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Liv. V. Chrift n'eft pas changé en la divinité; & il emploie pour cela un argu CH. II. ment tiré de l'Euchariftie.

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L'Orthod. Dites-moi, je vous prie, les fymboles mystiques, qui font » offerts à Dieu par les Prêtres, de quelle chofe font ils fymboles?" L'Er. Du corps & du fang du Seigneur.

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L'Orthod. Eft-ce de fon vrai corps ou non?”

L'Er. De fon vrai corps.

L'Orthod. Fort bien. Car il faut que toute image ait fon original, » comme les Peintres ne font qu'imiter la nature, & qu'ils tirent des » chofes vifibles tout ce qu'ils représentént."

L'Er. Il eft vrai.

L'Orthod. "Si donc les divins myfteres font les antitypes d'un vrai corps, il faut que le corps du Seigneur foit encore corps, & qu'il ne foit pas changé en la nature de la Divinité, mais qu'il soit feulement » rempli d'une gloire divine.

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L'Er. Je fuis ravi que vous ayiez ouvert les difcours des divins myf»teres: car je prétends vous montrer par-là, que le corps du Seigneur eft changé en une autre nature. Répondez-donc à la question que je » Vous vais faire.

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L'Er. «Comment appellez-vous, avant l'Invocation facerdotale, le » don que l'on offre?"

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L'Orth. "Il ne faut pas le dire ouvertement, parce qu'il fe peut faire que nous foyons écoutés par des perfonnes qui ne font pas initiées. L'Er. "Répondez donc en termes couverts, fi vous voulez. " L'Orthod. "Nous l'appellons un aliment fait de certains grains. L'Er.. Et comment nomme-t-on l'autre fymbole?" L'Orthod. "On lui donne un nom commun, qui marque une forte » de breuvage.

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L'Er. Et après la confécration, comment appellez-vous ces fymboles?"
L'Orthod. "Le corps & le fang de Jefus Chrift..”

L'Er. "Et vous croyez participer au corps & au fang de Jefus Chrift?"
L'Orthod. Quf je le crois..

L'Er. "Donc comme les fymboles du corps & du fang du Seigneur
font autres avant l'Invocation facerdotale qu'après; & que, par la con-

» fécration, ils font changés & font faits autres, de même le corps du

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Seigneur, après fon Afcenfion, a été changé en une effence divine. L'Orth.. « Vous vous enveloppez dans les filets que vous avez vous0 même tiffus. Car les fymboles myftiques ne quittent point leur propre nature, ils demeurent en leur premiere effence, & dans leur figure &

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dans leur forme. It's font vifibles & palpables comme auparavant. Mais Liv. V » on conçoit par l'efprit qu'ils font ce qu'ils ont été faits: on croit qu'ils CH. ID », le font, & on les adore comme étant ce qu'on les croit. Comparez » maintenant cette image avec fon original, & vous verrez le rapport qu'il y a de l'un à l'autre car il faut que la figure reffemble à la vé» rité. Le corps donc de Jefus Chrift garde fa premiere forme, fa premiere figure, fa premiere circonfcription, & pour le dire en un mot, il a l'effence d'un corps. Mais après la réfurrection il a été fait immortel & incorruptible, il s'eft affis à la droite de Dieu, & toute créature l'adore, » parce qu'il eft appellé le corps du maître de la nature".

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L'Er. Cependant le fymbole myftique change fon premier nom. Car », on ne lappelle plus comme on faifoit auparavant; mais on le nomme le » corps de Jefus Chrift. D'où il s'enfuit que la vérité qui répond au figne; doit être appellée Dieu & non plus corps ".

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L'Orth. «Vous vous trompez; car on ne l'appelle pas feulement corps, mais auffi pain de vie. C'eft le Seigneur même qui l'a ainfi appellé. Et » quant au corps même, nous l'appellons un corps divin, un corps vi» vifiant, le corps du Seigneur; voulant dire par-là que ce n'eft pas le » corps d'un homme ordinaire, mais le corps de Jefus Chrift qui eft. Dien & homme "..

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Ces deux paffages fourniffent le fujet d'une difpute longue & embar raffée. Les Miniftres font de grands Traités pour établir les conféquences qu'ils en tirent, & s'emportent contre ceux qu'ils réfutent avec une vioJence qui ne leur fiéroit pas trop bien, quand ils auroient raison. Aubertin appelle en un endroit M. de la Milletiere le plus audacieux & le p. 784. plus ignorant de tous les hommes. Il dit qu'il n'y a rien de plus étonnant que fon aveuglement & fun impudence. Stupendam hominis cæcitatem & impudentiam. Il dit d'un Jéfuite nommé Audebert, que c'eft un prodige de hardieffe & de folie: Audaciane dixerim an infania prodigium? Il dit que p. 785% les raifonnements du Cardinal du Perron ne font que des illufions d'un esprit p. 774. fophiftique & fans folidité.

