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et de nature particulièrement compromettante, qui consiste à prendre parti, en cas de guerre entre d'autres États, pour l'un ou pour l'autre des belligérants. La neutralité permanente exclut positivement de la sphère d'action licite de l'État neutre un tel acte, qu'il soit posé sous forme d'alliance ou d'autre manière. Elle apporte donc, sous ce rapport, un tempérament à la souveraineté de cet État dans une sphère nettement déterminée. Mais elle n'affecte pas autrement cette indépendance. Les traités de neutralité perpétuelle, dit fort justement un auteur dont les théories sont assez aventureuses à d'autres points de vue (1), les traités de neutralité perpétuelle « n'ont rien de commun avec les traités de protectorat. Ils laissent en effet à l'État neutre sa pleine liberté intérieure et son autonomie extérieure. >>

La neutralité permanente, insistons aussi sur ce point, est quelque chose de plus que la simple neutralité de principe.

La neutralité de principe peut revêtir des formes diverses. Elle peut affecter la forme d'une pure maxime d'État, réellement affirmée, ayant son fondement dans les convictions juridiques et dans les intérêts permanents d'un peuple, dans la constatation de ses conditions géographiques, dans la conscience de sa vocation au sein des nations civilisées. Trois siècles de l'histoire de la Suisse, nous fait observer à ce propos Schweizer, démontrent que sans traité international, sans protection et sans garantie du dehors, un petit État peut conserver en droit et en fait sa neutralité, érigée en maxime d'État (2).

(1) PICCIONI. Essai sur la neutralité permanente, p. 56. (2) SCHWEIZER, Geschichte der schweizerischen Neutralität, p. 74.

Il est manifeste qu'en pareil cas, une certaine convergence des intérêts des États voisins avec les intérêts du neutre peut concourir puissamment au succès de l'entreprise. Et il appert que la comparaison faite par le neutre de sa puissance avec celle de ses voisins peut n'être pas étrangère à une ligne de conduite qui ne laisse pas d'avoir, au demeurant, ses périls propres car elle peut créer l'isolement dans l'insécurité. Mais cela posé, on peut admettre qu'un petit État n'a pas à rougir si, après avoir pourvu, selon ses forces et suivant les conseils de la prudence, à la sécurité nationale, il garde la réserve qui répond à une sage appréciation de lui-même et de ses modestes destinées, et s'il renonce en conséquence à jouer dans ce qu'on a appelé la grande politique internationale, un rôle aventureux où les haines redoutables menacent d'alterner pour lui avec les dangereuses protections. Dire qu'un tel État n'a point de « mission historique », c'est confondre un peu trop, ce semble, mission historique avec guerre et conquête; c'est oublier qu'il y a des vocations d'ordre pacifique qui ont leur raison d'être comme leur honneur dans la communauté des nations.

A coup sûr, une neutralité de principe séculairement affirmée et pratiquée peut imprimer à la politique d'un État une telle forme traditionnelle qu'il en résulte une orientation stable, à l'égal de celle qui pourrait reposer sur des conventions internationales. Elle n'emporte cependant pas de soi l'obligation spéciale pour les autres États de reconnaître positivement cette neutralité, avec toutes les conséquences qui s'attachent à une telle reconnaissance.

Mais à côté des neutralités de principe, qui relèvent simplement d'une maxime d'État et pour lesquelles on

peut réserver la dénomination de Neutralités constantes, il en est qui reposent en outre, ou même uniquement, sur des traités, qui empruntent à cette circonstance une physionomie propre et que l'on appelle par excellence Neutralites permanentes.

Lorsque ces traités sont conclus, comme il est de règle, à l'intervention de l'État qui est particulièrement en cause, ils donnent naissance à une Neutralité concertée, avec engagements synallagmatiques. En dehors de là, ils créent une Neutralité dictatoriale, quels que soient les liens juridiques qu'ils engendrent entre les États créateurs de cette neutralité.

