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Le style de Retz est de la plus belle langue; il est plein de feu, et l'esprit des choses y circule. Depuis que l'on a de ces Mémoires une meilleure édition, il est facile de voir que les obscurités qu'on leur a reprochées tenaient simplement, la plupart, à. des altérations de la copie. Il y a pourtant à faire encore en plus d'un endroit pour établir un bon texte; on en a désormais tous les éléments. La langue est de cette manière légèrement antérieure à Louis XIV, qui unit à la grandeur un air suprême de négligence qui en fait la grâce. L'expression y est gaie volontiers, pittoresque en courant, toujours dans le génie français, pleine d'imagination cependant et quelquefois de magnificence. Parlant d'un magistrat prisonnier que l'insurrection réclame de la Cour, et qui est rendu à la liberté : « L'on ne voulut pas quitter les armes, dit Retz, que l'effet ne s'en fût ensuivi; le Parlement même ne donna point d'Arrêt pour les faire poser, qu'il n'eût vu Broussel dans sa place. Il y revint le lendemain, ou plutôt il y fut porté sur la tête des peuples avec des acclamations incroyables. » Je n'examine pas si l'expression est proportionnée à l'importance de Broussel; mais comme elle rend fidèlement l'impression et l'exaltation du moment! Retz, vous le pensez bien, n'en est pas dupe, et, montrant tout aussitôt Paris, dès qu'on lui a rendu son Broussel, redevenu « plus tranquille que je ne l'ai jamais vu le Vendredi-saint, » il nous fait sentir la contrepartie railleuse sans l'exprimer. — « La Cour qui se sentoit touchée à la prunelle de l'œil... » dira-t-il à propos de la révocation des intendants, mise en délibération par les Cours souveraines réunies; il est rempli de ces expressions sensibles et animées. D'autres fois il étend agréablement ses images; ainsi, opposant son crédit bien enraciné à la faveur d'un jour du duc d'Elbeuf: << Le crédit parmi les peuples, cultivé et nourri de

«

longue main, dit-il, ne manque jamais à étouffer, pour peu qu'il ait de temps pour germer, ces fleurs minces et naissantes de la bienveillance publique, que le pur hasard fait quelquefois pousser. » Indiquant les moyens qu'il avait de bonne heure employés pour fonder ce crédit, il parle de ses grandes aumônes, et des libéralités << trèssouvent sourdes, dont l'écho n'en étoit quelquefois que plus résonnant. » Cette langue de Retz est neuve et originale avec propriété. Il excelle à donner aux mots toute leur valeur de sens, toute leur qualité, et il la fait quelquefois mieux sentir en lá développant. Après avoir dit que le premier président Molé était tout d'une pièce, ce qui est une expression bonne, mais ordinaire, il ajoutera « Le président de Mesmes, qui étoit pour le moins aussi bien intentionné pour la Cour que lui, mais qui avoit plus de vue et plus de jointure, lui répondit à l'oreille... » Voilà comme on crée légitimement une expression neuve, comme on la tire d'une expression commune. Au reste, la plume de Retz fait toutes ces choses sans y prendre garde et sans y songer. Il avait le don de la parole, et ce qui se jouait et se peignait dans son esprit ne faisait qu'un bond sur le papier. Il faut ajouter qu'il y a bien des inégalités dans cette langue. Les derniers volumes ont de la langueur. Le récit de l'auteur, dans les premiers, est semé, et même avec une certaine affectation (c'est la seule), de réflexions politiques desquelles Chesterfield disait qu'elles étaient les seules justes, les seules praticables qu'il eût jamais vues imprimées. Elles apprendraient l'expérience, si jamais l'expérience s'apprenait par les livres. Elles la rappellent du moins et la résument d'une manière frappante pour ceux qui ont vu et vécu.

Ce n'est là qu'un premier crayon du livre et de l'homme; il me coûterait de dire que je n'y reviendrai pas.

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Lundi, 27 octobre 1851.

RIVAROL

Après Chamfort et Rulhière, c'est le tour de Rivarol; on s'est accoutumé à les réunir. Il était plus jeune qu'eux. Né à Bagnols dans le Gard, en avril 1757 selon quelques biographes, il n'aurait eu que quarante-quatre ans quand il mourut à Berlin en avril 1801; ceux qui le font naître plus tôt ne lui donnent au plus que quarante-huit ans à la date de sa mort. Cette fin prématurée doit disposer à quelque indulgence pour un homme d'un esprit ferme et brillant, que la société avait beaucoup distrait, que la Révolution avait jeté dans l'exil, et qui n'a pu mener à fin de grands projets d'ouvrages, sur lesquels il a mieux laissé pourtant que des pro

messes.

