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Il n'y a qu'à appliquer cette maxime du fens commun au paffage de S. Liv. VI. Ephrem, pour en conclure, qu'on ne le fauroit expliquer d'une autre man- CH. III. ducation que de celle qui fe fait par l'Euchariftie. Car il eft certain d'une

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part, que ces termes de S. Ephrem, participer au corps & au fang de Jefus Chrift, manger le corps immaculé & boire fon fang, manger l'Agneau tout entier, le mystere de Chrift, & quantité d'autres, ont pour fignification principale & ordinaire la manducation facramentale; & il eft vifible de l'autre, qu'il n'y a rien dans ce paffage qui détourne de ce fens; & par conféquent c'est une chicanerie honteufe que d'en vouloir fubftituer un autre, & de rapporter ces paroles à la fimple méditation des fouffrances de Jefus Chrift..

Je paffe même plus avant, & je foutiens qu'Aubertin ne fauroit faire voir que ces termes aient jamais été employés avec quelque détermination que ce foit à la manducation fpirituelle. Que l'on n'a jamais dit d'une autre manducation que de la facramentale, que Dieu nous a donné fon corps fon fang, afin de nous en nourrir, & que cette participation nous Serve pour la rémission de nos péchés. Ce font des expreffions tirées de la Liturgie, qui portent l'efprit à la communion facramentale, & qui ne fe: difent qu'en ce fens.

Je foutiens de plus, qu'en prenant cette manducation pour une fimple: méditation des fouffrances de Jefus Chrift, il eft ridicule d'exiger qu'on fe tienne pleinement affuré que l'on y mange Jefus Chrift tout entier. Et il n'y a rien de plus impertinent que le fens qu'Aubertin donne à ces pa-roles, en voulant qu'elles fignifient que par cette manducation fpirituelle on mange Jefus Chrift auffi-bien felon fon humanité que felon fa divinité.Car puifque manger fpirituellement la divinité & l'humanité de Jefus Chrift: n'eft autre chofe que d'embraffer par la foi & l'humanité & la divinité de Jefus Chrift, il eft impoffible de le faire fans être affuré qu'on le fait; la connoiffance & la certitude de l'action étant inféparables de l'action même.Ainfi comme il feroit ridicule de prefcrire à un homme qui penseroit à Dieu, d'être affuré qu'il y penfe; il eft ridicule auffi de prefcrire à un homme qui s'unit par la foi à l'humanité & à la divinité de Jefus Chrift qu'il foit affuré qu'il mange la divinité & l'humanité, puifque ce ne feroit en ce fens que la même chofe.

Cette réflexion qu'Aubertin veut que S. Ephrem ait eu en vue, que c'est une grande merveille que des hommes corporels foient nourris du pain des Anges; c'est-à-dire, felon lui, de la divinité de Jefus Chrift, eft une pure vifion. Car comme cette penfée eft extraordinaire, ceux qui la veulent faire entendre aux autres ne manquent jamais de l'expri-mer, & ils ne fuppofent pas qu'on la devinera par des paroles qui ne las fignifient point..

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LIV. VI.

S. Auguftin & S. Fulgence, qui ont fouvent marqué ce degré de monter CH. III. à la divinité par l'humanité, fe font fervis de paroles très-claires pour exprimer leur pensée. S. Ephrem en auroit fait autant, s'il avoit eu le même deffein; & de ce qu'il ne le fait pas, c'eft une marque certaine qu'il ne l'a pas eu. Il ne parle ni de l'humanité, comme degré, ni du pain des Anges, ni de la divinité de Jefus Chrift, ni du Verbe comme Verbe. Il ne fait point confifter la merveille dont il parle, en ce qu'on mange la divinité, mais en ce qu'on mange le corps & le fang de Jefus Chrift; & ainfi il faudroit qu'il n'eût pas eu de fens commun, s'il nous eût voulufaire comprendre par-là cette doctrine fi haute & fi élevée, & qui a besoin pour être entendue d'être fi précisément exprimée. A ce paffage de S. In comp. Ephrem, on en peut ajouter un autre de S. Epiphane, dont Aubertin fe fauve par les mêmes illufions. L'Eglife, dit ce Pere, eft le port tranquille de la paix. C'est une vigne qui jette une odeur pareille à celle des vignes de Cypre, & qui nous produit le raifin de l'Eulogie, nous donne tous les jours un breuvage qui foulage tous nos travaux; favoir le fang de Jefus Chrift pur & véritable.

ferm. de fide Eccl.

Aubertin replique que cela ne s'entend pas de l'Eucharistie, mais du corps & du fang de Jefus Chrift, qui nous eft présenté, dit-il, par les infAdv. Err. tructions de l'Eglife. Il ajoute que c'eft en ce fens que S. Jerôme dit: ConJovin. fuetudo nobis iftiufmodi eft, ut his qui baptizandi funt, per quadraginta dies tradamus fanctam Trinitatem.

Aubert.

