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Lundi, 20 octobre 1851.

MÉMOIRES

DU

CARDINAL DE RETZ

(COLLECTION MICHAUD ET POUJOULAT, ÉDITION CHAMPOLLION.)

1837

Les Mémoires du cardinal de Retz parurent pour la première fois en 1717, sous la régence de Philippe d'Orléans. Lorsqu'on sut qu'une copie furtive de ces Mémoires était livrée à l'impression et sur le point de paraître, le Régent demanda au lieutenant de police d'Argenson quel effet ce livre pouvait produire. — << Aucun qui doive vous inquiéter, Monseigneur, répondit d'Argenson, qui connaissait l'ouvrage. La façon dont le cardinal de Retz parle de lui-même, la franchise avec laquelle il découvre son caractère, avoue ses fautes, et nous instruit dų mauvais succès qu'ont eu ses démarches imprudentes, n'encouragera personne à l'imiter. Au contraire, ses malheurs sont une leçon pour les brouillons et les étourdis. On ne conçoit pas pourquoi cet homme a laissé sa confession générale par écrit... » L'effet fut pourtant tout différent de celui que présageait d'Argenson. C'est comme si l'on avait dit, la veille du jour où parurent les Confessions

de Jean-Jacques Rousseau, qu'elles allaient ruiner l'autorité du philosophe. Il est des erreurs et des fautes si bien confessées qu'elles deviennent à l'instant contagieuses pour l'imagination humaine. « Ce livre, disait l'honnête Brossette (le plus pacifique des hommes), parlant des Mémoires de Retz, me rend ligueur, frondeur, et presque séditieux, par contagion. » Le Régent en sut quelque chose peu après la publication, et la Conspiration de Cellamare, en 1718, fut une manière de contrefaçon et de commentaire des Mémoires de Retz. A toutes les époques de troubles civils, ils ont été de circonstance et ont renouvelé d'intérêt. Benjamin Constant disait sous le Directoire qu'il ne pouvait plus lire que deux livres, Machiavel et Retz. Aujourd'hui donc, nous sommes dans un temps propice, ce semble, pour relire ces Mémoires et en tirer quelques leçons, si jamais les leçons de ce genre peuvent servir. Quand je viens en parler aujourd'hui, ce n'est point toutefois pour y chercher aucune application politique, ni pour y pratiquer aucune perspective selon les vues du moment; j'aime mieux les prendre d'une manière plus générale, plus impartiale, et plus en eux-mêmes.

Retz appartient à cette grande et forte génération d'avant Louis XIV, dont étaient plus ou moins, à quelques années près, La Rochefoucauld, Molière, Pascal lui-même, génération que le régime de Richelieu avait trouvée trop jeune pour la réduire, qui se releva ou se leva le lendemain de la mort du ministre, et se signala dans la pensée et dans le langage (quand l'action lui fit défaut) par un jet libre et hardi, dont se déshabituèrent trop les hommes distingués sortis du long régime de Louis XIV. Cela est si vrai quant à la pensée et à la langue, que, lorsque les Mémoires de Retz parurent, une des raisons qu'alléguèrent ou que bégayèrent contre leur authenticité quelques esprits mé

ticuleux, c'était la langue même de ces admirables Mémoires, cette touche vive, familière, supérieure et négligée, qui atteste une main de maître et qui choquait ceux qu'elle ne ravissait pas. La langue sous Louis XIV acquit bien des qualités, et elle les fixa au commencement du dix-huitième siècle par un cachet de correction et de concision, mais elle y avait perdu je ne sais quoi de large et l'air de grandeur.

C'est cet air de grandeur que Retz prisait le plus, qu'il ambitionna d'abord en tout, dans ses paroles, dans ses actions, et qu'il porta dans tous ses projets; mais, s'il affectait la gloire, il avait en lui bien des qualités de premier ordre pour en former le fonds. Né en octobre 1614, d'une famille illustre, destiné malgré lui à l'Église avec « l'âme peut-être la moins ecclésiastique qui fût dans l'univers, » il essaya de se tirer de sa profession par des duels, par des aventures galantes; mais l'opiniâtreté de sa famille et son étoile empêchèrent ces premiers éclats de produire leur effet et de le rejeter dans la vie laïque. Il en prit son parti et se mit à l'étude avec vigueur, déterminé comme César à n'être le second en rien, pas même en Sorbonne. Il y réussit, il tint tête dans les luttes finales et dans les Actes de l'école à un abbé protégé du cardinal de Richelieu, et l'emporta d'une manière signalée, sans se soucier de choquer ainsi le puissant cardinal « qui vouloit être maître partout et en toutes choses. » Vers ce même temps, une copie de la Conjuration de Fiesque, premier ouvrage profane de l'abbé de Retz, étant venue aux mains de Richelieu, celui-ci vit à quel point ce jeune homme caressait l'idéal du conspirateur et du séditieux grandiose, et il dit ces mots : « Voilà un dangereux esprit. On assure qu'il aurait dit un autre jour à son maître de chambre, en parlant encore de lui, « qu'il avoit un visage tout à fait patibulaire. »

