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LIV. II. Ainfi il est vrai que ces paroles ont deux fens ; & ces deux fens font CH. VII. tous deux vrais dans le fentiment des Catholiques, qui peuvent dire ainfi, que nous recevons le corps de Jefus Chrift en l'une & l'autre maniere. Mais Facundus n'ayant befoin que de la premiere maniere, il s'y arrête en cet endroit, en difant, que nous recevons le corps de Jefus Christ, , parce que nous en recevons le Sacrement: ce qui eft très-véritable. Et pour l'autre, qui eft celle en laquelle les Peres prennent ce terme, il n'en parle point, & ne l'exclut point auffi. Et ce feroit une conféquence très-fauffe que de conclure qu'il l'ait niée.

Que fi ce procédé paroît étrange, & que l'on ait peine à croire qu'un homme tel que Facundus, ait pu être tellement poffédé du defir de prouver ce qu'il avoit avancé, qu'il n'ait pas fait difficulté d'employer en argument une expreffion, qu'il prend en un fens extraordinaire & éloigné de l'usage des autres Peres, en omettant le fens ordinaire de cette même expreffion, comme s'il l'avoit ignoré, il eft facile de faire ceffer cet étonnement, par l'exemple du monde le plus naturel, le plus fenfible & le moins recherché, puifqu'il fe trouve dans Facundus même immédiatement après les paroles que nous avons rapportées.

Car il faut remarquer que cet Auteur, ayant entrepris de montrer qu'on pouvoit dire que Jefus Chrift avoit reçu l'adoption, parce qu'il en avoit reçu le Sacrement, ne fe fert pas feulement de l'exemple de l'Eucharistie, mais il en apporte encore un autre, dont on devroit bien être plus choqué que de celui-là, & où il s'éloigne beaucoup plus du fens ordinaire des termes, pour les ajuster à fon deffein. Voici comme il parle.

S'il n'eft pas vrai de dire que Jefus Chrift ayant reçu le Sacrement de Padoption des enfants, a reçu l'adoption, on ne pourra pas dire de nousmêmes, que nous avions reçu l'adoption des enfants, ou que nous sommes rachetés & Jauvés, puifque l'Apôtre a dit : Nous autres auffi, qui poffédons les prémices de l'efprit, nous foupirons & nous gémiffons en nous-mê mes, attendant l'adoption divine, la rédemption de nos corps: car nous avons été fauvés par efpérance; & ce n'eft plus efpérance quand on voit ce que l'on espere. De même donc que quoique nous attendions encore l'adoption, la rédemption & le falut, néanmoins parce que nous recevons le Sacrement de l'adoption, de la rédemption & du falut, nous fommes avec raison appellés enfants de Dieu, rachetés & fauvés; de même Jesus Christ ayant reçu le Sacrement de l'adoption, non pour fon utilité, mais pour celle des autres, felon l'Apôtre, a pu justement être dit par les anciens Peres, avoir reçu l'adoption des enfants:

Qui ne s'imagineroit d'abord à entendre parler Facundus de cette for te, qu'il n'auroit point reconnu que nous fuffions autrement enfants de

