Images de page
PDF
ePub

ment de sens et un mouvement de gloire qui semble indiquer qu'il ne concevait rien de plus beau ni de plus délicieux au delà. Il allait nager dans son élément.

Lorsque Saint-Simon, de son côté, nous peint les délices et le chatouillement qu'il éprouve à pouvoir observer les visages et les physionomies de la Cour dans les grandes circonstances qui mettent les passions et les intentions secrètes à nu, il ne s'exprime pas avec un sentiment plus vif de délectation que Retz nous rendant sa jouissance à l'idée de se saisir du rôle tant souhaité on en pourrait conclure que l'un était dans son centre comme observateur, et l'autre comme agitateur, artistes tous deux en leur sens, et consolés après tout par leur imagination, quand il leur est donné de raconter leur plaisir passé et de le décrire.

Il y a, dans le second livre de Retz, une admirable conversation entre lui et le prince de Condé, qui, revenu vainqueur de Lens, est véritablement l'arbitre de la situation. Ce premier et double rôle de restaurateur du bien public et de conservateur de l'autorité royale tenta d'abord l'esprit élevé et lumineux de Condé; mais Retz nous fait comprendre à merveille comment le prince ne put s'y tenir; il était trop impatient pour cela « Les héros ont leurs défauts; celui de M. le Prince étoit de n'avoir pas assez de suite dans l'un des plus beaux esprits du monde. » Et, poussant plus loin, Retz nous explique à quoi tient ce peu de suite. Au retour de l'armée, voyant le Parlement aux prises avec la Cour, la gloire de restaurateur du public fut la première idée du prince, celle de conservateur de l'autorité royale fut la seconde. Mais, en voyant l'une et l'autre chose également, il ne les sentit pas également. Balançant entre les deux idées et les voyant même ensemble, il ne les pesait pas ensemble. Il passait de l'une à l'autre : ainsi ce qui lui paraissait un jour plus léger, lui parais

sait le lendemain plus pesant. La manière élevée dont Retz apprécie à ce moment le prince de Condé et ses intentions premières, avant qu'elles eussent dévié et se fussent aigries dans la lutte, mérite qu'on la lui applique à lui-même. Il dit en toute rencontre assez de mal de lui pour qu'on croie à sa sincérité quand il se montre sous un autre jour..

Voulant donc convaincre le prince de Condé qu'il y a un grand et incomparable rôle à jouer dans cette crise entre la magistrature et la Cour, voulant tempérer son impatience et ses colères à l'égard du Parlement, et lui prouver qu'on peut arriver moyennant un peu d'adresse, quand on est prince du sang et vainqueur comme il l'est, à manier et à gouverner insensiblement ce grand Corps, Retz, dans un discours qu'il lui tient à l'hôtel de Condé (décembre 1648), s'élève aux plus hautes vues de la politique, à celles qui devancent les temps, et à la fois il touche à ce qui était pratique alors. Irrité des contrariétés qu'il rencontrait à chaque pas dans les délibérations et les résolutions de cette assemblée, le prince de Condé revenait à ses instincts trèspeu parlementaires et menaçait d'avoir raison de ces bonnets carrés comme de la populace, à main armée et par la force. A quoi Retz lui répondait, avec un instinct prophétique de 89 :

« Le Parlement n'est-il pas l'idole des peuples? Je sais que vous les comptez pour rien, parce que la Cour est armée; mais je vous supplie de me permettre de vous dire qu'on les doit compter pour beaucoup, toutes les fois qu'ils se comptent eux-mêmes pour tout. Ils en sont là. Ils commencent eux-mêmes à compter vos armées pour rien; et le malheur est que leurs forces consistent dans leur imagination et l'on peut dire avec vérité qu'à la différence de toutes les autres sortes de puissances, ils peuvent, quand ils sont arrivés à un certain point, tout ce qu'ils croient pouvoir.»

Le cardinal de Retz, on le voit, en savait aussi long sur la force du Tiers-État que l'abbé Sieyès. Se repor

tant aux âges antérieurs et à l'esprit de ce qui subsistait alors, il définit en termes singulièrement heureux l'antique et vague Constitution de la France, ce qu'il appelle le mystère de l'État : « Chaque monarchie a le sien; celui de la France consiste dans cette espèce de silence religieux et sacré dans lequel on ensevelit, en obéissant presque toujours aveuglément aux rois, le droit que l'on ne veut croire avoir de s'en dispenser que dans les occasions où il ne seroit pas même de leur service de leur plaire. » Il fait voir que tout dernièrement, du côté de la Cour, on avait, avec une insigne maladresse, mis le Parlement en demeure de définir ces cas où l'on pouvait désobéir et ceux où on ne le devait pas faire : << Ce fut un miracle que le Parlement ne levât pas dernièrement ce voile, et ne le levât pas en forme et par Arrêt; ce qui seroit bien d'une conséquence plus dangereuse et plus funeste que la liberté que les peuples ont prise depuis quelque temps de voir à travers. » La conclusion de ce discours mémorable est de viser à réconcilier Condé avec le Parlement, sans le séparer absolument de la Cour, de lui proposer un rôle utile, innocent, nécessaire, qui le ferait le protecteur du public et des Compagnies souveraines, et qui éliminerait infailliblement le Mazarin : c'était toujours compter sans le cœur de la reine. Quoi qu'il en soit, c'est là un beau dialogue et mené avec franchise par les deux interlocuteurs qui vont devenir des adversaires. Dés deux parts, le caractère et le langage sont observés. Condé et Retz se séparent, chacun dans son opinion, mais avec estime; l'un pour la Cour et se décidant, tout bien. pesé, à la défendre; l'autre, restant Coadjuteur et, avant tout, défenseur de Paris.