Il paraît bien que Rivarol était noble, malgré toutes les plaisanteries et les quolibets qu'il eut à essuyer à ce sujet. Jeune, en débutant dans le monde littéraire, il commença par blesser la vanité de la foule des petits auteurs; ils s'en vengèrent en s'en prenant à sa naissance. Son grand-père, Italien d'origine, né en Lombardie, après avoir fait la guerre de la Succession au service de l'Espagne, s'était établi en Languedoc et y avait épousé une cousine germaine de M. Déparcieux, de l'Académie des Sciences. Le père de Rivarol, homme instruit, dit-on, et qui même aurait eu le goût d'écrire, manquait de fortune; il eut seize enfants, dont

Rivarol était l'aîné. La gêne domestique l'obligea à tenir quelque hôtel ou table d'hôte, circonstance qui fut tant reprochée depuis à Rivarol:

C'est dans Bagnols que j'ai vu la lumière,

Au cabaret où feu mon pauvre père

A juste prix faisait noce et festin,

lui faisait dire Marie-Joseph Chénier dans une assez triste Satire. Rivarol, à son entrée dans le monde, y parut d'abord sous le nom de chevalier de Parcieux, s'autorisant de la parenté qu'il avait par sa grand' mère avec le savant (Déparcieux) si justement honoré, et que recommandaient de grands projets d'utilité publique. On lui contesta son droit à porter ce nom, et il reprit celui de Rivarol: il fit bien; c'est un nom sonore, éclatant, qui éveille l'écho et qui s'accorde bien avec la qualité de son esprit.

Il fit ses études dans le Midi sans doute et peut-être à Cavaillon; ce dut être dans un séminaire, car il eut affaire à l'évêque, et il porta dans un temps le petit collet (1). Quoi qu'il en soit, on le trouve à Paris tout éclos vers 1784. Une figure aimable, une tournure élégante, un port de tête assuré, soutenu d'une facilité rare d'élocution, d'une originalité fine et d'une urbanité piquante, lui valurent la faveur des salons et cette première attention du monde que le talent attend quelquefois de longues années sans l'obtenir. Rivarol semblait ne mener qu'une vie frivole, et il était au fond sérieux et appliqué. Il se livrait à la société le jour, et il travaillait la nuit. Sa facilité de parole et d'improvisation ne l'empêchait pas de creuser solitairement sa pensée. Il étu-. diait les langues, il réfléchissait sur les principes et les instruments de nos connaissances, il visait à la gloire

(1) Quelques biographes disent qu'il avait nom l'abbé (et non le chevalier) de Parcieux. Ces origines de Rivarol sont inextricables.

du style. Quand il se désignait sa place parmi les écrivains du jour, il portait son regard aux premiers rangs. Il avait de l'ambition sous un air de paresse. Cette ambition littéraire se marqua dans les deux premiers essais de Rivarol, sa traduction de l'Enfer de Dante (1783), et son Discours sur l'Universalité de la Langue française, couronné par l'Académie de Berlin (1784).

Traduire Dante était pour Rivarol « un bon moyen, disait-il assez avantageusement, de faire sa cour aux Rivarol d'Italie, » et une façon de payer sa dette à la patrie de ses pères; c'était indirectement faire preuve de sa noblesse d'au delà des monts. C'était surtout aussi une manière de s'exercer sur un beau thème et de lutter avec un maître. Rivarol, nommons-le tout d'abord par son vrai nom, est un styliste; il veut enrichir et renouveler la langue française, même après Buffon, même après Jean-Jacques. N'ayant pas d'abord en luimême un foyer d'inspiration et un jet de source suffisant pour lui faire trouver une originalité toute naturelle, il cherche cette originalité d'expression par la voie littéraire et un peu par le dehors. Il s'attaque à Dante dont il apprécie d'ailleurs l'austère génie. « Quand il est beau, dit-il, rien ne lui est comparable. Son vers se tient debout par la seule force du substantif et du verbe sans le secours d'une seule épithète. » C'est en se prenant à ce style « affamé de poésie, » qui est riche et point délicat, plein de mâles fiertés et de rudesses bizarres, qu'il espère faire preuve de ressources et forcer la langue française à s'ingénier en tout sens. « Il n'est point, selon lui, de poëte qui tende plus de piéges à son traducteur; » il compte parmi ces piéges les hardiesses et les comparaisons de tout genre dont quelques-unes lui semblent intraduisibles dans leur crudité. Il se pique d'en triompher, de les éluder, de les faire sentir en ne les exprimant qu'à sa façon. << Un

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