En soi, dans sa notion propre, la neutralité permanente ne diffère pas de la neutralité accidentelle ou occasionnelle, si ce n'est qu'elle est déclarée d'avance, une fois pour toutes, et reconnue comme telle pour l'avenir par les autres États. L'attitude que la neutralité occasionnelle détermine en fait et dans un cas donné, la neutralité permanente la fixe en principe, pour toutes les éventualités similaires. Les effets de cette dernière neutralité, ses droits, ses devoirs, sont, comme ceux de la première, limités au cas et au temps de guerre entre d'autres Puissances, sauf la sage prévoyance, pour le neutre à titre permanent, à éviter en temps de paix ce qui le ferait forligner en temps de guerre. Par cela même, d'ailleurs, que le régime de la neutralité permanente constitue une exception à la liberté, à la souveraineté d'un État, il est, à ce titre, de stricte interprétation. Gardons-nous donc de confondre une restriction à l'indépendance d'une nation avec une altération sur toute la ligne de cette indépendance. Et ne confondons pas davantage la prudence d'une politique naturellement

orientée à la paix avec des obligations juridiques directes et immédiatement exigibles.

Mais par cela même que les neutralités permanentes s'appuient sur des traités, elles peuvent, à raison de ces dispositions conventionnelles et dans la mesure de leur teneur, se présenter à nous dans des conditions variées, affectant différemment leur régime, soit en lui-même, soit dans sa sphère d'extension ou d'application, soit dans les garanties qui le consolident, soit à tel autre point de vue déterminé. Ici peut s'accuser et s'accuse, en fait, une grande diversité.

Si c'est une erreur de rattacher à la notion simple et essentielle de la neutralité permanente des modalités sans lesquelles on peut la concevoir, c'est une autre erreur d'appliquer d'emblée les conditions spéciales de telle neutralité à telle autre. Et c'est une étrange aberration de prétendre former un droit commun de la neutralité permanente en faisant la somme des conditions particulières applicables aux divers types de neutralité. Dans la réalité, ces types positifs sont variés : chacun doit être considéré en lui-même et demeurer, si l'on peut parler ainsi, baigné dans sa lumière propre, — la lumière des conventions qui l'établissent et de tous les éléments interprétatifs de ces conventions.

§ 2. Les États neutres à titre permanent.

I. Neutralité suisse. Voici qu'en première ligne se présente à nous le type de la neutralité traditionnelle, adoptée par un peuple indépendant comme maxime

d'État, solennellement reconnue par les Puissances (1): c'est la neutralité suisse. Elle a pour charte internationale actuelle l'acte de Paris du 20 novembre 1815, «< portant reconnaissance et garantie de la neutralité perpétuelle de la Suisse et de l'inviolabilité de son territoire »>, << Les Puissances signataires de la déclaration de Vienne du 20 mars, disent les plénipotentiaires de la Pentarchie, font par le présent acte une reconnaissance formelle et authentique de la neutralité perpétuelle de la Suisse et elles lui garantissent l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire dans ses nouvelles limites, telles qu'elles sont fixées tant par l'acte du Congrès de Vienne que par le traité de Paris de ce jour, et telles qu'elles le seront ultérieurement... Les Puissances reconnaissent et garantissent également la neutralité des parties de la Savoie désignées par l'acte du Congrès de Vienne du 29 mars 1815 et par le traité de Paris de ce jour, comme devant jouir de la neutralité de la Suisse, de la même manière que elles appartenaient à celle-ci. Les puissances signataires de la déclaration du 20 mars reconnaissent authentiquement par le présent acte que la neutralité et l'inviolabilité de la Suisse et son indépendance de toute influence étrangère sont dans les vrais intérêts de la politique de l'Europe entière. »

si

II. Neutralité belge. Voici, d'autre part, le type de la neutralité constituée, consentie par un peuple qui naît à l'indépendance, placée sous la garantie des Puissances

(1) Sur la controverse relative à la garantie, voy. RIVIER, Principes du droit des gens, I, no 25; SCHWEIZER, Geschichte der schweizerischen Neutralität, pp. 595 et suiv.

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