Images de page
PDF
ePub

que nous fûmes rejoints par un gentilhomme du roi; j'ignore quel était son titre, mais il était Caballero, et des meilleurs sans aucun doute. Il parlait fort bien français, et avait d'excellentes manières: il nous dit que les promenades étaient si variées et surtout si éloignées les unes des autres par l'heure brûlante à laquelle je me résignais à sortir, que leurs majestés l'envoyaient auprès de nous pour nous offrir tout ce qui pouvait nous être commode et agréable pour parcourir la vallée d'Aranjuez. Il me demanda si je voulais être portée, et, sur mon refus, il m'offrit son bras, et nous parcourûmes avec lui la belle retraite royale.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Singulière aventure.

[ocr errors]

Retour à Madrid.

Mes rapports d'intimité avec

madame de Beurnonville.-Heureux instants passés dans la maison de l'ambassadeur. Dîner et surprise. Tallien. Conduite de Tallien au thermidor. 9

[ocr errors]

- Con

[ocr errors]

· Ports

Notre

férences de Junot avec le prince de la Paix. d'Espagne. Son alliance avec la France. départ de Madrid. - M. le comte da Ega, ambassadeur de Portugal. Portrait de la comtesse da Ega.

BIEN des années se sont écoulées depuis que j'ai vu Aranjuez; mais le nombre de ces mêmes années ne fait au contraire qu'augmenter le charme attaché au souvenir de ce lieu de délices; car plus les événements se sont succédé autour de moi, plus j'ai vu, et moins j'ai trouvé de comparaisons qui puissent même établir un parallèle. Ce n'est pas la Suisse, ce n'est pas la France, ce n'est pas l'Algarve, ce n'est pas l'Ita

lie, ce n'est pas une autre chose enfin; c'est Aranjuez; c'est un paradis enchanté. Où trouver ces eaux jaillissantes fournies par deux rivières qui enserrent de leurs flots une île où le soleil féconde les plus belles fleurs, les fruits les plus rares de toutes les zones et de tous les pays, des arbres comme l'imagination nous les représente dans cette terre promise, dont une grappe de raisins était portée par deux hommes 1.... Jamais je n'ai vu de si verts, de si frais, de si beaux ombrages.... On veut décrire quand on a vu Aranjuez, et la chose est impossible, surtout lorsque, comme moi, on l'a vu au moment où la nature se réveille après son sommeil d'hiver, et où toutes ses pompes, ses magnificences se déploient à l'envi même, dans ces lieux, les plus stériles et les plus ingrats. A Aranjuez, on trouve le luxe le plus éblouissant, la magnificence dans sa plus extrême splendeur; mais cette magnificence, ce luxe, c'est celui de la nature, non pas en nous donnant des mines d'or et de diamants... c'est avec les plus beaux ombrages formés par des arbres séculaires, des prairies où l'herbe courte et

1 On m'a reproché d'être un peu trop pompeuse dans mes descriptions de l'Espagne, c'est que j'ai vu et que je me rappelle. Tous ceux qui ont vu la belle partie de l'Espagne pensent comme moi,

fleurie est tellement épaisse, qu'elle est élastique, sans parler par métaphore, comme un tapis de la Savonnerie, des eaux jaillissantes et donnant par torrents une fraîcheur salutaire sous ces mêmes ombrages, où la chaleur ne peut plus atteindre. Comme on jouit de ce luxe de la nature et en même temps d'un calme si voluptueusement senti dans une belle journée, où le soleil ajoute encore à la pompe du spectacle!... De grands arbres bien touffus.... de l'eau à chaque pas.... de hautes murailles de verdure, mais sans aucune régularité: voilà quelle est la magnificence du jardin de l'Ile. Je ne pense pas que la main de l'homme pût y ajouter sans le gâter. La calle de la Reyna, cette magnifique allée, formée par des ormeaux qui ont, dit-on, plus de cinq cents ans, et dont la longueur est de plus d'une demi-lieue d'Espagne, est à elle seule un des plus beaux ornements d'Aranjuez. C'est là que je revis le soir la reine et la famille royale; les princesses se promenaient en voiture, chacune dans la sienne, jamais ensemble; et c'est ainsi qu'elles font, au très-petit pas, plusieurs fois dans la même soirée, le chemin d'un bout de la calle à l'autre ; et chaque fois qu'elles se rencontraient, elles se saluaient avec une politesse qui pouvait être exacte, mais point du tout affectueuse. Les femmes qui se trouvaient sur la route de la promenade des princesses s'ar

rêtaient aussitôt, ainsi que les hommes; les femmes saluaient, et les hommes laissaient à l'instant tomber leur capa, qu'un moment avant ils drapaient de mille manières élégantes. Quant à la reine et aux princesses, lorsqu'elles passaient devant une femme qu'elles aimaient, et qui, par son rang de grande d'Espagne ou de titulados de Castilla, pouvait recevoir un public témoignage de faveur, alors la princesse, qui voulait le lui donner, faisait, avec la main ou avec l'éventail, un signe amical comme pour l'appeler. Cette marque de faveur est très-recherchée. Lorsque la reine passa devant la place où je m'étais arrêtée, elle me fit, en souriant, une inclination de tête fort gracieuse, à laquelle se joignit un salut de la main. La faveur était complète, comme on voit. Lorsque les infants, frères du roi, étaient revenus assez tôt de cette malheureuse chasse, qui vraiment ressemble à une monomanie, alors, pour se délasser, ils montaient à cheval et accompagnaient les princesses à la promenade.

Tant d'auteurs ont décrit Aranjuez, que j'en ai peut-être déjà trop dit sur ce sujet. Mais les souvenirs se pressaient tellement en foule autour de moi, qu'il m'était impossible de les repousser; je les ai retracés comme je les sentais; d'autres écriront aussi une relation de leur voyage à Aranjuez. Car, quel est l'oeil qui le voit et demeure

« PrécédentContinuer »