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la battre. Mais il ne la trouvait pas seule; elle était toujours bien entourée d'une grande compagnie de dames de la ville.

Archimbaud est dolent et triste; il s'étend à l'extrémité d'un banc, et il se plaint comme s'il avait mal au côté. Il ne tenait pas à la vie, et, s'il ne craignait blâmes et reproches, il ne se lèverait pas de son lit. Dans sa douleur solitaire, il s'écrie souvent :

« Hélas! à quoi pensais-je, quand je pris femme! Quelle folie, mon Dieu! Ne vivais-je pas heureux auparavant? Ah! maudits soient mes parents, qui me conseillèrent de prendre ce dont jamais nul bien ne vint à l'homme. Maintenant nous avons femme! Pauvret! il va m'être bien dur de me sentir étreindre par la jalousie; mais je ne sais quelle conduite tenir. Et tout cela me vient de cette femme! Dieu la confonde, si elle a quelque souci de mon état! Mais je l'obligerai bien à s'en

soucier. Mon Dieu! mon Dieu! comment pourrai-je faire? >>

Archimbaud est dans une mauvaise passe; souvent il entre dans son appartement, souvent il en sort; qui est ainsi agité est bien jaloux; quand il pense chanter, il bêle; quand il pense soupirer, il crie; il est abasourdi; il dit la patenôtre du singe, que personne n'entend. Il passe sa journée à pester et à bougonner! la vue d'un visiteur lui cause une grande douleur. Un jour que l'un d'eux était entré, Archimbaud fit semblant d'être fort occupé; il sifflait pour se donner contenance. Puis il dit à voix basse : « J'ai peine à me retenir de vous jeter dehors à la renverse. >>

Ce disant, il fait tourner sa ceinture autour du doigt et va chantant tullurutant, tout en dansant vasdoi vasdau. Il lève les yeux et guigne du côté de sa femme; mais, d'autre part, il fait signe

aux serviteurs de lui apporter de l'eau pour se laver les mains, car il veut dîner. Tout cela dit pour que le visiteur le débarrasse de sa présence...

Tout le monde sait par le pays qu'Archimbaud est jaloux fieffé; par toute l'Auvergne on fait des chansons, sirventés, couplets, chants, estribots et rotrouenges sur la manière dont il traite Flamenca; mais vous pensez bien que plus on les lui chante, moins s'apaise sa mélancolie.

Si quelqu'un de ses amis l'en blâme, ne pensez pas qu'il l'en aime davantage; il lui répond en colère : « Seigneur, je vous entends bien et vous comprends. Et, de par Dieu, si je suis jaloux, qui donc doit m'en faire grief? J'en sais bien peu qui ne seraient pas jaloux. Tels me tournent en dérision et me blâment qui seraient plus jaloux que moi, si tous les jours ils voyaient sous leurs yeux un si bel objet que celui que je vois. Je ne

connais ni empereur ni roi dont j'envie la femme; et je sais bien que je ne suis pas fou, quand je vais me plaignant de la mienne. Mais un homme prudent doit prendre ses précautions avant qu'un malheur lui arrive. Et que ferais-je, si un truand qui aurait feint d'être courtois en amour, et qui n'aurait même pas su ce que c'est que l'amour, l'avait rendue folle? Ne m'en croyez pas, si je le disais; et cependant je le dirai : « Pour tout ce que je possède, je ne le veux pas! »

Et que dire de la honte? Ce serait folie de faire effort pour la garder et la servir. On pourra bien venir ici; mais, par Dieu! personne ne la verra. On n'arrivera pas à la faveur de lui parler sans ma permission. Non, par ma foi! fût-ce le comte son père, sa mère, sa sœur ou Jausselin, son frère! »...

« Je suis fou; jamais homme n'eut pa

reille femme. Et tu prétends (1) que tu ne sais pas comment la tenir? Tu ne sais pas? - Si! - Et comment? Bats-la!

Mais en quoi les coups m'avanceront-ils ? Dieu, en sera-t-elle plus douce et meilleure? Elle en sera pire et plus aigrie! J'ai toujours entendu dire que les coups n'enlèvent pas les folles pensées au contraire, qui châtie et reprend un cœur fou l'excite davantage. Quand amour étreint un cœur, ni forteresse ni tour ne l'empêchent de faire, tôt ou tard, sa volonté.

Voici la décision que je vais prendre : je protégerai Flamenca contre l'excès de froid, de soleil et de faim. Puisque mon amour est si grand, qu'un malheur m'advienne si je ne le protège pas moimême. Je n'y mettrai pas d'autre garde, car je n'en trouverais pas de plus fidèle, même au ciel. Je n'ai pas autre chose à faire; j'ai en abondance vivres et boisson

(1) Archimbaud se parle à lui-même.

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