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plaisir de le savoir arrêté: voilà une mort qui est à elle seule une oraison funèbre.

Les gens de lettres, ceux qui sont vraiment dignes de leur nom et de leur qualité, ont été de tout temps sensibles à certains procédés, à certains actes de prévenance et de délicatesse, à certaines choses faites à temps et d'une manière qui honore. Ils s'inquiètent moins de la solidité et de la suite chez les hommes puissants qui passent, que d'une certaine libéralité qui a son principe dans les sentiments. Les âmes des poëtes sont reconnaissantes. Je parle des gens de lettres dans le temps où ils faisaient une classe à part, et de l'élite de cette classe. Maintenant, je le sais, tout le monde est plus ou moins homme de lettres; ce n'est plus une classe proprement dite; on les traite avec la rudesse et le positif qui règnent dans les relations ordinaires de la vie, et eux-mêmes ils semblent s'être dès longtemps appliqué ce régime universel. Servir le public est, après tout, pour eux, le parti le plus sûr, et, en définitive, c'est le plus noble aussi. Pourtant, il ne sera jamais indifférent à l'honneur d'un pouvoir établi d'avoir ou de n'avoir pas le sentiment de ce qui peut se rencontrer encore du côté de la littérature, et dans les âmes vraiment littéraires, de ressorts vifs et généreux. Il y a eu des régimes tout entiers, réputés sages, qui n'y ont rien compris.

Qu'on veuille bien m'entendre une distinction, une louange juste et bien placée, de l'attention, ce sont de ces faveurs qui rattachent les âmes, même les plus libres. Dans mon parfait désintéressement, j'ai peutêtre le droit de dire ces choses, et l'exemple de Fouquet, qui y mêlait d'ailleurs un peu trop de pensions, me les suggère.

Fouquet, une fois condamné, fut bien vite enseveli. Louis XIV, par une suite de rigueurs qui doivent enfin

paraître excessives, jugea à propos de commuer plus sévèrement la peine, et de changer le bannissement en une prison perpétuelle. Fouquet, âgé pour lors de cinquante ans, fut envoyé dans le château de Pignerol sur les confins du Piémont. Il sembla tout d'abord y justifier le vœu de sa respectable et sainte mère, laquelle ne voyait dans les grandeurs du surintendant qu'une occasion de fautes et de chutes, et qui, en apprenant son arrestation à Nantes, se jeta à genoux en s'écriant : << C'est à présent, mon Dieu, que j'espère du salut de mon fils! » Enfermé à Pignerol, il se livra, dit-on, à la contemplation des choses spirituelles, et l'on dit même qu'il composa quelques traités de morale. Il en lisait du moins, et méditait à loisir sur les proverbes et les maximes de sagesse de Salomon. Un peu de superstition se mêlait de loin, dans le préjugé public, à l'idée de son infortune. Quelque temps après son arrivée à Pignerol, le tonnerre tomba en plein midi dans la chambre qu'il occupait, et, au milieu de beaucoup de ruines, le laissa sain et sauf : « d'où quelques-uns prirent occasion de dire que bien souvent ceux qui paraissent criminels devant les hommes ne le sont pas devant Dieu. » C'est ainsi qu'on avait tiré conjecture et présage d'une comète qui avait paru dans le temps de son procès. Mais bientôt ces derniers signes d'attention s'évanouirent. On ne songea pas plus à Fouquet qu'à un mort, dont le nom revient à peine quelquefois dans l'entretien. On sait très-peu de chose de sa prison. Les précautions auxquelles il était soumis, et qui sont attestées par des lettres de Louvois, furent longtemps de la plus minutieuse rigueur: il fallut des années pour qu'on s'en relâchât peu à peu. Une de ses grandes distractions dut être lorsqu'on lui donna en 1674 Lauzun, le favori disgracié, pour compagnon et voisin de captivité; quand ils parvinrent à communiquer entre eux,

ils étaient comme deux ombres dans les Enfers, s'entretenant des choses fabuleuses d'un autre monde. Au mois de mai 1679 seulement, on permit à sa femme et à ses enfants d'aller visiter le prisonnier dont la santé était altérée; il y avait dix-sept ans qu'ils étaient séparés. On croit que Fouquet allait obtenir un adoucisse-. ment tardif et la permission d'aller aux eaux de Bourbonne, lorsqu'il mourut en mars 1680, à l'âge de soixante-cinq ans.

