

et domestiques, brouillé avec lui, Gui Joly, a donné là-dessus, dans ses Mémoires, des détails honteux, qui peuvent être très-vrais quant aux faits matériels, mais qui sont faux en ce qu'ils sont uniquement bas et que Retz ne l'était point. Il avait en lui des parties généreuses qui ne périrent jamais, et dont il a fait preuve jusqué dans sa vieillesse, après son retour en France. Sa paix faite et son pardon obtenu, après un assez long séjour à sa seigneurie de Commercy en Lorraine, il eut la permission de reparaître à Fontainebleau et à Paris en 1664. Il y revit tous ses amis et plusieurs de ceux qui avaient été ses ennemis, et avec qui il se réconcilia avec franchise. Ici nous retrouvons un cardinal de Retz tout différent (sauf la beauté de l'esprit) de ce qu'il avait paru d'abord. S'il vécut en Catilina dans sa jeunesse, a dit Voltaire, il vécut dans sa vieillesse en Atticus.

Parmi ceux dont le cardinal de Retz se souvint à son arrivée, il en est un que j'aime à distinguer, parce qu'il était bel-esprit, poli, honnête homme et pauvre c'est le célèbre avocat Patru, l'un des premiers académiciens français, si prisé de Boileau, un de ceux qui, les premiers, parlèrent le plus purement notre langue, un de ces Parisiens spirituels et malins que Retz n'avait pas eu de peine à rallier autour de lui pendant la Fronde, avec les Marigny, les Montreuil, les Bachaumont. Patru l'avait servi de ses bons mots et de sa plume au besoin, dans les rencontres. On la lettre de Patru, adressée à Retz, par laquelle il s'excuse, sur les infirmités et sur la surdité qui l'affligent, de ne pouvoir l'aller saluer à ce retour. On y voit que quelques amis avaient parlé au cardinal de la triste situation de Patru, et celui-ci en a regret; car il sait « quel fardeau c'est à une âme magnanime que d'être obligée de refuser:

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