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qui ne se peuvent prendre pour métaphoriques, fans renverfer tout le Liv. VI. langage humain, & par conféquent toute la foi. Et elle n'a garde d'aban- CH. X. donner des vérités fi claires, fur le vain prétexte qu'il fe trouve en d'autres endroits du même S. Cyrille, que Jefus Chrift eft abfent de nous, qu'il n'eft plus avec nous par fa chair, & qu'il y eft par fon efprit. Ce qui fe trouve auffi dans plufieurs lieux de S. Auguftin.

Car qu'est-ce que tous ces paffages difent, que ce que nous avons vu dans ceux des Auteurs poftérieurs au fiecle de Bérenger, que nous avons cités; comme dans le paffage de Hugues de S. Victor, qui nous affure, que Jefus Chrift s'est retiré selon la présence corporelle, mais qu'il est demeuré felon la fpirituelle: SECUNDUM prafentiam corporalem receffit, fed fecundùm fpiritualem remanfit.

Il est donc ridicule de chercher des preuves contre la préfence réelle dans des paffages de cette nature. Que fi l'on demande maintenant comment des Auteurs perfuadés de cette créance ont pu parler de la forte, il eft facile, comme nous avons dit, d'en chercher la raison dans la maniere dont l'efprit humain conçoit ordinairement les chofes. Car il faut par néceffité que les idées qu'il fe forme fur l'état naturel des choses lui foient beaucoup plus préfentes, que celles qu'il fe forme fur ce que Dieu Jo.10 fait par fa toute-puiffance, contre les regles de la nature; parce que les premieres font fans ceffe renouvellées par tous les objets au lieu qu'il faut une application particuliere de l'efprit aux vérités de la foi pour former les autres.

Or l'idée naturelle que nous avons de la présence d'un corps n'étant formée que fur l'impreffion que nos fens reçoivent des corps que nous appellons présents, c'eft fans doute celle d'une présence fenfible; & l'on eft naturellement porté à confidérer comme abfents, les corps qui ne font pas préfents en cette maniere.

Nous avons donc une pente naturelle à regarder le corps de Jefus Christ comme abfent de la terre, & à le confidérer dans le ciel, où il eft présent, de cette maniere de préfence que nous connoiffons. Et pour cette préfence qu'il a dans le Sacrement, comme nous n'en fommes frappés que lorfque nous l'y confidérons expreffément, nous ne fommes portés à en parler, que lorfque nous parlons expreffément de ce myftere.

Hors de-là, les idées ordinaires reviennent: & comme nous en avons deux à l'égard de Jefus Chrift; l'une pour fon humanité, qui est celle d'une présence fenfible; l'autre pour fa divinité, felon laquelle nous concevons qu'il eft par-tout, il n'eft nullement étrange qu'il n'y ait que ces deux idées communes qui fe préfentent à l'efprit, & que l'on dise ainsi, Perpétuité de la Foi. Tome III. Eee

LIV. VI. que Jefus Christ s'est retiré de ce monde felon fon humanité, parce qu'il CH. X. a ceffé d'y être vifiblement, & qu'il y eft demeuré felon fa divinité.

Ce n'eft pas que cette divifion foit exacte, puisqu'outre ces deux manieres de présence, il y en a une troifieme, qui eft la présence invisible des corps. Mais comme c'est une préfence miraculeuse, extraordinaire, incompréhensible, furnaturelle, elle n'entre pas dans les divisions où l'on ne confidere que les efpeces naturelles & ordinaires. Elle ne fe présente pas même alors à l'efprit, fi ce n'est rarement, comme elle s'eft présentée 5. in à S. Ambroife, quand il a écrit: Ni Caïphe ni Pilate n'ont pas eu la Evan, c.5. puissance de nous ravir Jefus Chrift; & nous ne pouvons jeûner, comme fi on nous avoit ôté notre Epoux, parce que nous avons Jefus Chrift, & que nous nous nourriffons de fon corps & de fon fang.

L.

M. Claud. 2. Réponf. part. 2.

C. 15.

Les Miniftres propofent d'ordinaire contre cette doctrine un paffage de S. Chryfoftome, où ils prétendent que ce Saint exhorte les fideles à chercher Jefus Chrift dans le ciel au moment même de la communion. M. Claude fait des merveilles fur ce paffage, & comme je me fuis quelque part obligé d'en parler, je prendrai cette occafion de dégager ma promeffe. Voici le paffage dont il s'agit.

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C'est à cette union mutuelle que cette terrible & redoutable victime nous invite. Elle nous commande de nous approcher d'elle avec un esprit de paix; & qu'ainfi étant faits des aigles, nous nous élevions jusqu'au ciel même. Car là où fera le corps mort, là feront auffi les aigles. Il appelle fon corps un corps mort, parce que s'il ne fût mort, nous ne nous ferions jamais relevés. Il nous appelle auffi des aigles, parce que celui qui s'approche de ce corps doit être tout céleste, & ne plus tenir à la terre; qu'il ne doit pas fe traîner ni ramper ici bas, mais fe porter en baut d'un vol continuel; regarder le foleil de juftice, & avoir l'œil de l'entendement clair-voyant. Car cette table eft la table des aigles, & non des corneilles.