Retz était petit, laid, noir, assez mal fait et myope; voilà des qualités peu propres à faire un galant, ce qui ne l'empêcha point de l'être, et avec succès. Sobre sur le manger, il était extrêmement libertin, mais surtout ambitieux, menant de front toutes choses, ses passions, ses vues, et des desseins même dans lesquels entrait à quelque degré la considération de la chose publique. Possédé de l'ardeur de faire parler de lui, et d'arrivér au grand, à l'extraordinaire, en même temps qu'il entrait dans le monde sous le règne d'un ministre despotique, il n'avait de ressource que dans l'idée de conspiration, et il tourna de ce côté ses prédilections premières, comme, en d'autres temps, il les eût peut-être inclinées autre part. Malgré sa turbulence et son impétuosité, Retz était très-capable de se contraindre, quand l'intérêt de son ambition l'y portait. En Italie, à Rome, pendant un voyage qu'il y fit en 1638, à l'âge de vingt-quatre ans, il résolut de ne donner sur lui aucune prise et de s'acquérir à tout hasard une bonne renommée dans une Cour ecclésiastique. Retz nous le dit, et Tallemant, qui était du voyage et de sa compagnie, nous le confirme expressément : « Il le faut bien louer d'une chose, dit Tallemant, c'est qu'à Rome, non plus qu'à Venise, il ne vit pas une femme, ou il en vit si secrètement que nous n'en pûmes rien découvrir. » Avec cela il s'appliquait à relever cette modestie de passage d'une grande dépense, de belles livrées, d'un équipage très-cavalier; et un jour, pour soutenir le point d'honneur et plutôt que de céder le terrain dans un jeu de paume, il fut près de tirer l'épée avec sa poignée de gentilshommes contre toute l'escorte de l'ambassadeur de l'Empire.

Il était très-avant dans les conjurations contre Richelieu, et il jouait sa tête dans les dernières années de ce ministre. Il a détaillé le projet d'une de ces conspi

rations dans laquelle il s'agissait, à la première nouvelle d'une victoire que remporterait le comte de Soissons, de soulever Paris et d'exécuter le coup de main avec les principaux mêmes des prisonniers de la Bastille, le maréchal de Vitry, Cramail et autres. Le plan était neuf. Le gouverneur de la Bastille devenait à l'instant prisonnier de sa propre garnison, dont on était sûr. On s'emparait à deux pas de là de l'Arsenal. Bref, c'est la conspiration Mallet que Retz organisait contre Richelieu. Tout cela manqua, mais aurait pu réussir. Combien de grandes choses dans l'histoire ne tiennent qu'à un cheveu!

Richelieu mort et Louis XIII l'ayant suivi de près, on eut la Régence, et la plus débonnaire d'abord qui se pût voir. Retz obtint d'emblée d'être nommé Coadjuteur de son oncle à l'archevêché de Paris, et dès lors, pour prendre son langage, il cesse d'être « dans le parterre, ou tout au plus dans l'orchestre, à jouer et à badiner avec les violons; » il monte sur le théâtre. On peut observer comme dans ses Mémoires, où il parle de luimême avec si peu de déguisement, il emploie perpétuellement ces expressions et ces images de théâtre, de comédie; il considère le tout uniquement comme un jeu, et y a des moments où, parlant des principaux personnages avec qui il a affaire, il s'en rend compte et en dispose absolument comme un chef de troupe ferait pour ses principaux sujets. Dans une des premières scènes de la Fronde, au Parlement (11 janvier 1649), racontant la manière dont il fait enlever le commandement des troupes au duc d'Elbeuf pour le faire décerner au prince de Conti, il montre M. de Longueville, puis M. de Bouillon, puis le maréchal de La Mothe, entrant chacun l'un après l'autre dans la salle, et recommençant, chaque fois, à déclarer leur adhésion au choix du prince de Conti et à y donner les mains en ce

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