Dieu, adoptés & rachetés, que parce que nous avons reçu le Sacrement Liv. H. d'une adoption & d'une rédemption future: qu'ainfi nous ne poffédons pas CH. VII. réellement la qualité d'enfants adoptifs, comme Jefus Chrift n'étoit point réellement enfant adoptif? Ne dit-il pas clairement que nous sommes appellés enfants de Dieu & rachetés, parce que nous avons reçu le Sacrement de l'adoption de la rédemption que nous espérons? Il ne fe contente pas d'exprimer cela affirmativement, mais il l'exprime même négativement; & il s'avance jufqu'à foutenir, que fi l'on ne peut dire de Jefus Chrift, qu'il a reçu l'adoption des enfants, il ne le faut pas dire de nous-mêmes: ALIOQUIN neque de nobis dicendum eft, quoniam adoptionem suscepimus filiorum. N'eft-ce pas dire, que nous n'avons pas plus reçu l'adoption que Jefus Chrift? Cependant attribuer ce fens à Facundus, c'eft lui faire nier une vérité clairement décidée par l'Ecriture, & qu'il eft impoffible qu'il àit ignorée. Car il est très - conftant, par tout le Nouveau Teftament, que nous ne sommes pas feulement enfants de Dieu & adoptés par la réception du figne de la confommation de cette adoption, mais que nous le fommes par l'infufion préfente de l'Esprit de Dieu, qui nous rend enfants de Dieu & membres de Jefus Chrift. Il est très-conftant que nous fommes juftifiés & rachetés, felon l'ame, dès ce monde même, par la réception réelle de la grace juftifiante, & de la charité que le S. Esprit répand dans nos cœurs. Et il eft impoffible qu'un homme équitable foupçonne feulement Facundus d'avoir ignoré des vérités fi communes.

Car auroit-il ignoré ce que dit S. Paul aux Galates, que lorsque les Gal. 4 .4. temps ont été accomplis, Dieu a envoyé fon Fils, formé d'une femme & afsu- 5. 6. 7. jetti à la Loi, pour racheter ceux qui étoient fous la Loi; afin que nous recuffions l'adoption des enfants? Et parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé en vos cœurs l'efprit de fon Fils, qui crie, mon Pere, mon Pere! Chacun de vous n'est donc plus ferviteur, mais ENFANT. Que s'il eft enfant, il est donc auffi héritier de Dieu par Jefus Chrift.

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Auroit-il ignoré ce que dit le même Apôtre dans l'Epître aux Hébreux: Que Dieu nous parle comme à fes ENFANTS, & qu'il s'offre à nous comme Hebr. 12. à fes enfants?

Auroit-il ignoré ce que dit S. Jean: Confidérez quel amour le Pere nous

a témoigné, de vouloir que nous foyons appellés & que nous SOYONS EN EFFET ENFANTS de Dieu ?

Mes bien aimés, nous fommes déja enfants de Dieu; mais ce que nous ferons un jour ne paroit pas encore ?

V. 5.

Enfin auroit-il ignoré ce que S. Paul dit dans ce Chapitre même qu'il cite: Que tous ceux qui font pouffés par l'esprit de Dieu, font enfants de Ad Rom. Dieu, & ce qu'il ajoute: Vous n'avez point reçu l'esprit de fervitude pour

c. 8.

Liv. II. vivre encore dans la crainte; mais vous avez reçu l'esprit d'adoption des CH. VII. enfants, par lequel nous crions, mon Pere, mon Pere! Car l'Esprit de Dieu rend lui-même témoignage à notre esprit, que nous formes enfants de Dieu. Que fi nous fommes enfants, nous fommes auffi héritiers.

C'est ce qui ne viendra jamais dans la pensée d'un homme fenfé. Pourquoi donc ne rapporte-t-il dans cet endroit la qualité de fils adoptif qu'à la réception du Sacrement de l'adoption future & parfaite que nous recevrons dans le ciel ? C'est qu'il n'y avoit que ce feul fens qui fervit à son fujet, & qui pût être employé à justifier que l'on pouvoit dire de Jesus Christ, qu'il avoit reçu l'adoption des enfants.

Ainfi Facundus fuit la même méthode en l'un & en l'autre de ces exemples. On peut dire en deux fens, que nous fommes enfants adoptifs de Dieu : l'un commun & ordinaire, qui eft que nous le fommes par l'esprit de Dieu, que nous recevons par la charité de Dieu répandue dans nos cœurs, par la juftice de la foi, qui nous eft donnée actuellement dès cette vie l'autre très-extraordinaire, très-peu commun, & dont peut-être il n'y a que Facundus qui fe foit jamais fervi, qui eft que nous fommes enfants de Dieu par la réception du Sacrement, ou du figne de l'adoption parfaite que nous attendons dans le ciel. Cependant parce que ce dernier fens faifoit à fon fujet, & qu'il a cru en pouvoir tirer un argument qui prouvoit ce qu'il prétendoit, il l'allegue, il s'en fert, & femble méconnoître l'autre.

