Images de page
PDF
ePub

répétés par les Miniftres. Mais j'ofe dire par avance, qu'il y aura plufieurs Liv. I. de ces difficultés qu'on aura peine à appercevoir, & que le monde traitera CH. II. avec raison de vaines & de frivoles, & que l'on s'étonnera fur-tout que les Miniftres en puiffent faire tant de bruit, & qu'ils ofent les oppofer à cette foule de preuves invincibles, fur lefquelles la doctrine catholique est appuyée.

On prétend faire voir fur la plupart, qu'elles ne naiffent que d'une ignorance affez groffiere de la maniere dont l'efprit conçoit les chofes, & les exprime après les avoir conçues; & qu'ainfi il eft arrivé, par un juste jugement de Dieu, que ces gens, qui ont eu affez de préfomption pour donner des bornes à fa toute-puiffance, & qui fe font crus capables. de fonder les abymes de fa fageffe, & de juger des moyens qu'il devoit choifir pour fauver les hommes, n'ont pas eu affez de lumiere pour comprendre ce qui fe paffe dans leur propre efprit, & dans celui de tous les autres ; & s'en font formé des idées fi bizarres, par une vaine métaphyfique, qu'elles les ont empêchés d'entendre ce que les enfants entendent fans peine. Voilà quel eft le deffein de cet ouvrage. On verra dans la fuite fi on l'a bien exécuté.

[blocks in formation]

Que la doctrine catholique porte nécessairement à fe former l'idée de deux chofes différentes dans l'Euchariftie. Que le paffage de S. Irénée qui marque ces deux chofes, prouve clairement la préfence réelle.

ON

N ne fauroit fans doute prendre une méthode plus naturelle, pour découvrir fi des expreffions que l'on trouve dans les Peres, font conformes ou contraires à la doctrine de la préfence réelle & de la Transsubftantiation, & peuvent être raisonnablement employées ou à l'établir, ou à la détruire, que de confidérer premiérement quelles idées cette doctrine imprime dans l'efprit, & quelles expreffions ont dû être produites par ces idées, & de paffer enfuite à l'expérience; c'est-à-dire, de confulter de quelle forte cette doctrine a été conçue & exprimée par ceux qui en ont été perfuadés. Car s'il fe trouve que la raifon & l'ufage s'accordent à autorifer quelque expreffion, & à l'employer pour exprimer cette doctrine, il feroit vifiblement contre le bon fens, de conclure fur une expreffion de cette nature, que les Peres qui s'en font fervis ont eu une doctrine différente..

[ocr errors]

LIV. I. C'eft la méthode que nous avons deffein de fuivre dans l'examen de CH. II. la plupart des paffages conteftés. Et pour commencer à en faire l'essai, je dis qu'on ne fauroit s'appliquer à comprendre ce que l'Eglife Catholique enseigne du myftere de l'Euchariftie, que l'on n'y confidere deux choses différentes, qui donnent lieu d'en former deux idées diftinctes & féparées. Car on ne fauroit n'y pas concevoir le corps de Jefus Chrift, qui en fait la partie principale. Et comme il eft clair que le corps de Jefus Christ n'a pas cette étendue & cette forme qui font l'objet de nos fens, il eft impoffible que nous ne regardions cette apparence de pain que nous appercevons, comme quelque chofe, & que nous ne la concevions par une idée séparée de celle qui nous repréfente le corps même de Jefus Christ. Je n'examine pas préfentement quelle eft la nature de cette apparence; fi ce font des accidents qui fubfiftent par miracle, comme des substances, ou fi ce n'est qu'une fimple apparence de pain. C'est une autre question qui fe doit traiter féparément, pour ne pas embarrasser les chofes. Il me fuffit préfentement que ces idées foient distinctes, & que comme je puis me former l'idée du corps de Jefus Chrift, fans me former l'idée de cet objet fenfible, je puiffe auffi concevoir cet objet fenfible, fans concevoir distinctement le corps de Jefus Christ.

Petr. Pict.

P. 5. c. 20.

Cette diverfité d'idées doit produire par néceffité une diverfité de mots qui y répondent, dont les uns fignifient cet objet fenfible, & les autres le corps de Jefus Chrift. Ainfi les mots de corps de Jefus Chrift, de fang de Jefus Chrift, de chair de Jefus Chrift font destinés à fignifier expreffément le corps & le fang même de Jefus Chrift fans marquer précisément cet objet fenfible: & les mots de pain & de vin, de fymbole, de facrement, de figne, de figure, d'efpece, d'hoftie, d'oblation, de don, représentent directement l'objet fenfible, fans marquer directement le corps de Jefus Chrift.

