Images de page
PDF
ePub

désir d'adoucir son sort. Son premier mouvement fut d'être incrédule, silencieuse, et de s'y refuser. A une question qui lui fut faite sur un piano qui était dans la chambre et qu'on supposait pouvoir la distraire : « Non, monsieur, répondit-elle, ce piano n'est pas à moi, c'est celui de la reine; je n'y ai pas touché, et je n'y touche rai pas. » A une autre question sur sa bibliothèque, qui se composait de l'Imitation de Jésus-Christ et de quelques livres de piété, et qui était peut-être insuffisante pour la désennuyer: « Non, monsieur, répondit-elle encore; ces livres sont précisément les seuls qui conviennent à ma situation. »

Ce moment qui s'écoula entre le 9 thermidor et la délivrance de la princesse aux derniers jours de l'année 1795, fut celui où toute une littérature royaliste essaya d'éclore autour d'elle. On lui fit des romances sentimentales qu'on lui chantait de loin, et dont le refrain l'avertissait que des amis veillaient désormais sur son sort. On y célébrait la chèvre et le chien qu'on lui avait accordés dans les derniers temps, et que, des fenêtres voisines, on apercevait avec elle dans le jardin de la prison. Madame la duchesse d'Angoulême a été ou a pu être le centre de toute une littérature contemporaine qu'on suivrait à la trace, depuis la romance de M. Lepitre, qui se chantait sous les murs du Temple, jusqu'au roman 'd'Irma ou les Malheurs d'une Jeune Orpheline, Histoire indienne, avec des romances, publiée par Madame Guénard en l'an VIII, jusqu'à l'Antigone de Ballanche qui couronne plus noblement cette littérature allégorique et mythologique en 1844. Mais un trait distinctif de Madame la duchesse d'Angoulême est d'être restée complétement étrangère à cette invasion un peu tardive de la sentimentalité publique. Son honneur est de n'avoir à aucun degré laissé la littérature, le roman, le drame, s'introduire dans le sanctuaire, à

jamais voilé, de sa douleur. « Je n'aime pas les scènes, » dit-elle un jour un peu brusquement à une femme qui, aux Tuileries, se jetait à ses pieds sur son passage pour la remercier d'un bienfait. Les scènes, elle en avait trop vu et de trop affreusement réelles pour en supporter l'image. La sincérité profonde de son deuil et de son affliction filiale eut en cela le même effet qu'aurait pu désirer le goût le plus éclairé et le plus sévère. Toute cette littérature plus ou moins exaltée, et dans le goût de Madame Cottin, qui s'agitait autour de la jeunesse. de Madame Royale, ne l'atteignit évidemment en rien, et le récit qu'elle a tracé en 1795 des événements du Temple serait la critique de tous ces autres récits et de ces faux tableaux d'alentour, si on pouvait songer seulement à les rapprocher. Elle fit preuve d'un grand bon sens jusque dans l'extrême douleur.

Sortie de France, à Vienne, puis à Mittau où on la marie à son cousin, partout, dans les exils divers où la ballotta la fortune, elle est la même : la vie du Temple est là comme dans le fond de son oratoire, pour dominer chacune de ses journées et lui en dicter l'emploi. Soumise à son oncle, dans lequel elle voit à la fois un roi et un père, elle ne songe qu'à réunir toutes ses religions et à les pratiquer fidèlement. Une scène des plus touchantes et qui est très-bien racontée par un de ses historiens (M. Nettement), c'est lorsqu'à Mittau, en mai 1807, elle veut soigner et assister jusqu'à la fin l'abbé Edgeworth de Firmont, ce même prêtre qui avait accompagné Louis XVI jusqu'à l'échafaud. Une fièvre contagieuse s'était déclarée parmi les prisonniers français amenés à Mittau par suite des événements de la guerre. L'abbé Edgeworth, en leur donnant ses soins, avait contracté cette maladie, une espèce de typhus; et c'est en ces circonstances extrêmes que Madame d'Angoulême ne 'voulut jamais l'abandonner: « Moins il a

connaissance de ses besoins et de sa position, disait-elle, plus la présence d'une amie lui est nécessaire... Rien ne m'empêchera de soigner moi-même l'abbé Edgeworth; je ne demande à personne de m'accompagner. >> Elle voulait lui rendre, autant qu'il était en elle, ce qu'il avait apporté de consolation et de secours à Louis XVI mourant. Madame la duchesse d'Angoulême vécut et habita continuellement dans cet ordre de pensées, sans s'en laisser distraire un seul jour.

Madame d'Angoulême eut-elle jamais un vrai jour de bonheur depuis sa sortie du Temple? Y eut-il jamais place, dans ce cœur qui avait été saturé d'agonie dès sa tendre jeunesse, à une pure et véritable joie? Il est difficile, malgré tout, qu'elle n'en ait pas ressenti comme une source imprévue et jaillissante dans les grands moments de 1814, dans cette année qui devait lui sembler à chaque pas toute remplie des prodiges et des témoignages éclatants de la Providence. Cette sorte d'ivresse pourtant, si elle en ressentit quelque chose, ne résista point aux événements de Bordeaux, et à cette nouvelle épreuve si amère qu'elle fit de la fragilité et de l'infidélité humaines.