M. Claude lui-même, qui veut que les autres aient de fi grands égards. pour lui, & qui s'offenfe des termes dont on s'eft toujours fervi dans les disputes pour marquer les défauts de raifonnement, ne fait pas difficulté .de dire d'un homme auffi célebre que le Cardinal du Perron, que c'est M. Claude un efprit qui ne s'eft proposé que de fourber fon adverfaire, & de lui faire illufion.

Mais la violence & l'emportement de ces Miniftres ne m'empêchera pas de leur foutenir, qu'ils fe trompent dans toutes les conféquences qu'ilstirent de ces paffages, foit contre la préfence réelle, foit contre la Tranf

contre le

P. Nouet,,

P. 483.

Liv. V. fubftantiation. Et pour le faire avec plus d'ordre & de netteté, je traiterai CH. III. féparément de ce qui regarde chacun de ces dogmes, en examinant d'abord ces paffages par rapport à la présence réelle, & enfuite par rapport à la Tranffubftantiation.

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Que ces paffages de Théodoret bien entendus établissent clairement la préfence réelle.

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E qui fait qu'on s'égare dans l'intelligence des paffages des Auteurs, c'est qu'on les examine fans principes, fans regle & fans équité, & que l'on s'attache à un mot & à une claufe féparée, fans les confidérer par rapport à tout le corps de la doctrine de l'Auteur & de celle de fon fiecle.

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La raifon veut que l'on faffe tout le contraire. Car comme il n'eft nullement vraisemblable qu'un Auteur ait été tantôt d'un fentiment fur une matiere importante, & tantót d'un autre, le fens véritable de chaque paffage en particulier doit être tel, qu'il s'accorde avec toutes les autres expreflions du même Auteur. Et de même parce qu'il n'eft pas auffi fort probable qu'un favant homme, tel qu'étoit Théodoret, eût fur le fond du myftere de l'Euchariftie des fentiments différents de ceux de l'Eglife de fon temps, principalement à l'égard de la préfence réelle, il faut encore que le fens de chaque lieu foit conforme à la doctrine du fiecle où il a vécu.

Ainfi la principale marque d'un fens véritable eft, qu'il s'accorde avec toutes les autres expreffions, ou du même Auteur, ou de ceux que l'on suppose avoir été du même fentiment que lui. Et une grande marque de la fauffeté d'un fens, c'est qu'il ne convienne qu'à un lieu particulier, & qu'il foit contraire à tous les autres, ou du même Auteur, ou de ceux du même temps. De forte que lorfque de deux fens, l'un convient à tous les paffages généralement, l'autre ne fe peut appliquer qu'à un lieu particulier, il eft indubitable que le fens général & commun doit être infiniment préféré au fens particulier.

Il faut encore confidérer, comme on l'a remarqué fouvent ailleurs, que l'idée qui répond aux mots dont on cherche le fens, ne fe doit pas prendre précisément de la fignification littérale de chaque terme; parce qu'il y en a beaucoup auxquels l'efprit joint d'autres notions, & qui ne marquant d'eux-mêmes l'objet que l'on veut faire concevoir que par une

de ses parties, nous lé représentent néanmoins tout entier par l'habitude Liv. V. que l'efprit a de joindre certaines idées. CH. III.

L'Ecriture, par exemple, en nous difant que le Verbe s'eft fait chair, n'a pas deffein feulement de nous faire entendre qu'il a pris une chair fans ame; mais elle veut dire qu'il a pris un corps & une ame. Or nous avous montré que les mots d'image, d'antitype, de figure, de fymbole, de facrement, de myftere étoient de ce genre, & celui de changement en est auffi; parce qu'il eft déterminé fur le fujet de l'Euchariftie, à un changement fubftantiel, comme nous l'avons fait voir.

Si les Miniftres avoient fuivi ces regles, ils n'auroient pas tant fait de bruit des objections qu'ils tirent de Théodoret contre la préfence réelle.

La plus apparente eft fondée sur ce que cet Auteur dit dans fon premier Dialogue, que comme le fruit myftique de la vigne s'appelle après la confécration fang du Seigneur, de même le Prophete a appellé fang du raifin, le fang de la véritable vigne.