Son souvenir est resté comme un des grands exemples de catastrophe politique et d'infortune. N'ayant jamais dirigé en chef le Gouvernement, on ne peut se faire une idée bien précise de la portée et des limites de sa capacité et de son esprit. On l'entrevoit vaste, exagéré, facile et brillant, hardi et aventureux, plutôt d'expédients que d'ensemble, de ceux qui, par tous les vents, vont à toutes voiles et doivent tôt ou tard échouer par imprudence et témérité. Il a été, comme Retz, un grand dissipateur de dons naturels et de qualités heureuses. Son malheur prolongé, en réveillant la pitié publique, et en mettant à découvert ses amis fidèles, a fait sa gloire; on n'inspire jamais de tels dévouements parmi l'élite des esprits, sans avoir, plus ou moins, de quòi les mériter (1).

(1) Pellisson, dans son Histoire de Louis XIV, où il n'est plus l'avocat de Fouquet, nous mène à l'explication de son caractère quand il le définit ainsi : « L'un était d'un génie élevé, fertile en expédients et en ressources, plein de vigueur et tempéré de beaucoup d'huma→ nité. » Fouquet avait en lui la fibre humaine, il savait la toucher dans les autres, et elle lui répondit.

Lundi, 19 janvier 1852.

EUVRES

DE LOUIS XIV

(6 vol. in-8°. - 1806.)

Sous ce titre impropre d'OEuvres, il existe six volumes des plus intéressants et des plus authentiques, qu'il serait plus juste d'intituler Mémoires de Louis XIV; ils se composent, en effet, de véritables Mémoires de son règne et de ses principales actions, qu'il avait entrepris d'écrire pour l'instruction de son fils. Le récit est souvent interrompu par des réflexions morales et royales très-judicieuses. Les six ou sept premières années qui s'écoulèrent depuis la mort du cardinal Mazarin, et qui constituent la première époque du règne de Louis XIV (1661-1668), y sont exposées et racontées dans une suite et un détail continu. Les années suivantes, jusqu'en 1694, y sont représentées par une série de lettres qui concernent plus spécialement les campagnes et opérations militaires. Nombre de lettres particulières, se rapportant à toutes les époques du règne, y sont jointes. Le tout forme un ensemble de documents, de notes, d'instructions émanées directe→ ment du cabinet de Louis XIV, et qui jettent la plus grande lumière, et sur ses actes mêmes et sur l'esprit qui y a présidé. Un soir, en 1714, le vieux roi près de

sa fin envoya le duc de Noailles prendre dans son cabinet des papiers écrits de sa main, qu'il voulait jeter au feu «< il en brûla d'abord plusieurs qui intéressaient la réputation de différentes personnes; il allait brûler tout le reste, notes, mémoires, morceaux de sa composition sur la guerre ou la politique. Le duc de Noailles le pria instamment de les lui donner, et il obtint cette grâce. » Les originaux, déposés par le duc de Noailles à la Bibliothèque du Roi, y ont été conservés; c'est d'après ces manuscrits que se fit en 1806 la publication des six volumes dont je parle, et auxquels, je ne sais pourquoi, le public n'a jamais rendu la justice ni accordé l'attention qu'ils méritent. Ces volumes se vendent depuis longtemps à vil prix. Il y a bien peu d'années, il en était encore ainsi des neuf tomes des Mémoires authentiques de Napoléon. Quant aux Euvres du grand Frédéric, il y entre tant de mélange qu'on ne saurait s'étonner que les belles parties historiques, qui en composent le fond, aient été longtemps perdues dans le fatras littéraire qui les recouvrait à première vue et qui les compromettait. Rien de tel ne se montre dans les Mémoires de Louis XIV, non plus que dans ceux de Napoléon; c'est de l'histoire toute pure, ce sont les réflexions d'hommes qui parlent de leur art, et le plus grand des arts, celui de régner. Notre légèreté est ainsi faite la plus frivole des brochures politiques était lue par tout le monde, et bien des esprits distingués et sérieux ne s'inquiétaient pas même de savoir s'il y avait lieu de lire ces écrits attribués aux plus grands noms, et où se vérifie à chaque page la marque de leur génie ou de leur bon sens.

en

Louis XIV n'avait que du bon sens, mais il avait beaucoup. L'impression que fait la lecture de ses écrits, et surtout de ceux qui datent de sa jeunesse, est bien propre à redoubler pour lui le respect. Le sourire, que

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