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V

Guillaume arrive à Bourbon et se fait enfant de chœur pour voir

Flamenca.

Guillaume arriva à Bourbon à la neuvième heure. Il demanda où était le meilleur hôtel et l'hôtelier le plus distingué et le plus sérieux. Tous les voisins lui dirent, come ils le pensaient, que le seigneur Peire Gui était l'homme le plus sérieux de la ville. Sa femme s'appelait Bellepile. On eut raison de lui indiquer cette maison.

A la porte, près d'un banc de pierre, le brave hôtelier était assis. Et quand il vit

venir Guillaume, il se leva et le salua gracieusement : « Seigneur, lui dit Guillaume, je voudrais loger chez vous, si cela ne vous déplaît pas; car on m'a dit qu'en cette ville il n'y a pas d'homme aussi distingué, chevalier, bourgeois ou serviteur.»«< Seigneur, on dit ce qu'on veut; pour moi je vous fais savoir que de mon côté ne vous viendra aucun ennui, même si vous restiez dix ans dans ma maison. Voici mon hôtel et ses dépendances complètement à votre disposition. Il y a assez d'écuries et d'appartements et des chambres pour cent chevaliers. >> << Seigneur, merci!... »

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Après dîner, Guillaume se lava. En compagnie de son hôte, il visita les bains et les appartements; son hôte lui disait : << Seigneur, cette chambre est à vous, à moins que celle-ci ne vous plaise davantage. » Guillaume ne cherchait qu'une chose trouver des fenêtres d'où il pour

rait voir les appartements de la tour où était enfermée Flamenca. Il trouva ce qu'il cherchait et dit à l'hôte : « Voici la chambre qui me plaît; c'est la plus grande et la plus agréable. »... La chambre était belle et propre et garnie de tout le nécessaire lits, foyers et tous autres objets ou commodités. Guillaume y avait fait apporter et serrer tout son bagage. Quand l'hôte, sage et discret, fut sorti, Guillaume fait la leçon à ses damoiseaux et les prie de se garder fort de toute vilenie. Il leur donne comme instruction de ne fournir, pour rien au monde, aucun renseignement sur lui; qu'ils disent seulement, en cas de nécessité, qu'il est de Besançon. Que chacun d'eux fasse son service sans attendre qu'on le commande; et qu'ils fassent bonne chère. Chacun fera ce que l'autre lui commandera. Qu'ils soient en même temps seigneurs et serviteurs, qu'ils se respectent mutuellement,

car, chaque jour, ils mangeront avec l'hôte. Qu'ils ne regardent pas à la dépense, pourvu que la nourriture soit abondante et saine. Que chacun se souvienne d'être courtois et de servir de son mieux, car un serviteur distingué gagne des amis et obtient des dons et sa renommée grandit tous les jours. « Pensez à vous et pensez à moi. >> << Seigneur, répondent-ils, tout sera bien fait. >>

C'était le samedi après Pâques, temps où le rossignol fait le procès de tous ceux qui n'ont pas souci d'amour. Un loriot, par hasard, chanta de bon matin dans le bosquet voisin de la chambre de Guillaume. Celui-ci n'avait pas fermé l'œil de la nuit et il ne pouvait pas le faire; pourtant il avait un lit propre et mou, large et blanc. Si jamais il a cru être libre, maintenant il se voit bien prisonnier; il s'écrie «< Amour, dame, que va-t-il arriver? Que ferez-vous de ce chevalier? Vous

m'avez bien promis l'autre jour de me conseiller de bonne foi. Il serait bon que vous ne tardiez pas, car j'ai fait vos commandements. J'ai quitté tous mes sujets et je suis venu dans ce pays comme un pélerin étranger, et personne ne m'y connaît. Tous les jours je soupire d'angoisse à cause d'un désir qui m'étreint. Il est vrai que je feins d'être malade; mais à la longue, il serait inutile de feindre, si le mal que je me sens doit m'étreindre encore longtemps. Ce n'est pas un mal, car il me plaît plus que nulle autre chose. Jamais sans mal je n'eus autant de mal... Je me plains de vous et cela ne me sert de rien! Vous ne daignez même pas m'écouter. Vous devriez au moins me dire un seul mot qui me donnerait du réconfort. Mais vous avez raison et c'est moi qui ai tort de me décourager si facilement. Le malheur n'est pas encore grand pour moi, car je ne sais pas encore ce que je

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