Aubertin, & M. Claude concluent de-là, que puifque S. Chryfoftôme veut qu'on éleve fon efprit au ciel pour y chercher Jefus Chrift, il ne croyoit donc pas qu'il fût fur la terre; n'y ayant point d'apparence de l'aller chercher fi loin, s'il étoit fi près.

Mais que ces raisonnements font bien voir, que ces gens ne conçoivent les chofes de la Religion que d'une maniere basse & charnelle, & qu'ils n'ont nulle part à cet efprit dönt les Saints ont été animés, & qui les à fait parler de cette maniere !

Pour faire fentir leur égarement, il n'y a qu'à demander, fi quand Jefus Chrift nous commandoit de dire à Dieu dans la priere qu'il nous a prescrite, Notre Pere qui êtes dans les cieux, il nous vouloit faire croire qu'il n'étoit pas préfent au milieu de nous? Si le Prophete qui difoit à

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Dieu: Jai élevé mon ame vers vous, Seigneur, qui habitez dans les cieux, Liv. VI étoit perfuadé que Dieu n'étoit que dans le ciel; & fi ce feroit bien rai- CH. X fonner que de dire fur cette priere de David, à l'imitation d'Aubertin: Quid neceffe foret è terra in cœlum volare, fi per propriam fubftantiam Deum haberemus in terra præfentem?

C'est par ces fauffes & hontenfes fubtilités qu'Epifcopius, & les Remontrants qui les ont tirées de l'école des Calviniftes, ont depuis attaqué la plupart des myfteres que leurs Maîtres avoient épargnés, & entr'autres la présence de Dieu dans tous les lieux du monde.

Mais pour les Catholiques, ils n'ont aucune peine à réfifter aux uns & aux autres, & à foutenir également contre les Remontrants, que ces paffages qui portent à regarder Dieu comme préfent dans le ciel d'une maniere particuliere, ne doivent point empêcher qu'on ne le croie préfent par-tout; & contre les Calviniftes, que c'est une chose très-fainte & très-conforme à la doctrine catholique d'adorer en même temps Jefus Christ, comme préfent dans le ciel & fur la terre, & au même temps que l'on reçoit fon corps ici bas, d'élever fon efprit à ce même corps réfidant à la droite de Dieu. Chaque vue a fes utilités. Si celle-ci nous remplit plus de l'admiration de fa bonté & de fon humilité, l'autre nous inspire plus de refpect, en nous mettant plus vivement sa majesté devant les yeux. Si l'une nous inftruit davantage de ce que nous lui devons, pour avoir bien voulu demeurer parmi nous, l'autre nous détache davantage de la terre, en faisant que nous nous repréfentons à nous-mêmes comme éloignés & bannis de notre patrie & du bonheur où nous afpirons. Si l'une nous porte plus à l'amour, l'autre excite plus notre espérance. Et comme tous ces mouvements doivent être joints dans l'ame fidelle, l'Eglife en joint auffi les motifs, en portant fes enfants à confidérer Jesus Christ de cette double maniere. Et c'est ce que l'Eglife Grecque fait expreffément par cette priere de fa Liturgie: Vous qui êtes affis dans le ciel avec votre Pere, & qui êtes ici invifiblement avec nous, daignez par votre main puissante nous faire participants de votre corps trèspur & de votre précieux fang, & par nous tout le peuple.

Voilà ce qu'on diroit avec raison à Aubertin & à M. Claude, quand il feroit vrai que S. Chryfoftôme nous auroit voulu porter à aller chercher Jefus Chrift au ciel dans l'acte même de la communion. Mais ils font fi malheureux en preuves, que quoiqu'ils n'en puffent rien conclure, il fe trouve de plus, que S. Chryfoftôme ne dit rien moins que ce qu'ils lui font dire. Car il eft clair qu'il n'entend point parler d'un certain acte de dévotion qui fe doive pratiquer à la communion, mais d'une difpo fition permanente où doivent être les fideles qui s'en approchent; &

Liv. VI. qui eft fortifiée par la communion même. Il faut, dit-il, que celui quí CH. XI. s'approche de ce corps, foit él vé, qu'il ne tienne point à la terre, qu'il ne Se traine point & ne rampe point ici bas; mais qu'il vole inceffamment en baut, άνω πέτεται διηνεχῶς.

C'est donc une difpofition perpétuelle qu'il exprime, & non urre action paffagere. Et c'est encore ce qu'il marque bien nettement, larfqu'il dit, que cette redoutable HOSTIE nous commande de nous approcher d'elle-même avec une charité brûlante, qui nous rendant des aigles, nous fasse voler dans le ciel. Car cette charité étant une difpofitión permanente, elle a toujours pour effet de nous rendre aigles, & de nous élever vers le ciel; & S. Chryfoftome ne prétend pas que cela fe faffe plutôt dans l'acte de la communion qu'en un autre temps. Mais cette charité, qui nous rend aigles felon lui, qui nous fait voler vers le ciel, qui nous affemble autour du corps de Jefus Chrift, nous fait trouver ce ciel & ce corps dans l'Euchariftie.