Elle était, on le sait, dans cette ville au moment où l'on apprit le débarquement de Napoléon en Provence (mars 1815). Madame d'Angoulême, obéissant à l'impulsion du sang maternel, eut l'idée d'une résistance; et, pour l'organiser, elle fit tout ce qu'on pouvait attendre d'un noble et viril caractère. L'opinion de la ville lui était toute favorable et dévouée; c'étaient les troupes et la garnison qui semblaient incertaines, du moment que l'aigle et le grand capitaine reparaissaient. Mais elle, bien qu'avertie par les généraux, elle ne pouvait croire que cette fidélité fût douteuse, puisque, la veille encore, elle avait reçu de ces hommes, qu'elle considérait comme des braves, des hommages réitérés et des ser

ments. Les historiens de la Restauration ont très-bien raconté ces scènes où figure Madame d'Angoulême, et tous s'accordent à louer son courage actif et son attitude. Elle parcourut les casernes, elle essaya d'électriser les soldats, elle les piqua d'honneur, rien n'y fit; elle trouvait les cœurs fermés et repris par leur vieil amour. Tous les efforts épuisés, et au moment de partir, se tournant vers les généraux qui l'avaient suivie, elle leur dit qu'elle comptait sur eux du moins pour garantir les habitants contre toute réaction: « Nous le jurons! » s'écrièrent les généraux en levant la main.

<< Je ne vous demande pas de serments, répliquat-elle avec un geste de pitié dédaigneuse; on m'en a fait assez, je n'en veux plus (1). » Ce mot altier, elle avait droit de le dire, et certes peu de personnes ont vu de leurs yeux plus qu'elle jusqu'où peuvent aller, selon les temps, ou la méchanceté ou la versatilité des hommes.

Mirabeau avait dit de Marie-Antoinette : « Le roi n'a qu'un homme, c'est sa femme. » Madame la duchesse d'Angoulême mérita que Napoléon dit quelque chose de pareil pour sa conduite à Bordeaux. Ces éloges, même en ce qu'ils ont d'un peu exagéré, servent d'indication de loin et s'enregistrent dans l'histoire.

La seconde Restauration ne put lui rendre aucune ivresse; en rentrant aux Tuileries, elle y voyait Fouché, un régicide, ministre du roi. Sa religion droite et inviolable ne pouvait admettre un seul instant ces transactions monstrueuses que la politique elle-même a peine à comprendre, et que certainement elle n'exigeait pas. Depuis ce moment de 1815, on ne saurait rencontrer Madame d'Angoulême dans aucun acte politique proprement dit, et toute sa vie fut de famille et d'intérieur. J'ai interrogé sur son compte des hommes qui l'ont

(1) Histoire des deux Restaurations, par M. de Vaulabelle.

beaucoup approchée, et voici ce qui m'a été répondu. Chaque jour pour elle se ressemblait, excepté les jours funèbres et marqués par les plus douloureux anniversaires. Elle se levait de grand matin, à cinq heures et demie par exemple; elle entendait vers six ou sept heures une messe pour elle seule. On conjecture qu'elle y communiait souvent, mais on ne la voyait pas communier, si ce n'est peut-être aux grands jours. Rien de solennel, aucun apparat; elle était toute en humble chrétienne à l'acte religieux; elle faisait discrètement et secrètement les choses saintes.

Elle vaquait de grand matin aux soins de son appartement et de sa chambre, aux Tuileries presque comme elle faisait au Temple.

Elle ne parlait jamais des choses pénibles et saignantes de sa jeunesse, sinon à très-peu de personnes de son intimité. Le 21 janvier et le 46 octobre, jours de la mort de son père et de sa mère, elle s'enfermait seule, ou quelquefois elle faisait demander, pour l'aider à passer ces journées cruelles, quelque personne avec laquelle elle était à l'unisson de deuil et de piété (feu madame de Pastoret, par exemple).

Elle était aumônière à un degré qu'on ne sait pas, et qu'il est difficile d'approfondir; ceux qui étaient le plus au fait de ses charités et de ses œuvres en découvrent chaque jour qui sortent de dessous terre, et qu'on n'avait pas connues. Elle était en cela de la véritable lignée directe de saint Louis.

Sa vie était la plus régulière du monde et la plus simple, soit aux Tuileries, soit depuis dans l'exil. La conversation de son intérieur était fort naturelle. Dans les moments où le malheur faisait trêve autour d'elle, on remarquait qu'elle aurait eu volontiers dans l'esprit ou dans l'humeur une certaine gaieté dont elle n'eut, hélas! à faire que trop peu d'usage. Mais, dans l'inti

« PrécédentContinuer »