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Lundi, 5 janvier 1852.

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PATRU

ELOGE D'OLIVIER PATRU, PAR M. P. PERONNE, AVOCAT.

(1851).

Patru est un nom plus qu'un auteur; on ne le lit plus, et je ne viens pas ici conseiller de le lire; mais de loin, et par tradition, on l'estime; on se rappelle qu'au Barreau et à l'Académie, en son temps, il a été une autorité, un oracle; que Boileau, qui voyait si peu de maitres en matière de langue et de goût, s'inclinait tout d'abord devant lui, qu'il a placé son nom en plus d'un vers devenu proverbe, et que, par un acte noble et délicat de reconnaissance, il l'a secouru pauvre dans sa vieillesse. Le portrait de Patru figure au Palais dans ce qu'on appelle la Galerie des Douze, où sont rassemblés les plus illustres représentants du droit, de la magistrature et du Barreau. Il est bon de temps en temps de repasser et de se redire ce que signifient ces gloires consacrées il n'est jamais sans intérêt de ressaisir et de se représenter au naturel l'homme autrefois célèbre qui n'est plus resté pour nous qu'à l'état de nom et d'i

mage.

Tandis que je m'interrogeais ainsi sur Patru, j'ai reçu, par une favorable rencontre, son Éloge tout récemment

imprimé, et qu'a prononcé, le 30 novembre dernier, M. Prosper Péronne à la séance d'ouverture pour les Conférences de l'Ordre des avocats. Cet Eloge, bien étudié et conçu dans un esprit excellent, m'a rendu un bon nombre des particularités que de mon côté j'avais essayé de réunir, et m'en a appris quelques autres que j'ignorais. Je puis donc maintenant répondre à cette question: Qu'était-ce au vrai que Patru, cet académicien avocat, cet arbitre de la diction, si souvent cité au XVIIe siècle, dont on applaudissait les harangues solennelles, dont on répétait les bons mots, que Retz s'était acquis, que respectait Boileau, et qui mourut avec honneur dans l'indigence?

Olivier Patru, né en 1604, était un enfant de Paris, un des enfants les mieux doués de cette bourgeoisie la plus aimable de l'univers : avec les qualités il en eut aussi plus d'un défaut, et tout d'abord le trop de mollesse. Sa mère le gâtait. C'était, dit-on, le plus bel enfant qu'on pût voir, et, plus tard, on ne l'appelait dans sa jeunesse que le beau Patru. « De l'esprit, des manières, du penchant à l'étude, pourvu néanmoins qu'on lui choisit une étude agréable; » tel d'Olivet nous le peint dès les premières années, et tout ce début de la Notice de d'Olivet est à citer comme touchant déjà à fond le caractère :

« Patru fit excellemment ses humanités; en philosophie, au contraire, la barbarie des termes le révolta. Sa mère qui, veuve d'un riche procureur au Parlement, voulait qu'il devînt un avocat célèbre, lui voyant de l'aversion pour ses cahiers, les jetait elle-même au feu, et lui donnait des romans à lire. Ensuite, un jour par semaine, elle invitait quelques-unes de ses voisines et, devant elles, lui faisait rendre compte de ses lectures, persuadée que cela lui donnerait de la hardiesse et de la facilité à parler. Il narrait avec une grâce infinie; toutes ces femmes sortaient charmées; et l'auditoire grossit enfin à un tel point que, n'y ayant plus de quoi recevoir tout ce qui se présentait, les assemblées furent rompues. »>

Ce jeune homme, que la nature destinait aux études brillantes et littéraires et à l'art de la parole, se ressentira toujours, même sous sa forme grave, de ce peu de discipline première. Il se développa et se forma dans la sphère de l'éloquence proprement dite, et y apporta un excellent jugement; mais il sortait peu de cet ́ordre d'idées qui tiennent à la rhétorique. Il n'aimait pas les affaires. Tous les contemporains s'accordent à dire qu'il n'était pas homme de grand travail : « Il travaille peu parce qu'il veut trop bien faire, » disait Chapelain. « Il n'étudiait que lorsqu'il n'avait rien à faire de meilleur, et souvent il croyait avoir quelque chose de meilleur à faire que d'étudier, » ajoute Maucroix. Patru à l'origine, non pas l'austère Patru, comme je vois que quelqu'un de ce temps-ci l'a appelé, mais l'aimable Patru, bien doué, beau parleur, ayant un bon jugement dans ce qu'il traitait, et y mettant de l'esprit et un noble choix de termes, nous apparaît, par nature et par éducation, un peu paresseux.