Et c'est pourquoi il marque expreffément, que ces aigles s'affemblent à cette table: Ce n'eft pas, dit-il, la table des corneilles, mais des aigles, & qu'ils s'y approchent du corps de Jefus Chrift. CELUI, dit-il, qui s'approche de ce corps, c'est-à-dire, du corps de Jefus Chrift dans l'Eucharistie, doit être élevé & ne point tenir à la terre, mais voler incessamment en haut. Il n'entend donc pas le ciel à la lettre, puifque cette terre qu'il y oppofe, n'eft pas la terre où nous fommes, à laquelle il eft impoffible que nous ne tenions point, mais les paffions terreftres, dont il veut que nous foyons dégagés. Cependant c'eft fur cette oppofition du ciel à la terre qu'Aubertin prétend, que S. Chryfoftôme a voulu parler du ciel véritable: Teftatur fe per cœlum lacum fublimem intelligere terræ oppofitum, & qu'il prend fujet de quereller Bellarmin qui foutient le contraire; au lieu que c'est justement cette oppofition à une terre métaphorique, qui fait voir que ce ciel n'eft qu'un ciel métaphorique.

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Que la confidération de l'Euchariftie, comme mémorial de la Paffion de Jefus • Chrift, n'est point contraire à la préfence réelle.

IL-n'y auroit rien de plus aifé que de fuivre dans l'examen de ce point

la même méthode qu'on a fuivie dans les autres; c'eft-à-dire, de faire voir d'abord par l'exemple des Ecrivains Catholiques qui ont écrit contre Berenger, que cette vue de l'efprit', qui regarde l'Euchariftie comme mémorial de Jefus Chrift crucifié, n'a rien de contraire à la foi de fa présence..

Mais parce que M. Claude demeure d'accord de ce langage, & qu'il cite Liv. VK lui-même dans fon Livre contre le Pere Nouet un endroit de Pierre Lom- CH. XI. bard, où l'Euchariftie eft appellée un facrifice & une oblation, parce que c'est la mémoire du facrifice de la croix; que toutes les prieres de l'Eglife retentiffent de ce terme de mémoire, que l'on y appelle par-tout l'Euchariftie mémorial de la mort de Jefus Chrift: O mémoriale mortis Domini! que l'on y chante, que Jefus Chrift nous commande de célébrer ce myftere en mémoire de fa mort, je crois pouvoir fuppofer ce langage comme autorisé par toute l'Eglife depuis Bérenger; & il ne refte plus qu'à demander aux Miniftres, pourquoi il leur plaît que ces deux vues de l'efprit, dont l'une regarde l'Euchariftie comme mémoire de Jefus Chrift, & l'autre regarde Jesus Christ comme préfent, qui fe font fi bien accordées depuis fix-cents ans dans l'efprit de tous les Catholiques, ont dû fe combattre néceffairement dans celui des Peres.

Je n'ai qu'à leur demander par quelle raifon ils veulent bien qu'on fe puiffe fouvenir de Dieu comme David: Memor fui Dei & delectatus fum: & fe fervir même de toutes les images que l'on veut pour s'en renouveller la mémoire, quoiqu'il foit actuellement préfent dans toutes ces images & par-tout; & qu'il ne foit pas permis néanmoins de fe fouvenir de Jefus Chrift préfent d'une maniere invifible dans l'Euchariftie, & de fe fervir de l'extérieur de l'Euchariftie pour renouveller ce fouvenir?

Je n'ai qu'à leur dire, comme on a déja fait, qu'il n'y a rien de plus vifiblement contre le fens commun que ce principe imaginaire, que la mémoire fuppofe l'abience. Car la mémoire n'eft oppofée qu'à l'oubli, & nous pouvons nous souvenir de toutes les chofes que nous pouvons oublier. Or nous pouvons oublier une infinité de chofes préfentes, parce qu'elles ne frappent pas nos fens. Nous n'oublions que trop fouvent Dieu en qui nous fommes, & en qui nous vivons. Nous nous oublions nous-mêmes. Nous oublions que nous fommes environnés de Démons, qui vont & viennent autour de nous, cherchant l'occafion de nous perdre. Nous oublions que les Anges font avec nous pour nous fecourir. Nous oublions nos biens & nos maux, & les biens & les maux de ceux avec qui nous vivons, quoique tout cela foit préfent. Et comme nous pouvons oublier les chofes, nous pouvons. auffi nous en fouvenir: nous en avons la mémoire. Et c'est une chicanerie ridicule à Aubertin de vouloir qu'on ne puiffe appliquer ce mot de mé moire à ces fortes de chofes, fans le prendre en une fignification impro pre. Car c'eft tellement fa fignification naturelle, qu'il n'est pas poffible de s'exprimer plus proprement. Ainfi quand quelques Auteurs ont dit que la mémoire ne regarde pas les chofes préfentes, ils ont entendu une préfence fenfible & non une préfence réelle. Tout ce qu'ils ont voulu dire,

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