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Louis XV, soufflé par Voltaire, propagé par tant d'autres. Mais non; ici je l'arrête et je lui dis: Ami, prends garde, tu dogmatises; tu fais précisément ce que les gens à doctrines et les philosophes des diverses écoles veulent nous obliger de faire. Ta Louise comme ta Denise est volage, et même un peu perfide, non parce qu'elle est du dix-huitième siècle et qu'elle a vu dans le château de Fontenay je ne sais quel petit boudoir mystérieux, non parce qu'elle a lu dans je ne sais quelle bibliothèque défendue; elle est volage, parce qu'elle l'est de nature, et que, de tout temps, elle l'eût été.

Laissons pour cette fois 'Voltaire, et, comme seule moralité à tirer de tout ceci, disons simplement: Jeunes filles, ne faites pas comme elle !

On ne saurait dire que M. Janin ne connaisse pas son dix-huitième siècle, mais il l'aime trop dans quelques parties pour le connaître de sang-froid et pour le peindre à tête reposée. Le dix-huitième siècle tout entier n'est pas un seul et même tourbillon; il faut y distinguer bien des temps et des moments, et, dans chaque moment, distinguer encore les classes différentes de la société. Je prendrai une image que je crois fidèle pour rendre la manière dont le dix-huitième siècle apparaît à travers le dernier roman de M. Janin. On sait que, dans la Pastorale de Daphnis et Chloé, à un certain jour les gens de Méthymne déclarent la guerre à ceux de Mitylène, et un capitaine de navire s'empare de la pauvre enfant Chloé et de son troupeau. Mais à peine le navire est-il en mer, que, la nuit venue, de singuliers prodiges se font sentir. Le capitaine entend de grands bruits du côté de la haute mer comme si une grosse flotte arrivait à force de rames, et la terre, d'un autre côté, lui paraît tout en feu. Le matin, ce sont d'autres prodiges encore: les béliers et chèvres, qui sont à bord sur le pont, ont l'air de bondir, portant aux cornes des

rameaux de lierre avec leurs grappes: Chloé elle-même semble couronnée de branchages de pin, et une flûte de berger qui se fait entendre d'une roche voisine résonne comme ferait une trompette de guerre. C'est le dieu Pan, ami de Chloé et protecteur des troupeaux, qui cause cette illusion aux gens du navire et qui communique à tous les objets cette sorte de transfiguration et de tourbillonnement universel. Ce même dieu Pan semble avoir donné quelque chose de cette trépidation prestigieuse aux objets et aux personnages du dixhuitième siècle, tels qu'ils se réfléchissent dans la Pastorale de M. Janin.

J'ai entendu citer avec éloge un portrait de Louis XV, qui est au chapitre X du second volume. Il y a des traits sentis et bien frappés dans ces pages, où est étalée la hideuse vieillesse de ce roi. J'y vois de l'exagération pourtant, et jamais Louis XV, ni pour les qualités ni pour les défauts, n'a pu mériter d'être comparé à un Tibère. « C'était un honnête homme, qui n'avait d'autre défaut que celui d'être roi, » écrivait le grand Frédéric à Voltaire au moment de la mort de Louis XV. En parlant ainsi, Frédéric était clément et généreux; il faisait de plus la leçon à Voltaire qui se montrait sans pitié pour ce roi mort qu'il avait autrefois flatté. Dans tous les cas, il y a loin de cet honnête homme, ainsi qualifié indulgemment par Frédéric, à un Tibère. Comme page à citer, j'aime mieux celle que M. Janin a consacrée au Régent, et dans laquelle il suppose Henri IV apostrophant son petit-fils. Cette page est vraiment juste, elle est simple et belle, et, puisque je suis en train de découpures, je la donnerai :

« Malheureux prince (est censé lui dire Henri IV), le plus semblable à moi des petits-fils de ma race, tu avais en toi-même tout ce qui fait les grands hommes, et tu t'en es servi pour accomplir les plus grands vices. Tu n'as suivi que mes mauvais exemples, tu n'as marché que