A dix-neuf ans, en 1623, il voyagea en Italie et y séjourna. Ce voyage du jeune homme avait sans doute pour but de le perfectionner dans la jurisprudence, dont l'Italie était encore censée la terre classique. Mais Patru y apportait des dispositions bien plutôt littéraires et poétiques. D'Urfé, célèbre depuis près de quinze ans par la publication des premières parties de l'Astrée, était alors l'auteur à la mode, et ce roman pastoral, dont la conclusion n'avait point paru encore, passionnait tous ceux qui, en France et en Europe, se piquaient de galanterie et de politesse. Je ne puis mieux comparer la réputation de d'Urfé à cette date qu'à ce que fut pour nous Lamartine vers 1821, après ses Méditations en l'honneur de la mystérieuse Elvire. Un jeune homme de' dix-neuf ans, qui, passant par Florence, y aurait rencontré l'harmonieux poëte, et aurait brûlé de l'in

terroger sur la réalité de ces tendres sentiments, si voilés de mysticité et de mélodie, peut nous donner quelque idée de ce qu'était Patru dans son pèlerinage auprès de d'Urfé:

«Lorsqu'en mon voyage d'Italie, raconte-t-il, je passai par le Piémont, je vis l'illustre d'Urfé, et je le vis avec tant de joie qu'encore aujourd'hui je ne puis penser sans plaisir à des heures si heureuses. Il avait cinquante ans et davantage; je n'en avais que dixneuf; mais la disproportion de nos àges ne me faisait point de peur ; bien loin de cela, je le cherchais comme on cherche une maîtresse, et les moments que je passais auprès de lui ne me duraient guère plus qu'ils ne me durent auprès de vous (c'est à une dame que Patru adresse ce récit); il m'aimait comme un père aime son fils. S'il avait le moindre loisir, j'avais aussitôt de ses nouvelles. Il me menait aux promenades; il me fit voir tout ce que je voulus voir du grand monde et de la Cour de Savoie; mais tout cela avec tant de témoignages de tendresse et de bonté que je serais un ingrat si je n'en gardais éternellement la mémoire. Je le vis donc fort souvent pendant trois semaines que je séjournai à Turin. Dans nos entretiens, il me parlait de diverses choses; mais, pour moi, je ne lui parlais que de son Astrée. »

D'Urfé, comme presque tous les romanciers, avait mis dans son roman les personnages de sa connaissance il s'y était mis lui-même et les aventures de sa jeunesse; mais tout cela était combiné, déguisé et (le mot est de Patru) romance de telle sorte, que lui seul pouvait servir de guide dans ce labyrinthe. Vaincu par les instances de l'aimable jeune homme, il promit de lui donner la clef et de lui mettre aux mains le fils d'Ariane, mais quand il serait un peu moins jeune et à son retour seulement :

« Je vous promets, me dit-il, qu'à votre retour je vous donnerai tout ce que vous souhaitez. » - «Et toutefois, lui répondis-je, je n'aurai alors que vingt ans. >> - Cela est vrai, reprit-il en m'embrassant, mais, avec les lumières et les inclinations que vous avez, ce n'est pas peu qu'une année de l'air d'Italie; et d'ailleurs, vous étonnez-vous si, avant que de mourir, je veux vous voir au moins encore une fois?

Le malheur voulut que Patru, à son retour, dix-huit mois après environ, trouvât d'Urfé mort, et la clef de toutes ces belles aventures romanesques fut à jamais perdue pour nous. Mais on voit que le futur avocat ne se préparait point à sa profession par des études trop spéciales et trop exclusives.

A peine revenu d'Italie, et tandis qu'il lisait Cicéron et s'étudiait à sa forme oratoire, le beau Patru ne laissait pas de faire des ravages aux environs du Palais et du Châtelet. Tallemant des Réaux nous a raconté dans un singulier détail toutes ces amours de son ami. Les historiettes de Tallemant, intitulées Madame Lévesque et La Cambrai, eussent bien fourni matière à des Contes de La Fontaine. La Cambrai est une belle marchande, femme d'un orfèvre qui logeait vers le Châtelet, au bout du Pont-au-Change, « une femme aussi bien faite qu'il y en eût dans toute la bourgeoisie. » Un jour qu'il pleuvait fort, Patru se mit à couvert tout à cheval sous l'auvent de la boutique (on allait alors à cheval dans Paris comme on est allé depuis en cabriolet, comme on va maintenant en petit coupé): mais, pour être plus commodément, Patru descendit de cheval et entra dans l'allée de la maison. « La Cambrai alors était toute seule dans la boutique, et, l'ayant aperçu, elle le pria d'entrer; lui, qui la vit si jolie, y entra fort volontiers; les voilà à causer. La dame, qui n'était pas trop mélancolique, se mit à chanter une chanson assez libre. » On peut voir le reste dans Tallemant. Le beau Patru, sur sa bonne mine, faisait ainsi des conquêtes parmi les plus jolies commères de la bourgeoisie. Il savait pour tant résister dans l'occasion, car il était amoureux ailleurs; il l'était fort en ce temps-là d'une madame Lévesque, femme d'un avocat de ses confrères. Son ami, le célèbre traducteur Perrot d'Ablancourt, avec qui il menait jeunesse, le servit fort en cette intrigue, et il

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