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mérite, c'est-à-dire de son utilité ; et qu'à quelques exceptions près, il n'y aurait de misérables que les gens vicieux ou inutiles. Alors l'estime reprendrait sa force parmi les hommes ; et ils ser raient plus portés à se protéger mutuellement, ou pour mieux dire, ils n'en auraient presque plus besoin.

I

En France, comme dans beaucoup d'autres pays, la masse du peuple est encore peu instruite sur l'organisation sociale la plus convenable aux peuples modernes ; mais si on ne voit que confusément ce qui convient, on voit du moins d'une manière très-claire ce qui ne convient plus ; et l'on est aussi peu disposé à se précipiter dans le régime de la féodalité, qu'à revenir à un système de démagogie qui dissoudrait le corps social, ou à un système militaire qui amènerait de nouveau la misère et la ruine de l'État. Un avantage inappréciable qu'a la France sur les autres peuples, c'est que l'intervalle qui sépare le régime féodal du gouvernement représentatif est franchi, et qu'il n'y a plus moyen de rétrograder. Par suite de cette transition, les intérêts des hommes les moins instruits se trouvent étroitement liés aux intérêts des hommes les plus éclairés et les plus déterminés à soutenir une forme de gouvernement qui protége tout ce qu'il

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y a d'utile, et qui ne laisse pas aux abus lé temps de prendre racine. De faux systèmes peuvent encore être produits; mais les hommes intéressés à les faire adopter, ont manifesté des prétentions si contraires aux intérêts du peuple, que la méfiance qu'ils inspirent aux esprits même les plus bornés, sert mieux la cause de la liberté que tous les raisonnemens possibles : pour un pemple qui a pris en haine, on pourraît même dire en horreur, toute institution féodale, c'est un mauvais signe de ralliement qu'un titre de marquis ou de baron.

L'esprit militaire, si dangereux pour la liberté, a perdu tout son empire. Presquè tous les hommes, dont la violence avait fait des instrumens de dévastation et d'asservissement, sont rentrés dans la classe industrieuse à laquelle on les avait arrachés. En reprenant des habitudes d'ordre et de travail, ils se convaincront qu'il y a fort peu de gloire à vivre dans l'oisiveté, et au moyen de ce qu'on ravit à ses semblables, on de ce qu'on aide à leur ravir. Après avoir appris de deurs concitoyens à respecter les propriétés des autres, its pourront à leur tour leur enseigner à défendre leurs foyers, et à repousser toute forcé qui menacerait leur pays d'asservissement. Ainsi, la destruction d'une armée permanente trop

nombreuse, nuisible peut-être au moment où elle a eu lieu, aura eu néanmoins le triple avantage de diminuer les forces du pouvoir arbitraire, d'augmenter la classe des personnes industrieuses, et de leur donner plus de capacité pour se défen2 dre, dans le cas où elles auraient besoin d'empêcher que deurs richesses devinssent la proie de leurs ennemis. On doit d'ailleurs aux armées françaises cette justice qu'elles ont eu toujours horreur des guerres civiles; qu'à toutes les époques elles sont restées du côté de la nation contre les armées étrangères, et que si des généraux ont quelquefois trahi leur pays pour passer à l'ennemi, elles ont constamment abandonné les traîtres.

Les faux systèmes discrédités, l'esprit d'envahissement détruit, et le spectacle des crimes de la révolution ayant perda sa funeste influence, toutes les idées saines reprennent leur empire, et chacun se sent assez de courage pour les dé fendre dès qu'il en a les moyens. Les fausses craintes et l'esprit de faction peuvent encore mettrè quelques entraves aux progrès de l'esprit humain; mais le cercle des hommes peureux et des gens de parti se resserre de jour en jour ; et le moment n'est peut-être pas loin où les uns et les autres sentiront qu'il n'est pas an pouvoir de quelques

individus de faire marcher les peuples en arrière.

Mais comment les Français jouiront-ils de quelque liberté civile ou politique, si l'indépendance nationale de la France est anéantie, et si des gouvernemens étrangers peuvent se mêler de ses affaires intérieures ? Cette objection est grave, sans doute; mais il mais il ne faut pas lui donner plus d'importance qu'elle n'en mérite. Si tous les projets de paix perpétuelle qu'on a faits jusqu'à ce jour ont été jugé chimériques, quoique fondés sur l'intérêt commun des hommes, il serait difficile de croire à la perpétuité d'une paix qui n'aurait pour but que l'inique asservissement d'une nation. Il peut bien convenir au gouvernement de tel peuple d'Europe que la France soit épuisée, la France soit épuisée, et que toute influence de sa part soit anéantie; mais ce qui convient à quelques-uns ne convient pas à tous. La maxime de Machiavel, d'asservir les peuples les uns par les autres en les divisant, est trop connue d'ailleurs pour être dangereuse; et ce n'est pas en Europe qu'un diplomate astucieux pourra trouver des Indiens.

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Nota. Dans un second article nous développerons les moyens qui peuvent donner de la stabilité aux institutions des peuples modernes. Nous ferons voir que le premier est que chacun jouisse, dans l'ordre social, d'une influence et d'une considération proportionnées à sa valeur ou à son utilité absolue. (Voir la note de la page 54.)

DE L'ÉQUILIBRE

DES PUISSANCES EUROPÉENNES.

ravir a

Le premier moyen dont l'homme s'avise pour satisfaire ses besoins, c'est de prendre ; été sa première industrie ; ç'a été aussi le premier objet des associations humaines, et l'histoire ne fait guère connaître de sociétés qui n'aient été d'abord formées pour la guerre et le pillage. Les peuples anciens les plus connus, les nations modernes les plus civilisées, n'ont été originairement que des hordes sauvages vivant de rapine.

Tant que ces peuples sont resté barbares, et il en est qui le sont toujours restés, tant que Ia guerre a été leur principal moyen d'existence, il a été impossible qu'ils eussent l'idée de vivre en état de paix ; et la raison en est simple, c'est que n'ayant aucune industrie, aucun moyen de produire les choses nécessaires à leurs besoins ils n'auraient pu prendre la résolution de vivre en paix sans se condamner, en quelque sorte, périr. Aussi voit-on que les Romains, dont la

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