dans le sentier de mes égarements. Ce royaume que j'avais sauvé, cette monarchie que j'avais fondée, et que le grand roi avait portée au plus haut degré des respects et des obéissances que pouvait espérer une couronne mortelle, qu'en avez vous fait, Monsieur le Régent? Vous en avez fait une déclamation, une ironie, un jouet ! L'enfant royal, venu au monde sur un tombeau, ce précieux rejeton de tant de rois, que la France avait confié à votre tutelle, vous l'avez entouré de tous les soins qui font vivre un enfant, mais aussi de tous les exemples qui perdent un jeune homme. Ainsi le corps de ce prince choisi a été sain et sauf, pendant que l'âme s'est dégradée. Imprudent, qui n'as pas compris toutes les ruines que peut couver une parole mauvaise, et toutes les révolutions que peut enfanter une conduite coupable! tu as joué non-seulement avec l'argent de mes peuples, mais avec leurs croyances, et, ne pouvant pas la briser, cette force morale, tu l'as attaquée par tous les genres de bons mots et de mépris. Va! va! si tu as semé des germes funestes, nos petits-neveux recueilleront une moisson abominable. Et pourtant je ne veux pas te maudire, mon pauvre enfant ton esprit était bon, ton cœur était sans fiel; tu as été affable comme moi, amoureux plus que moi; tu n'as jamais aimé la vengeance, et le pardon s'est rencontré toujours dans ton sourire et dans tes yeux. »

Je voudrais que M. Janin contînt et possédât toujours ainsi son style, qu'il mît parfois le holà! au torrent d'allusions classiques qui bouillonnent et qui débordent. Quand il fera réimprimer ces volumes, il y aura quelques erreurs de fait à corriger. Ainsi, Chevert n'était pas maréchal de France (tome I, page 231), c'est Fabert qui l'a été. Ausone n'était point évêque (tome I, page 420), à peine s'il était chrétien; c'est Sidoine qui était évêque. Dans sa verve de composition, la plume de l'auteur a de ces méprises qui ne sont qu'un malentendu entre deux souvenirs qui se pressent trop.

M. Janin a l'honorable ambition de faire un livre, Habile écrivain de chaque jour, il aspire, dans quelque sujet choisi, à se surpasser encore. Le dirai-je? je suis là-dessus moins inquiet que lui. Ce livre auquel il songe tant, il le fait chaque jour sans y songer, ou plutôt le livre se fait, bon gré mal gré, de lui-même. Les

chapitres en sont divers, variés, bigarrés comme la vie littéraire de ce temps-ci. Savez-vous de quelle façon j'entends la suite de ces chapitres dans l'œuvre de Janin? Je commence par dire à l'auteur: N'entrez pas, ne vous en mêlez pas; allez produire encore, ne vous retournez jamais en arrière. Mais un ami, un homme amoureux des Lettres, du fin style, un connaisseur sans faux scrupule, qui sait son Horace et son Apulée, a devant lui, je suppose, la masse de ces feuilletons que nous donne Janin depuis vingt ans comme l'arbre pousse ses feuilles, L'amateur, qui a le coup d'œil prompt, qui se ressouvient à la fois et qui devine, lit, parcourt, choisit dans ces pages nombreuses celles qu'il faut élaguer, celles qui doivent vivre et auxquelles il ne manque, pour être dans tout leur jour, que de paraître détachées. Ce n'est pas toujours un feuilleton entier qu'il faut mettre, ce n'en est bien souvent qu'une moitié, un tiers. Là, le vrai chapitre commence, là il finit: le mérite de l'éditeur serait de marquer juste l'endroit. Combien j'en retrouve en idée de ces chapitres piquants, de ces petits chefs-d'œuvre sur tous les auteurs du jour, sur tous les romanciers en vogue, sur tout ce qui a passé, chanté, jasé, voltigé au théâtre! Sur Molière que de bonnes choses Janin n'a-t-il pas dites! c'est quand il parle de Molière qu'il arrive à la vérité pleine et courante, « la bonne, la franche, l'aimable, la vraie vérité. Sur le romancier Balzac, que n'a-t-il pas trouvé de fin, de subtil, de sensé! rappelez-vous ce que vous lisiez l'autre jour à propos de la comédie de Mercadet. Et sans aller si loin, lundi dernier, l'avezvous entendu nous parler de cette vive, bizarre, et indéfinissable créature, de mademoiselle Déjazet en personne? Janiu l'a définie dans le style le plus frais, le plus vif, le plus frétillant, le plus semblable à la chose. Prenez ce feuilleton du 6 octobre au bas de la cin

quième colonne, coupez-le au bas de la neuvième, et vous avez votre chapitre tout fait qui s'intitule: Mademoiselle Déjazet en 1851, au moment où la Fortune. dit à cette chose légère, comme elle a dit, un jour ou l'autre, à tous les vainqueurs, à toutes les reines, à toutes les bergères: C'est assez. Mais j'entends se récrier un sage: Où est la nécessité de venir peindre mademoiselle Déjazet? Cet homme, qui se croit sage et qui fait cette réflexion, ne l'est pas. Il y a lieu de peindre, dans un temps, tout ce qui a vécu, brillé, fleuri à son heure; ayez seulement la couleur du sujet et le rayon. M. Janin, en mille rencontres, a ce rayon.

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