Je n'ai pas besoin de prouver que c'eft le langage ordinaire des ThéoSent. part. logiens les plus perfuadés de la préfence réelle, & qu'il n'y en a aucun Hugo de qui ne s'en ferve. M. Claude eft trop habile pour contefter une chofe fi S. Victore conftante. Il me fuffit de remarquer que c'eft le fondement de cette docinfp. c. 7. Mag. fent, trine, fi commune dans tous ceux qui ont écrit depuis Bérenger, favoir 1.4. dilt:8. que l'on peut confidérer trois chofes dans ce Sacrement; l'une qui n'est Laur. Juft. ferm. de que Sacrement fans être la chefe du Sacrement, & c'eft proprement ce que l'on appelle l'objet fenfible, qui eft tellement figne, qu'il n'eft point fignifié: l'autre qui eft Sacrement & chofe fignifiée; & c'est le corps de Jefus Chrift fignifié par les efpeces fenfibles, & fignifiant le corps mystique la troisieme, qui eft chofe fignifiée fans être Sacrement, c'est-àdire, fans en fignifier une autre; & c'eft la fociété des juftes & des mem

Euch.

[ocr errors]

bres vivants de Jefus Chrift. Mais cette dernière n'étant que fignifiée & Liv. I. non contenue dans l'Euchariftie, il ne refte que deux parties qu'elle con- CH. II. tient effectivement, favoir celle qui n'eft que Sacrement, c'est-à-dire, l'objet fenfible; l'autre qui eft la chofe fignifiée dans le Sacrement, & c'est le corps naturel de Jefus Chrift, qui nous donne de plus, par la diverfité de fes membres, & par le voile dont il eft couvert, l'idée de cet autre corps qui lui a été fi cher, qu'il a donné pour le fauver la vie de fon propre corps.

Il n'y a rien encore en tout cela que de très-conftant, & les Miniftres ne nieront pas fans doute que l'on ne trouve dans tous les Peres cette même diverfité d'idées & de termes; & qu'il ne s'y en voie beaucoup qui fignifient littéralement le corps de Jefus Chrift, fa chair & fon fang; & d'autres qui marquent l'objet fenfible, qu'ils appellent pain, vin image, antitype, fymbole. Car c'eft du Sacrement même de l'Euchariftie que S. Augultin dit, dans un Sermon qu'il a fait aux nouveaux baptifés, rapporté par S. Fulgence & par divers Auteurs: Que ces chofes font appellées Sacrement, parce que l'on y voit une chofe & que l'on y en conçoit une autre. Ifta, fratres, ideò dicuntur Sacramenta, quia aliud videtur, aliud intelligitur.

Nous verrons en un autre lieu ce que S. Auguftin entend par cette chofe conçue; mais je n'allegue préfentement ce paffage que pour montrer que S. Auguftin a confidéré dans l'Euchariftie un objet vifible, différent de la chofe que l'on n'y voit pas, & qu'on y doit concevoir; & pour conclure que ce langage eft très-conforme à celui de tous les Théologiens de l'Eglife Catholique, qui ont emprunté ces paroles de S. Auguftin, & qui n'en ont point trouvé de plus propres pour exprimer

leur fentiment.

Mais celui de tous les Peres qui a le plus expreffément marqué que l'on doit confidérer deux chofes dans l'Euchariftie, eft S. Irénée, dont l'autorité est d'autant plus confidérable qu'il eft un des plus proches du temps des Apôtres; n'y ayant entre lui & S. Jean que S. Polycarpe, dont il étoit difciple. Car c'est lui qui nous dit en termes formels, que l'Euchariftie eft compofée de deux chofes, l'une terreftre & l'autre céleste. Mais comme ce paffage eft un grand fujet de conteftation, & que M. Claude M. Cland. s'en fert avec tant de confiance, qu'il ne craint pas de dire, qu'il eft fi 2. Réponf. démonftratif pour fon opinion, qu'il ne peut recevoir aucune réponse foli

de, il eft bon de le rapporter ici tout entier, & d'examiner ce fens que

les Miniftres y donnent, pour juger fi M. Claude a eu raifon d'en parler d'une manière fi décifive.

Ce Pere, après avoir expofé l'héréfie des Valentiniens, qui difoient que

p. 91.

LIV. I. Jefus Chrift n'étoit pas Fils du Créateur du monde, mais d'un autre Dieu, CH. II. les réfute par ces paroles.

Adv. Hær.

Comment pourront-ils croire que le pain fur lequel on aura rendu graces 1.4. c. 34. foit le corps de leur Seigneur ; & que ce foit le calice de fon fang (que l'on offre) s'ils ne reconnoissent pas qu'il foit Fils du Créateur du monde; c'està-dire, le Verbe de celui qui fait porter des fruits aux arbres, qui fait couler les fontaines, & qui fait que la terre pousse premiérement l'herbe, enfuite l'épi, & puis le froment dans l'épi? Et comment, d'autre part, peuvent-ils dire que la chair doive être réduite à la corruption, & n'avoir point de part à la vie, elle qui eft nourrie du corps & du fang du Seigneur ? Il faut donc ou qu'ils abandonnent leur erreur, ou qu'ils ceffent d'offrir le myftere dont j'ai parlé. Mais pour nous, notre doctrine eft entiérement conforme à l'Euchariftie, & l'Euchariftie confirme notre doctrine. Car nous offrons à Dieu des chofes qui font à lui, publiant par ce mystere d'une maniere convenable, l'unité de la chair & de l'efprit. Car comme après que nous avons invoqué Dieu fur le pain, qui eft une fubftance qui vient de la terre, il ceffe d'être un pain commun, & devient Euchariftie, qui eft compofée de deux chofes, Pune céleste & l'autre terreftre; ainfi nos corps en recevant l'Euchariftie ceffent d'être corruptibles, puifqu'ils reçoivent l'espérance de la réfurrection.

