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devais dire qu'elle m'avait grondée et que je m'étais raccommodée avec elle. Nous rentrâmes à sept heures, je retournai chez moi bien triste, ne comprenant rien du tout à ce que ma mère m'avait dit. »

C'est dans cette suite de transes, d'énigmes et de cauchemars pénibles que se passèrent pour elle les années et le songe d'ordinaire si léger de l'enfance.

En entrant au Temple, il n'y avait plus d'énigme, et le voile tout entier se déchira. Le monde, pour elle, se présentait comme partagé nettement en deux, les bons et les méchants: les méchants, c'est-à-dire tout ce que l'imagination humaine, dans les heures de paix et de régularité sociale, ose à peine se représenter à nu, la brutalité dans toute sa grossièreté et sa bassesse, le vice et l'envie dans toute l'ivresse ignoble de leurtriomphe et dans la cruauté de leurs raffinements; les bons, c'est-à-dire quelques-uns, touchés, pleurant, timides, adoucissant le mal à la dérobée et se cachant.

Pour que le jeune cœur de Madame Royale ne prît point à cette heure une haine irréconciliable et un mépris sans retour pour la race humaine, pour qu'elle conservât sa sérénité, sa candeur, sa foi, son espérance au bien, il fallut les divins exemples et les secours qu'elle trouva autour d'elle, surtout dans sa tante Élisabeth, cette personne céleste; il fallut cette religion précise, pratique, dont nul esprit fort n'aura jamais le droit de sourire, puisqu'elle seule est de force à soutenir et à consoler de telles douleurs. Un jour (20 avril 1793) le misérable Hébert, avec quelques municipaux, arriva dans la prison à dix heures du soir; les prisonniers venaient de se coucher:

« Nous nous levâmes précipitamment, dit Madame Royale. Ils nous lurent un arrêté de la Commune qui ordonnait de nous fouiller à discrétion, ce qu'ils firent exactement jusque sous les matelas. Mon pauvre frère dormait; ils l'arrachèrent de son lit avec dureté pour fouiller dedans; ma mère le prit tout transi de froid. Ils ôtèrent à ma

mère une adresse de marchand qu'elle avait conservée, un bâton de cire à cacheter qu'ils trouvèrent chez ma tante, et à moi ils me prirent un Sacré-Cœur de Jésus et une Prière pour la France. Leur visite ne finit qu'à quatre heures du matin... Ils étaient furieux de n'avoir trouvé que des bagatelles.

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Ce Sacré-Cœur de Jésus et cette Prière pour la France se tiennent plus étroitement qu'il ne semble, et il fallait peut-être avoir toute la foi à l'un pour pouvoir à ce moment prier pour l'autre.

On a dit quelquefois que Madame la duchesse d'Angoulême avait une rancune contre la France, et qu'en rentrant en 1814 et en 1815 elle marqua involontairement cette disposition dans quelques-unes de ses paroles; car, pour des actes, il serait impossible d'en trouver un seul à lui reprocher. Mais les personnes qui l'ont le mieux connue, et qui sont le plus dignes de foi, assurent qu'une telle disposition était bien loin d'être la sienne. Elle était franche et vraie; elle était même un peu rude et brusque d'accueil, comme son père. Incapable d'une mauvaise pensée, mais aussi d'une feinte, si elle ne vous aimait pas, il lui était impossible de vous dire ou de vous laisser croire le contraire. « C'était le plus loyal gentilhomme, me dit-on, et qui n'a jamais menti. » Elle aimait ses amis, elle pardonnait à ses ennemis; mais, dans la religion de sa race et de son malheur, elle croyait aux fidèles et aux infidèles, aux bons et aux méchants: peut-on s'en étonner?

Le récit qu'elle a tracé des événements du Temple fut écrit au Temple même dans les derniers mois de sa détention et quand on se fut relâché de l'extrême rigueur. Elle ne craint pas d'y indiquer quelques-uns des officiers municipaux qui, étant de garde à leur tour, entraient dans les chagrins de la famille royale et les adoucissaient par leurs égards et leur sensibilité :

« Nous connaissions de suite à qui nous avions affaire, dit-elle,

ma mère surtout, qui nous a préservés plusieurs fois de nous livrer à de faux témoignages d'intérêt... Je connais tous ceux qui s'intéressèrent à nous; je ne les nomme pas, de peur de les compromettre dans l'état où sont les choses, mais leur souvenir est gravé dans mon cœur ; si je ne puis leur en marquer ma reconnaissance, Dieu les récompensera; mais si un jour je puis les nommer, ils seront aimés et estimés de toutes les personnes vertueuses. >>

Cette jeune fille royale, qui croit naturellement au droit de sa race, veut exprimer par là que la fidélité à ses rois dans le malheur est un devoir et une vertu; mais, même quand il n'en serait pas tout à fait comme elle le pense, son expression droite et naïve ne l'a point trompée; elle dit vrai encore: car ce qui n'était plus un devoir de fidélité peut-être, en était un pour le moins d'humanité, et quiconque a passé le seuil du Temple en ces trois années et y a paru compatissant à de telles infortunes, mérite l'estime, de même que quiconque y a passé sans être touché au cœur ni serviable, a une mauvaise marque.