P. 466.

Mais ce Miniftre devroit avoir pris garde, que fi l'on fe peut fervir du mot de tradere en parlant d'instruction, il n'en eft pas de même de celui de largiri, xagiedas, & qu'il n'y eut jamais d'Ecrivain assez impertinent, pour dire que l'on fait préfent aux baptifés de la Sainte Trinité, en voulant faire entendre qu'on les en inftruit. Ainfi S. Epiphane disant de l'Eglife, qu'elle nous fuit préfent du fang de Jefus Chrift αἷμα χρίσου χαριζομένη, c'eft le comble de l'abfurdité de rapporter cela aux inftructions qu'elle nous en donne. Outre que S. Epiphane ne difant rien qui puiffe faire appliquer ce qu'il dit du corps & du fang de Jefus Chrift à l'inftruction, il eft ridicule de rapporter ces termes à une autre chofe qu'à l'Euchariftie, qui fait leur propre & leur principale fignification.

Aubertin a encore recours à une autre défaite pour fe tirer de ce paffage, qui eft, dit-il, qu'en cas qu'il faille l'entendre de l'Euchariftie, on

peut dire que S. Epiphane entend par ce vrai fang, un vrai Sacrement,

& qu'il l'appelle vrai pour le diftinguer des faux Sacrements des hérétiques. Mais c'eft encore là une de ces vues éloignées qui ne fe fuppléent point, & qui ont néceffairement befoin d'être exprimées pour être entendues. Si S. Epiphane n'avoit eu deffein que de diftinguer par le mot de verum,

le Sacrement de l'Euchariftie des faux Sacrements des hérétiques, il en pa- Liv. VI. roîtroit affurément quelque chofe; mais comme il n'y a rien d'approchant, CH. IV. il eft vifible qu'il montre par-là, qu'il laiffe ce mot dans fon sens ordia naire, & qu'il l'oppofe au doute général que le mystere même produit, & qui a befoin d'être détruit, en nous confirmant dans la créance que ce que l'Eglife nous donne eft le vrai fang de Jefus Chrift, comme on l'a expliqué dans le fecond volume de cet ouvrage.

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1. 5. c. 11.

Na rapporté dans le Tome précédent, le premier Chapitre du Perp. t. 2. fixieme Livre des Sacrements attribué à S. Ambroife; & ceux qui prendront la peine de lire les réflexions qu'on y a jointes, y trouveront fans doute une preuve convaincante que la vraie chair de Jefus Chrift eft réellement prife & mangée dans l'Euchariftie. Je ne laifferai pas néanmoins de l'inférer ici, pour avoir lieu de réfuter la réponse qu'y a fait Aubertin. Comme Notre Seigneur Jefus Chrift, dit cet Auteur, cft le vrai Fils de Dieu, & qu'il ne l'eft pas feulement par grace comme les hommes, mais qu'il l'eft comme Fils de la fubftance du Pere; ainfi c'eft fa vraie chair que nous recevons, & fon vrai fang qui eft notre breuvage. Vous direz peut-être ce que dirent quelques Difciples de Jefus Chrift lorfqu'il leur dit: CELUI qui ne mangera pas ma chair & ne boira pas mon fang ne demeurera pas en moi, n'aura point la vie éternelle: peut-être, dis-je, que vous direz: Comment eft-ce fa vraie chair, puifque je ne vois qu'une reffemblance de Sang, & non la vérité du fang? Je réponds à cela premiérement, que la parole de Dieu eft fi efficace, qu'elle peut changer les loix ordinaires de la nature. Je réponds en fecond lieu, que c'eft pour empêcher qu'il n'arrive ce qui arriva quand les Difciples ne purent fouffrir les difcours de Jefus Chrift, & que lui entendant dire qu'il donnoit fa chair à manger & Son fang à boire, ils fe retirerent tous, à la réserve de S. Pierre, qui lui dit: VOUS AVEZ les paroles de la vie éternelle. Où pourrions-nous aller en vous quittant? Pour empêcher donc qu'on ne dife ce que dirent ces Difciples qui abandonnerent Jefus Chrift, & pour faire en même temps que la vue du fang ne caufàt pas de l'horreur, & que néanmoins la grace que Jefus Chrift nous fait pour notre rédemption demeurat entiere, vous recevez le Sacrement fous la reffemblance du fang; mais vous obtenez la grace & la vertu de la vé ritable future, i

Liv. VI. On a fait voir dans le lieu que j'ai cité, que cette expreffion, nous CH. IV. recevons la grace && la vertu de la véritable nature, fignifie, que nous recevons la véritable nature pleine de vertu & de grace; & il n'est plus néceffaire de s'y arrêter ici.

Aubert. p.

Mais ce que je prétends faire remarquer, c'est qu'Aubertin, pour 514. 515, répondre à ce paffage, invente une nouvelle folution, auffi contraire à fes propres principes qu'au bon fens & à la vérité.

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Car on ne conçoit d'ordinaire, felon l'opinion des Miniftres, que deux fortes de manducation; l'une corporelle, qui fe termine au figne ou facrement; l'autre fpirituelle, qui fe termine à la vraie chair de Jefus Chrift. Cependant la manducation à laquelle ce Miniftre a recours pour expliquer ce paffage, n'eft ni de l'une ni de l'autre efpece, comme nous l'allons

montrer.

