Images de page
PDF
ePub

les femmes modestes, sobres, gaies, capables de sérieux et de badinage, polies, railleuses d'une raillerie qui enferme une louange, dont le cœur soit bon et la conversation éveillée, et assez simples pour m'avouer qu'elles se sont reconnues à ce portrait que j'ai fait sans dessein, mais que je trouve très-juste. »>

Ce dernier portrait, si ravissant et si accompli, qui est une perfection, s'adresse, on le sent, comme une flatterie, à madame des Ursins, laquelle s'en défend et le renvoie à madame de Maintenon à son tour. Mais c'est bien à madame des Ursins qu'il me paraît ressembler en effet dans les bons moments, au moins par les principaux traits et notamment par celui d'une raillerie qui enferme une louange. C'est bien là le genre d'agrément le plus habituel de ce rare esprit, de même que son défaut serait dans un tour d'ironie trop fréquente et de raillerie trop prolongée.

J'avais eu l'idée, en abordant madame des Ursins, de marquer quelques-uns des inconvénients des femmes politiques, dont elle est un type pour ce qu'elles peuvent avoir de distingué, et aussi d'incomplet, d'agité, de fastueux et de vain. Toute étude faite, je n'en ai pas le courage elle rendit, en effet, de vrais services, et, en ce qui est de l'habileté dans les conjonctures difficiles, on est trop heureux de la prendre où elle se rencontre. Et cependant, en quittant ces deux personnages de haute représentation, madame des Ursins et madame de Maintenon, ces deux sujets habiles et du premier ordre, me sera-t-il permis de rappeler au fond, en arrière et au-dessous d'elles, d'une époque un peu plus ancienne, une simple spectatrice de cette belle comédie de la Cour, une personne qui n'a eu en rien le génie de l'intrigue et de l'action, mais d'un bon sens égal, doux et fin, d'un jugement calme et sûr, la sage, la sincère et l'honnête femme véritablement en ce lieu-là, madame de Motteville?

Lundi, 1er mars 1852.

PORTALIS

DISCOURS ET RAPPORTS SUR LE Code Civil,-SUR LE CONCORDAT DE 1801, PUBLIÉS PAR SON PETIT - FILS (1).

Un intérêt sérieux ramène l'attention sur les hommes qui ont contribué à restaurer la société après les convulsions et les tempêtes. Les temps sont différents, les analogies seraient illusoires et trompeuses: mais l'idée générale d'étudier les personnages de réparation et d'ordre après ceux de révolution et de ruine, et d'en évoquer l'esprit, ne saurait être que bonne et utile dans son ensemble. Et parmi ceux-là, quel plus beau nom, quelle plus belle renommée à choisir d'abord que celle de Portalis, l'oracle du Conseil d'État de 1800 et l'une des lumières civiles du Consulat!

Il eut cela de particulier entre tant d'autres hommes éminents qui concoururent vers ce temps à la même œuvre, c'est qu'il était resté pur, qu'il avait traversé la Révolution sans aucune tache (et parmi ses plus recommandables et ses plus savants collègues, quelques-uns, égarés autrefois ou faibles, avaient leur tache de sang). Portalis, durant l'exil qui suivit la proscription de Fruc

(1) 2 vol. in-8°, 1844-1845.

tidor, âgé pour lors de cinquante-quatre ans, pouvait écrire à un ami en toute vérité :

«Je ne dis point la sagesse, mais le hasard du moins a fait.que je n'ai appartenu à aucun parti, et qu'en conséquence j'ai toujours été mieux placé pour bien voir et bien juger. Je n'ai point émigré et je n'ai jamais approuvé l'émigration, parce que j'ai toujours cru qu'il était absurde de quitter la France dans l'espoir de la sauver, et de se mettre dans la servitude des étrangers pour prévenir ou pour ferminer une querelle nationale. D'autre part, je n'ai pas voulu me mêler des changements et des réformes projetées par les premiers révolutionnaires, parce que je me suis aperçu qu'on voulait former un nouveau ciel et une nouvelle terre, et qu'on avait l'ambition de faire un peuple de philosophes, lorsqu'on n'eût dû s'occuper qu'à faire un peuple d'heureux. J'ai vécu dans la solitude et dans les cachots... »

Ce qu'il aurait dû ajouter, c'est qu'au sortir des cachots, il n'avait paru pour la première fois à la tribune politique qu'aux heures de l'arc-en-ciel, dans les intervalles de l'orage encore menaçant, pour y proclamer avec une douce gravité et une abondance persuasive les maximes saines, salutaires, équitables, tout ce qui calme et réconcilie. Mais le moment de ces maximes de conservation et de guérison sociale n'était point encore venu les paroles de Portalis tombaient dans une atmosphère enflammée, et s'y altéraient au gré des passions. Ce ne fut qu'après l'établissement du Consulat, quand une main de héros eut relevé les colonnes de l'empire, que la voix du sage put y être écoutée sous le portique, que ses maximes de science et de prudence consommée y trouvèrent leur application et leur vrai sens, et que l'homme de bien y acquit toute son autorité et sa valeur.