Les Miniftres concluent de-là, que comme le fang de Jefus Chrift n'est appellé par Jacob fang du raifin que par métaphore, de même, felon Théodoret, le fruit de la vigne n'eft appellé fang de Jefus Chrift que par métaphore; que l'une de ces expreffions n'est pas plus propre que l'autre, puifque Théodoret les compare enfemble; étant ridicule, difent-ils, s'il eût cru que le vin confacré fût réellement le fang de Jefus Christ, qu'il eût comparé l'expreffion qui l'affirme avec cette autre expreffion de Jacob, où le fang de Jefus Chrift eft appellé vin & fang du raifin, ce qui n'eft que métaphorique; & qu'il eût dit encore, comme il fait dans la fuite, que Jefus Chrift a changé les noms; qu'il a donné aux fymboles le nom de fon corps & de fon fang, & à fon corps & à fon fang le nom des fymboles. Car il y a bien changement de nom, à donner au corps & au fang de Jefus Chrift le nom de pain & de vin, puifqu'ils ne font pas réellement pain & vin. Mais quel changement y a-t-il à appeller les fymboles le corps le fang de Jefus Chrift, s'ils font réellement ce corps & ce fang? On leur répond que Théodoret compare ces expreffions dans ce qu'elles. ont de semblable; mais qu'il n'en a pas pour cela ignoré les différences. La reffemblance confifte en ce que comme Jefus Chrift s'eft appellé luimême vigne & froment, & que le Prophete appelle fon fang du nom de fang du raifin, Jefus Chrift a de même donné le nom de fon corps. & de fon fang à ce qui étoit pain & vin par fa nature; ainfi comme le nom de froment & de vigne & de vin ne convient point par nature à Jefus Chrift, de même il eft vrai de dire, que le pain & le vin qu'il a appellés fon corps & fon fang, n'étoient pas par leur nature fon corps & fon fang,

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LIV. V.

Mais la différence confifte en ce que Jefus Chrift, en s'appellant vigne, CH. III. n'a point été réellement changé en vigne; en s'appellant pain, ne s'est point rendu pain. Et ainfi il n'a point fait que les noms de pain & de vigne lui convinffent réellement; au lieu qu'en donnant au pain le nom de fon corps, il l'a réellement changé en fon corps; & en donnant au vin le nom de fon fang, il l'a réellement changé en fon fang. Et il a fait ainfi que les noms de corps & de fang convinffent réellement à ce qu'il a appellé fon corps & fon fang: de forte que ces dernieres expreffions font fondées fur un changement réel, & non pas les autres.

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Il n'y a rien de moins imaginaire que la reffemblance & la différence de ces expreffions; & l'on peut dire même en quelque forte que l'on conçoit l'une & l'autre par différentes parties de l'ame: car on conçoit la reffemblance en suivant l'impreffion qui répond aux fens. C'est-à-dire, que l'on conçoit que comme Jefus Chrift s'appelle vigne, quoique les fens mettent une différence réelle entre lui & une vigne, de même il appelle le vin fon fang, quoique les fens nous repréfentent ces deux chofes comme deux êtres différents Et c'est en quoi confifte la reffemblance de ces expreffions.

Mais c'est par la raison éclairée des lumieres de la foi que l'on en conçoit la différence; parce que la foi ne nous apprenant point que Jesus Chrift foit changé en vigne, elle nous fait affez comprendre qu'il ne s'appelle vigne qué par métaphore; au lieu que nous enfeignant que le vin est réellement changé au fang de Jefus Chrift, elle nous fait concevoir que ce que l'imagination nous représente comme deux êtres, n'eft qu'un même être, qui garde les apparences de vin, & qui eft réellement le fang de Jefus Chrift.

La question doit donc confifter uniquement à favoir fi Théodoret, qui a marqué dans le passage allégué la reffemblance qui fe trouve entre ces expreffions, a reconnu ou ignoré les différences que les Catholiques y mettent. Les Catholiques font en droit de fuppofer qu'il les a reconnues, puifque tous les Peres les ont reconnues; & que fachant tous que Jefus Christ s'eft appellé vigne, ils n'ont jamais dit que Jefus Chrift se fût changé en vigne. Ils n'ont jamais exhorté perfonne à croire que Jefus Chrift fût une vigne. Ils n'ont jamais dit qu'il n'en falloit point douter, malgré la répugnance de notre raison & de nos fens. Ils n'ont jamais dit que depuis qu'il s'étoit appellé vigne, il n'étoit plus celui qui étoit né d'une Vierge; mais qu'il étoit ce qu'il s'étoit fait en fe donnant ce nom. Ils n'ont point entrepris de prouver la poffibilité du changement de Jefus Chrift en vigne: ils n'en ont allégué aucun exemple; au lieu qu'ils n'ont rien oublié de tout cela à l'égard de l'Euchariftie: qu'ils nous ont avertis expressément que le pain étoit changé au corps de Jefus Chrift & le vin en

fon

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