Premiérement, il demeure d'accord qu'il eft question dans ce paffage de la vraie chair de Jefus Chrift; que c'eft de la vraie chair qu'il eft dit que, vera eft caro quam accipimus, & verus potus. Ainfi c'eft de cette vraie chair que S. Ambroife explique ces paffages du fixieme Chapitre de S. Jean: Ma chair eft vraiment viande, & mon fang eft vraiment breuvage.

Il n'a ofé dire non plus, qu'il s'agiffe en ce lieu d'une manducation fpirituelle. Car il s'y agit d'une manducation qui excite un doute, qui s'exprime par ces paroles: Vous me direz comment eft-ce de vraie chair, puifque je ne la vois pas? Or il feroit ridicule de s'imaginer, que parce qu'on ne voit pas le fang de Jefus Chrift, perfonne pût douter qu'on le reçoive par la foi; puisqu'au contraire pour le recevoir ainfi, il est de néceflité qu'on ne le voie pas.

Il est donc certain que cet Auteur parle d'une manducation corporelle; & par conféquent, voilà une manducation corporelle, qui a pour objet la vraie chair de Jefus Christ.

Il femble qu'il n'y ait rien de plus à defirer; mais cependant ce n'eft pas affez pour Aubertin. Il a recours à fa derniere reffource, qui eft fa clef de vertu & chicanant fur ces dernieres paroles, vera natura gratiam virtutemque confequimur, qu'il entend, contre la fuite de tout le paffage, d'une vertu féparée de la chair de Jefus Chrift, il veut que la chair de Jefus Chrift foit mangée & reçue, non en elle-même, mais en fa vertu; fic carnem & fanguinem Chrifti accipimus, non ratione materia, fed ratione virtutis abfque eo quod ullus horror fit manducationis carnis & potus fanguinolenti.

Par-là il établit ce troifieme genre de manducation inconnu jufqu'à lui, qui confifte en une manducation corporelle, dont l'objet eft la vertu

du

du corps de Jefus Chrift. De forte que comme cette vertu du corps de Liv. VI. i Jefus Chrift eft une qualité fpirituelle, ou plutôt que c'eft le S. Efprit CH. IV. même avec tous fes dons, il faut qu'il foutienne que nous mangeons corporellement le S. Efprit, malgré le fens commun & la doctrine formelle des Peres, qui enfeignent que la Divinité ne fauroit être mangée. On répondra peut-être que, comme la chair de Jefus Chrift n'eft pas mangée en elle-même, mais par fa vertu, de même cette vertu eft mangée par le facrement, & non en elle-même.

Mais qu'y a-t-il de plus ridicule que de faire faire tous ces tours à notre efprit, pour parvenir à l'expreffion de l'Auteur dont il s'agit? L'expreffion naturelle, felon Aubertin, eft que l'on mange le facrement, & qu'il n'y a que cela qui foit, proprement mangé. Il veut enfuite que le mot de manger s'étende par métaphore jufqu'à dire, que l'on mange: la vertu du corps de Jefus Christ. C'est déja un étrange faut qu'il fait faire à l'efprit; & l'on ne fait guere ce que c'est que des vertus mangées. Néanmoins il ne s'arrête pas là; & comme fi cette manducation de vertus étoit la chofe du monde la plus claire & la plus établie, il veut encore que d'un fecond faut notre efprit aille découvrir l'idée de cette vertu mangée, dans cette expreffion, manger la chair de Jefus Chrift; comme fi elle ne pouvoit avoir d'autre fens.

Il ne faut pas que M. Claude prétende qu'on impofe ici à Aubertin pour le rendre ridicule, parce que ce Miniftre ne fe fert pas de l'ex-> preffion de manger la vertu de Jefus Chrift, & que l'expreflion de l'Auteur qu'il explique eft, naturâ gratiam virtutemque confequeris. Car ce mot de confequeris fignifie manger en cet endroit, puifqu'il eft question d'expliquer ce paffage: Nifi manducaveritis carnem Filii hominis. Or il eft certain, comme il a été prouvé, que cet Auteur entend cette manducation d'une manducation corporelle. Si donc par le mot de carnem Filii hominis, il avoit entendu la vertu de la chair, il auroit voulu qu'on mangeât la vertu de la chair, & il auroit attribué à Jefus Chrift d'avoir exprimé cette étrange idée par cette expreffion encore plus étrange: Nifi manducaveritis carnem Filii hominis, & biberitis ejus fanguinem, Perp. t. 2. non habebitis vitam in vobis. 1. 3. c. 7.

11 eft bon de se souvenir ici de ce qu'on a remarqué dans le Volume précédent, que quand on objecte à Aubertin le paffage de la quarantefixieme Homélie de S. Chryfoftôme fur S. Jean, où il est dit, qu'il ne falloit pas penfer que ce fut par énigme & par parabole, que Jefus Chrift dit aux Juifs, que SA CHAIR eft vraiment viande, & fon fang vraiment breuvage; mais qu'on devoit croire qu'il falloit abfolument manger fon corps. Perpétuité de la Foi. Tome III.

X.X

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