Dans ce récit exact, méthodique, sensé et touchant, Madame donne la mesure de sa raison précoce et de son bon jugement dans les choses de l'âme. Elle s'y montre très-frappée de la dignité de sa mère qui, aux paroles de diverse sorte qu'on adressait aux nobles captifs, n'opposait le plus souvent que le silence : << Ma mère, comme à l'ordinaire, ne dit mot, écrit Madame à propos d'une nouvelle insultante qu'on leur annonçait, et elle n'eut pas même l'air d'entendre; souvent son calme si méprisant et son maintien si digne en imposèrent : c'était rarement à elle qu'on osait adresser la parole. » Ce n'est que le premier jour du procès de Louis XVI, quand elle le voit emmené pour être interrogé à la barre de la Convention, ce n'est que ce jour-là que Marie-Antoinette succombe à son inqujétude et qu'elle rompt son silence généreux : « Ma mère avait tout tenté auprès des municipaux qui la gardaient pour

apprendre ce qui se passait; c'était la première fois qu'elle daignait les questionner. » Dans ce récit tout simple et que nul ne lira sans larmes, il y a des traits qui font une impression profonde, et dont la plume qui écrit ne se doute pas. Madame a un mal au pied (les engelures par suite du froid), et qui se complique d'un mal plus intérieur. Louis XVI, sur ces entrefaites, est condamné. Sa famille, qui avait espéré le revoir une dernière fois, et l'embrasser le matin même de sa mort, est dans la désolation qu'on peut concevoir :

« Mais rien, écrit Madame, n'était capable de calmer les angoisses de ma mère; on ne pouvait faire entrer aucune espérance dans son cœur : il lui était devenu indifférent de vivre ou de mourir. Elle nous regardait quelquefois avec une pitié qui faisait tressaillir. Heureusement le chagrin augmenta mon mal, ce qui l'occupa. On fit venir mon médecin... >>

Heureusement, ce mot échappé par mégarde dans cette image de douleur fait un effet étrange et qu'une parole à la Bossuet n'égalerait pas.

'C'est en songeant à ces scènes douloureuses du Temple que M. de Chateaubriand, qu'il ne faut pourtant pas confondre ici (comme on l'a fait trop souvent) avec Bossuet, a dit dans Atala, par la bouche du Père Aubry : « L'habitant de la cabane et celui des palais, tout souffre, tout gémit ici-bas; les reines ont été vues pleurant comme de simples femmes, et l'on s'est étonné de la quantité de larmes que contiennent les yeux des rois. >>

Un poëte populaire, faisant allusion à cette phrase célèbre, mais continuant de mettre en opposition les classes, a dit :

De l'œil des rois on a compté les larmes ;
Les yeux du peuple en ont trop pour cela!

Une pareille idée d'opposition ne se présentera jamais,

je puis l'assurer, à celui qui viendra de relire le simple récit chrétien et humain de Madame Royale au Temple. Tout esprit de parti se désarme et expire en le lisant, et il n'y a place qu'à une compassion et à une admiration • profondes. La douceur, la piété, la pudeur, animent ces pages de la jeune fille si froissée. Elle passe seule, avec Madame Élisabeth, l'hiver de 93-94: « On nous tutoya beaucoup pendant l'hiver, dit-elle. Nous méprisions toutes les vexations, mais ce dernier degré de grossièreté faisait toujours rougir ma tante et moi. » Le plus cruel moment pour elle fut celui où, après la mort de son père, après la disparition de sa mère, de sa tante, ignorant le sort définitif de ces deux têtes si chères, dans les semaines qui précédaient le 9 thermidor, elle entendait de loin son frère, déjà en proie aux corrupteurs, et à qui le cordonnier Simon faisait chanter des chansons atroces :

« Pour moi, dit-elle, je ne demandais que le simple nécessaire; souvent on me le refusait avec dureté. Mais au moins je me tenais propre; j'avais du savon et de l'eau ; je balayais la chambre tous les jours; j'avais fini à neuf heures que les gardes entraient pour m'apporter à déjeuner. Je n'avais pas de lumière; mais, dans les grands jours, je souffrais moins de cette privation. On ne voulait plus me donner de livres je n'en avais que de piété, et des voyages que j'avais lus mille fois. >>

Enfin la Convention, après le 9 thermidor, s'adoucit : l'opinion publique se fit jour, et la pitié osa murmurer. Un des commissaires chargés de visiter la jeune princesse au Temple l'a représentée dans son attitude digne, souffrante et appauvrie; tricotant, assise près de la fenêtre et loin du feu (car elle ne voyait pas assez clair pour son travail près de la cheminée), les mains enflées par le froid et pleines d'engelures (car on ne lui donnait pas assez de bois pour la chauffer à cette distance). On lui marqua pour la première fois des égards et le

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