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menca parmi ses compagnes; ses couleurs sont si fraîches, ses regards si doux et si pleins d'amour, ses paroles si plaisantes et savoureuses que la femme la plus belle et la plus noble, la plus enjouée, reste presque muette de timidité.

Il lui semble que sa propre beauté n'est plus rien : « Là où est cette noble dame, dit-elle, il est inutile que toute autre femme se travaille pour être belle. » Du moment que les femmes louent sa beauté, vous pouvez les en croire, car dans le monde entier, il n'y en a pas trois dont elles feraient le même éloge. « Nous savons mieux que vous, disentelles, ce qu'est beauté de femme. Vous autres, hommes, vous êtes satisfaits si une dame vous adresse la parole et vous accueille de bonne grâce. Mais quand on la voit au moment où elle se déshabille, à son coucher ou à son lever, on n'a pas envie, si on est avisé, d'en raconter en

suite tant de merveilles, surtout à ses servantes. >>

Voilà comment elles sont méchantes et sévères, comment elles rabaissent et réduisent le bien que Dieu a donné à celles qu'il préfère. Mais Flamenca ne se plaint pas de toute cette jalousie; ses compagnes ne songent pas à la critiquer, car elles n'y trouvent aucun prétexte. C'est la seule chose qui les retient; si elles trouvaient en Flamenca tant soit peu à reprendre, pensez donc si elles s'en abstiendraient!

Après le repas, les convives se lavent de nouveau les mains; mais ils restent tous à leur place, et, suivant la coutume, boivent du vin. Puis on enlève les nappes et devant chacun on apporte des coussins avec de grands éventails; chaque convive eut le sien et put s'arranger à son gré.

Puis les jongleurs se lèvent, chacun voulant se faire entendre. Alors vous auriez entendu retentir cordes de divers tons.

Tout jongleur qui sait un air nouveau de viole, chanson, descort ou lai, se met en avant le plus qu'il peut. L'un chante, en s'accompagnant de la vole, le lai du chèvre-feuille, un autre celui de Tintagel; l'un chanta le lai des Parfaits Amants, un autre celui que composa Ivain. L'un joue de la harpe, l'autre de la viole, l'un de la flûte, l'autre du fifre; l'un de la gigue, l'autre de la rote; l'un dit les paroles, l'autre les accompagne; l'un joue de la cornemuse, l'autre du frestel; l'un de la musette, l'autre du chalumeau ou de la mandore, l'autre accorde le psaltérion avec le monocorde; l'un fait le jeu des marionnettes, l'autre jongle avec des couteaux; l'un se jette à terre et fait des cabrioles, l'autre danse avec une coupe pleine à la main; l'un passe à travers un cerceau, l'autre saute aucun ne manqua à son rôle.

Enumération des récits racontés par les jongleurs. Le roi invite les convives à danser; le bal commence, accompagné par deux cents jongleurs. Il est suivi d'un tournoi dans lequel le roi porte, à l'extrémité de sa lance, comme enseigne, une manche de vêtement féminin. La reine, jalouse, soupçonne que cette manche lui a été donnée par Flamenca, en signe d'amour, et, faisant appeler Archimbaud en plein tournoi, lui confie ses craintes. Celui-ci fait d'abord bonne contenance et proteste que son cœur est inaccessible à la jalousie; il continue à remplir à merveille ses devoirs de maître de maison, fait quatre cents chevaliers nouveaux et, à cette occasion, comble de présents ses invités. Le vingtième jour, enfin, le roi déclare, à la grande satisfaction de la reine, que la cour a assez duré, et, prenant congé, donne le signal de la séparation.

III

Archimbaud jaloux

enferme et surveille sa femme

Archimbaud reconduisit tous ses invités, mais il a au cœur une angoisse qui, sur le chemin du retour, le rend fort dolent. Ainsi l'étreint un mal cuisant que l'on appelle jalousie.

Elle le fait souvent extravaguer et occupe si bien son esprit que souvent il n'arrive pas au bout de sa pensée.

Par grande douleur, il tord ses mains et peu s'en faut qu'il ne pleure. Il lui tardait de rentrer dans sa chambre, dans l'espoir d'y trouver sa femme en se promettant de

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