De même, y ayant deux fens, felon lefquels on peut dire que nous recevons le corps de Jefus Chrift: l'un, qu'il entre en effet dans notre bouche, qu'il est reçu dans nos entrailles par fa propre chair: l'autre, que nous recevons un objet extérieur, qui en eft la figure & le facrement, & à qui on en donne le nom; quoique le premier fens foit le plus autorifé, le plus commun, & peut-être le feul auquel ces paroles font entendues par les autres Peres, Facundus néanmoins s'attache au second, parce qu'il étoit le feul qui fervît à fa preuve. Mais comme ce feroit être injufte & ridicule que de conclure du choix que Facundus a fait de ce fecond fens de l'adoption des enfants, qu'il n'a donc point reconnu que nous fuffions-réellement enfants adoptifs dès cette vie, ni que nous y reçuffions le S. Efprit, la charité & la justice, en quoi confifte cette adoption ; de même c'est une injuftice manifefte que de prétendre, que parce qu'il· ne s'eft fervi que d'un des fens de ces mots, recevoir le corps de Jefus Chrift, il ait voulu nier l'autre. Quand il l'auroit même nié, & qu'il auroit dit nettement & négativement, que nous ne recevons le corps de Jefus Chrift que parce que nous recevons ce Sacrement, il ne faudroit pas conclure fi vite qu'il fût contraire aux autres Peres, ni à la doctrine catholi

que. Ces fortes de termes, qui marquent des actions corporelles, peuvent Liv. H. être pris quelquefois avec une certaine rigueur, qui donne lieu de les CH. VII. nier quand on les rapporte au corps de Jefus Christ.

Tous les Peres difent que nous touchons ce corps ; & néanmoins les Scholastiques soutiennent, fans être contraires aux Peres, que nous ne le touchons pas, & que nous n'en touchons que le Sacrement.

Tous les Peres difent que nous mangeons le corps de Jefus Chrift, & ils font voir clairement, qu'ils entendent que le corps de Jefus Chrift entret réellement en nous ; & néanmoins, comme nous verrons en fon lieu, quelques-uns de ces mêmes Peres nient que nous mangions le corps de Jefus Chrift, parce que nous n'exerçons pas à l'égard de ce corps, les actions corporelles dans lesquelles ils font confifter la manducation; comme de divifer, de goûter & de digérer l'aliment. On pourroit donc dire de même que Facundus a conçu par ce mot d'accipere, recevoir, cette action corporelle que l'on fait en recevant le corps de Jefus Chrift, & que comme cette action, qui eft une espece de contact corporel, fe termine proprement au Sacrement, il a cru que c'étoit proprement le Sacrement qui étoit reçu, & que le corps de Jefus Chrift n'étoit reçu qu'improprement & par le Sacrement, comme, felon les Scholaftiques, il n'eft touché qu'improprement; & de même que quoique l'on dife proprement qu'on reçoit le corps d'un homme entre fes bras, on ne dit point que l'on y reçoit fon ame, encore que fon ame ne foit pas féparée de fon corps. C'est donc une folie toute pure, que d'employer une conféquence fi fauffe pour renverfer cent déclarations formelles des Peres, dont on peut dire ce que dit Facundus: Non bac ingeniofum lectorem, fed potius lectorem non faftidiofum requirunt. Aperta res ac manifefta interpretatione ulla non indiget. Tantum eft ut videre jam velint qui claufis oculis veritati refiftunt.

Quoi! parce qu'un Auteur poffédé d'une vue particuliere, & cherchant des preuves de toutes parts pour juftifier une expreffion, aura employé des termes en un fens un peu extraordinaire, il ne fera plus vrai que le Iren. I. 5. Seigneur, comme dit S. Irénée, ait déclaré que le calice, qui eft une créa- 2. ture, eft fon propre fang.