Aubert. P. 207.

P. 305.

p. 307.

le

Aubertin fe démêle de ce paffage en y employant tout à la fois fes deux clefs de vertu & de figure. Ainfi quand S. Irénée dit: Comment pourront-ils croire que le pain fur lequel on a rendu graces foit le corps du Seigneur? Il veut que cela fignifie, comment pourront-ils croire, que pain foit la figure du corps de leur Seigneur, ou, fon corps facramental? Quand ce Pere ajoute: Comment peuvent-ils dire que la chair doive tomber dans la corruption, & n'avoir point de part à la vie, elle qui eft nourrie du corps & du fang du Seigneur? Il veut que cela fignifie que notre chair eft nourrie de la figure du corps & du fang du Seigneur,

Et quand il eft dit enfin, que l'Euchariftie eft compofée de deux chofes, l'une terreftre, l'autre céleste, il veut que cela puiffe fignifier qu'elle est compofée de pain & du corps de Jesus Christ absent, comme l'explique Pierre Martyr, & plufieurs autres Miniftres; ou plutôt, felon une autre opinion qu'il juge plus probable, qu'elle eft composée de pain qui eft la chose terreftre, & de la vertu féparée du corps de Jefus Chrift jointe au pain, qu'il veut que S. Irénée ait défignée par le mot général de chose céleste.

Mais comme cette explication n'eft fondée que fur ces fuppofitions, que le mot de corps de Jefus Chrift fignifie dans les Peres la figure de ce

corps,

corps, & qu'il y a dans l'Eucharistie une certaine vertu féparée du corps LIV. Ľ. de Jefus Christ, nous l'avons déja ruinée en réfutant ces deux chimeres. CH. II. Et quand même nous n'aurions fur cela d'autres lumieres que celle que nous trouvons dans ce paffage, & dans quelqu'autre de ce Pere, il y en a plus qu'il n'en faut pour faire voir l'ardité de ce fens, & de tout ce qu'Aubertin allegue pour le foutenir.

Il prétend que le mot de corps de Jefus Chrift en cet endroit fignifie un corps typique, un corps facramental; c'est-à-dire, une figure du corps de Jefus Chrift. Mais S. Irénée expliquant lui-même en un autre endroit de quelle maniere le pain euchariftique eft le corps de Jefus Chrift, il nous affure que c'eft fon propre corps. Jefus Chrift, dit-il, affure pofitivement 1. 5, c. 2. que le pain, qui eft une créature, eft fon propre corps.

Je fais bien qu'Aubertin, pour éluder ce paffage, rapporte quantité d'exemples où le mot de propre, idios, eft joint à des termes métaphoriques; comme lorfque Clément d'Alexandrie dit, que Jefus Chrift a eu Eglife pour sa propre Epouse; & S. Grégoire de Nyffe, qu'il a formé notre corps de fa propre main. Mais nous avons déja découvert l'illufion & le fophifme de cette réponse, qui confifte en ce qu'il confond mal-àpropos les propofitions métaphoriques avec les propofitions figuratives. Car il est bien yrai que le terme de propre peut être joint à des mots vraiment métaphoriques; c'est-à-dire, où l'attribut fe prend pour quelque qualité de la chofe figurée; qu'ainfi l'on a bien pu dire que Dieu a formé le corps de l'homme de fa propre main ; c'est-à-dire, par fa propre puiffance mais il eft certain auffi qu'Aubertin n'a pu alléguer d'exemple où ce terme foit employé dans des propofitions figuratives, c'est-à-dire, dans celles où le figne eft appellé du nom de la chofe fignifiée; & que l'on ne trouve nulle part que la pierre du défert, le facrifice de Melchifedech, l'Agneau paschal, aient été appellés le propre corps de Jefus Chrift pour marquer qu'ils le fignifioient. Ainfi cet ufage qu'il veut que S. Irénée ait fait du mot de propre en cet endroit, eft également contraire au bon fens & à l'ufage de tous les autres hommes; & c'est-là un des caracteres des folutions d'Aubertin.

Les mots de confeffer & d'assurer pofitivement, diabeßaiolo, dont fe fert S. Irénée en difant, que Jefus Chrift a confeffé que le calice, qui est une créature, eft fon propre fang; & qu'il a affuré pofitivement que le pain, qui eft une créature, eft son propre corps, font voir encore manifeftement, que le mot de corps de Jefus Chrift ne peut être pris pour une fimple figure de ce corps. Car comme l'on l'a déja remarqué, ces termes donnent l'idée d'une chofe difficile à croire, que l'on veut perfuader, en l'affuPerpétuité de la Foi. Tome III.

D

« PrécédentContinuer »