Dans cette dernière partie de sa vie, la figure de Portalis est complète et personnifie pour nous l'idée du grand jurisconsulte politique, du magistrat touchant au législateur. Agé de près de soixante ans, presque entièrement aveugle, d'une physionomie sérieuse et

fine qu'éclairait un demi-sourire, d'une parole facile, claire, élégante et même fleurie, d'une discussion tempérée et lumineuse, d'une vaste mémoire, consulté en sa maison ou apporté au Conseil sur sa chaise curule comme un vieillard homérique, il nous rend avec originalité ces personnages de l'antique Rome dont Cicéron a célébré les noms, les P. Scévola, les Q. Mucius, les Sextus Ælius, les Nasica; et n'oublions pas cet Aristide, qu'Étienne Pasquier définit le grand prud'homme entre les Athéniens. Il nous rappelle ces personnages de prudence et de savoir, « mais de plus de prudence encore que de savoir, » dont, sous les Empereurs, les avis et les réponses étaient réputés des décisions. Il est un de ceux qui contribuèrent à perpétuer quelque chose de l'esprit de la vieille magistrature française dans les Conseils d'un régime tout nouveau; et, en même temps qu'il donne la main comme avocat et comme magistrat à ces dignes races des de Thou, des Pithou et des anciens parlementaires, il est le Conseiller d'État modèle, de qui se sont honorés de relever tous ceux qui ont marqué depuis dans cette ferme et précise carrière.

Pour bien connaître et pour comprendre le Portalis de la fin, il faut le prendre à sa source et l'étudier dès le commencement: cela nous sera facile, grâce aux secours de tout genre qui nous ont été donnés. Il naquit le 1er avril 1746, au Bausset (arrondissement de Toulon), d'une de ces familles bourgeoises qui restaient étrangères au commerce, et dont les membres, voués à des professions libérales, savaient trouver dans une honnête médiocrité de fortune la considération et l'indépendance. Il fit ses études dans le collége des Oratoriens à Toulon et à Marseille: il s'y distingua par une rare facilité d'élocution et une maturité précoce de jugement. Nous en avons les preuves par deux petits écrits imprimés qu'il composa au sortir du college, dès l'âge

de seize et dix-sept ans, et pendant qu'il était étudiant en droit à l'université d'Aix. Le premier de ces écrits, intitulé Des Préjugés (1762), indique un esprit tourné par goût aux considérations morales; c'est comme un chapitre des Essais de Nicole, dans lequel sont distingués les préjugés de divers genre et de diverse nature: les préjugés d'usage et de société, ceux de parti, ceux qui tiennent au siècle, etc. Le jeune auteur y note assez bien quelques-uns des défauts et des travers de son temps, sans se montrer entraîné en aucun sens, ni engoué ni trop sévère. Sur les idées et les querelles religieuses, il y a des mots heureux : « Les vérités dogmatiques, dit-il, ont des bornes; né libre et peut-être rebelle, l'Esprit humain n'aime point à s'en prescrire. Il sort bientôt du cercle étroit que lui prescrit le Dogme, pour entrer dans les régions, immenses que lui ouvre l'Opinion. » Le jeune homme, nourri dans la tradition et dans la pratique religieuse, paraît préoccupé des querelles et des dissensions théologiques qui agitaient encore à ce moment plusieurs classes de la société : « Un enthousiaste, dit-il spirituellement, ne cherche point dans les Ouvrages divins ce qu'il faut croire, mais ce qu'il croit; il n'y démêle point ce qui s'y trouve, mais ce qu'il y cherche... Les Livres sacrés sont comme un pays où les hommes de tous les partis vont comme au pillage, où ils s'attaquent souvent avec les mêmes armes et livrent bien des combats d'où tous croient sortir également victorieux (1). » On devine, à la manière dont il parle du « judicieux abbé Fleury, » qu'il n'est disposé à donner dans aucun extrême en fait de doctrine ecclésiastique, de même qu'on le trouve très en garde contre les écrits de Rousseau. Il le range, pour son Contrat

(1) Montesquieu a dit quelque chose de pareil dans la CXXXIVe des Lettres Persanes.

*

« PrécédentContinuer »