Il ne fera plus vrai que le S. Efprit, comme dit S. Ifidore, faffe le L.1. Epift. pain de l'Euchariftic le propre corps dont Jefus Chrift s'eft revêtu dans fon 109.

Incarnation.

in Exod.

Il ne fera plus vrai que le Créateur des natures, comme dit S. Gau- Tract. 2. dence, faffe du pain fon propre corps, parce qu'il le peut & qu'il l'a promis? Il ne fera plus vrai que Jefus Chrift, comme dit S. Cyrille, s'infinue dans L. 4. cont nos corps par sa propre chair?

Neftor.

P. 113.

LIV. II. Il ne fera plus vrai que quoique ce que l'on offre ne soit ni semblable ni CH. VII. égal, c'eft néanmoins le corps divin proprement, comme dit l'Auteur des Dialog. 3. Dialogues attribués à Cæfarius ?

inter. 169.

Voy.Perp. Il ne fera plus vrai que ce que nous recevons dans l'Euchariftie foit le vrai 2.1.4.c.8. corps & le vrai fang de Jefus Chrift; que ce foit fon corps dans la vérité, quoique toutes les Eglifes du monde faffent une profeffion publique de le croire ?

L. 6. c.1.

Chryfoft.

Il ne fera plus vrai que ce foit fa vraie chair que nous recevons, & fon vrai fang qui eft notre breuvage, comme dit l'Auteur du Livre des Sacrements?

Il ne fera plus vrai que le S. Esprit fasse du pain le corps même de Jefus hom. 24. Christ, comme Procle l'affure dans fon Traité sur la Liturgie?

in Epist.1.

ad Cor.

Dans la

Il ne fera plus vrai que nous voyons dans l'Euchariftie, comme dit S. Chryfoftôme, ce même corps que les Mages ont adoré? Chain. fur S.Jean im

Il ne fera plus vrai que nous ne pouvons, comme dit Sévere, manger primée à le Verbe en lui-même, parce qu'il n'a point de corps; mais que nous le mangeons en mangeant la chair que le Verbe rend vivifiante?

Anvers.

In Joan. p. 999.

L. 2. cont.

& Proph.

Il ne fera plus vrai que Jefus Chrift, comme dit S. Cyrille, bénisse tous les fideles par un feul corps, qui est le fien propre, & que nous prenions ce corps unique & indivifible en nos propres corps?

Il ne fera plus vrai que nous recevions, comme dit S. Auguftin, avec Adv. leg. un cœur une bouche fidelle, le Médiateur de Dieu & des hommes, Jefus Chrift homme, qui nous donne fou corps à manger & fon fang à boire, quoiqu'il femble plus borrible de manger la chair d'un homme que de la tuer, & de boire le fang d'un homme que de le verfer?

c. 9.

In Joan. P. 861.

Orat. Cat.

Il ne fera plus vrai de dire avec S. Cyrille, qu'un être corruptible, comme le nôtre, ne peut être autrement vivifié, qu'étant ani corporellement au corps de celui qui eft la vie par effence?

Il ne faudra plus faire cette profeffion de foi que fait S. Grégoire de Nyffe: Je crois que le pain fanctifié par le Verbe eft changé au corps de Dien Verbe; ni dire avec l'Auteur des Homélies attribuées à Eufebe d'Emefe: Hom. 5. Que le Sacrificateur invifible convertit, par fa parole pleine d'une puissance de Pafc. fecrete, les créatures vifibles en la fubftance de fon corps & de fon fang? Il faudra, fi l'on en croit les Miniftres, faire céder tous ces paffages, & tant d'autres que nous avons rapportés dans le deuxieme Volume, au feul paffage de Facundus.

Mais s'il eft permis de fuivre cette méthode dans l'examen des Peres, quelle vérité de foi pourra demeurer inviolable, puifqu'il n'y en a point qui ne foit combattue par quelque paffage difficile ? C'eft pourquoi Facundus, dont les Miniftres feroient bien de fuivre l'efprit dans l'explica

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