Bien des querelles, des perfidies, des avanies insultantes survenues depuis ont rabaissé la noblesse de cette première explication et en ont souillé le souvenir :

pourtant on se plaît, en la relisant, à penser que ces grands esprits, ces cœurs impétueux et égarés, n'étaient point à l'origine aussi malintentionnés ni aussi livrés à leur sens tout personnel et pervers qu'ils le parurent depuis, quand les passions et les cupidités de chacun furent déchaînées. Un des plus grands malheurs des guerres civiles est de corrompre bientôt les meilleurs et les plus généreux de ceux qui y entrent. Cela fut vrai du prince de Condé, cela fut vrai même de Retz.

Lui-même il a pris soin de nous indiquer le moment précis, très-voisin de cette conversation, dans lequel il se détermina à se livrer tout à fait à sa passion et à sa haine contre Mazarin (janvier 4649): « Quand je vis, dit-il, que la Cour ne vouloit même son bien qu'à sa mode, qui n'étoit jamais bonne, je ne songeai plus qu'à lui faire du mal, et ce ne fut que dans ce moment que je pris l'entière et pleine résolution d'attaquer personnellement le Mamarin... » A partir de ce jour, tous les moyens lui sont bons pour réussir, les armes, les pamphlets, les calomnies. Voilà le branle qui commence, et il ne songe plus qu'à demeurer le maître du bal, comme le disait très-bien Mazarin lui-même.

C'est à ce moment aussi qu'en artiste qu'il est la plume à la main, se considérant comme sorti du préambule et du vestibule de son sujet, il se donne carrière, et, tandis qu'il n'avait dessiné jusque-là les personnages que de profil, il les montre en face et en pied comme dans une galerie: il ne fait pas moins de dixsept portraits de suite, tous admirables de vie, d'éclat, de finesse, de ressemblance, car l'impartialité s'y trouve même quand il peint des ennemis. Parmi ces dix-sept portraits, dont pas un qui ne soit un chef-d'œuvre, on distingue surtout ceux de la reine, de Gaston duc d'Orléans, du prince de Condé, de M. de Turenne, de M. de La Rochefoucauld, de madame de Longueville et de

son frère le prince de Conti, de madame de Chevreuse et de madame de Montbazon, celui enfin de Mathieu Molé. Cette galerie, dont les traits cent fois répétés et reproduits depuis remplissent toutes nos histoires, est la gloire du pinceau français, et on peut dire qu'avant Saint-Simon il ne s'était rien écrit de plus vif, de plus éclatant, de plus merveilleusement animé. Même depuis Saint-Simon, rien n'a pâli dans cette galerie de Retz, et on admire seulement la différence de manière, quelque chose de plus court, de plus clair, de plus délié en coloris, mais qui ne pénètre pas moins dans le vif des âmes M. le Prince à qui « la nature avoit fait l'esprit aussi grand que le cœur, » mais à qui la fortune n'a pas permis de montrer l'un comme l'autre dans toute son étendue et qui n'a pu remplir son mérite; M. de Turenne à qui il n'a manqué de qualités « que celles dont il ne s'est pas avisé, » et à qui il ne faut jamais en refuser une, « car qui le sait? il a toujours eu en tout, comme en son parler, de certaines obscurités qui ne se sont développées que dans les occasions, mais qui ne se sont jamais développées qu'à sa gloire; » madame de Longueville qui « avoit une langueur dans ses manières qui touchoit plus que le brillant de celles mêmes qui étoient plus belles. Elle en avoit une même dans l'esprit qui avoit ses charmes, parce qu'elle avoit des réveils lumineux et surprenants. » Il faudrait tout citer, tout rappeler dans ces tableaux d'une touche à la fois si forte et si ravissante.

Ces portraits, venant après la belle conversation politique avec le prince de Condé, après les merveilleuses scènes de comédie des premiers jours des Barricades, et après les grandes et hautes 'considérations qui précèdent, composent une entrée en matière et une exposition unique qui subsiste même quand le reste de la pièce ne tient pas.

« PrécédentContinuer »