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LIV. VIII. Etant informé de toutes ces particularités, je retournai à l'Abbaye de CH. V. l'Affomption, & de-là à la maison.

Je ne fus pas fi-tôt de retour que j'allai dans l'Eglife de l'Abbaye, où l'on achevoit la priere du foir avec beaucoup de dévotion. Si-tôt qu'elle fut finie j'entrai dans le Sanctuaire, pour y remarquer la peinture qui eft dans la demi-coupe à la face de l'Autel. L'on y voit Jefus Chrift communiant les Apôtres de la même maniere que nous avons remarqué, à l'exception que S. Pierre paroît recevoir la communion dans fa bouche. Au deffus eft un Autel où eft dépeint le calice, un livre d'Evangiles & l'hoftie; & l'on voit aux deux côtés les figures au naturel; favoir à droite de S. Blaife, de S. Silveftre, Pape de Rome, ayant une triple couronne fur fa téte, de S. Nicolas & de S. Chryfoftôme, & à la gauche de S. Bafile, S. Grégoire, S. Spiridion & S. Cyrille, le premier de ces derniers ayant ces paroles écrites dans un rouleau qu'il tient, O Dieu, notre Dieu, qui avez envoyé notre pain céleste, qui eft la nourriture de tout le monde.

L'on voit à-peu-près la même repréfentation dans trois des Eglifes Grecques & paroiffiales du village de Foufta, où j'ai été exprès, tant pour examiner ces particularités que pour faire interroger le Papas. La différence qu'il y a, c'eft que la figure de Jefus Chrift en quelques-unes n'est pas double, & qu'étant au milieu de l'Autel, il étend fes deux mains en forme de croix, pour marquer davantage fa Paffion, & que de l'une it communie S. Pierre, & de l'autre il fait boire S. Jean dans le calice. J'ai obfervé qu'au troifieme rang il y a un Autel, fur lequel Notre Seigneur Jefus Chrift eft couché en figure d'enfant fur la représentation de l'hoftie, étant couvert jusqu'auprès du menton d'un voile, qui est celui du calice, où il y a une croix deffus, & ayant auprès de lui d'un côté le calice avec une cuillier dedans, & de l'autre le livre des Evangiles. Deux figures d'Anges au naturel, à droite & à gauche, y marquent le culte de latrie qu'ils lui rendent. Ils ont le corps courbé, la tête un peu baiffée, les yeux prefque fermés, & tiennent un grand bâton au bout duquel est une tête de Séraphin figurée dans un rond. L'on voit enfuite S. Nicolas & S. Chryfoftôme à la droite, & à la gauche S. Bafile & S. Athanafe, tenant chacun un rouleau de papier, où font écrites quelques louanges de Dieu.

Les Eglifes dont les peintures appliquées derriere l'Autel fe trouvent femblables à celles que je viens d'expliquer, font dédiées à l'Annonciation, à S. Dimitre & à S. Théodore. Cette derniere, comme la plus grande, eft deffervie par deux Papas, qui ont fous leur direction cinquante-cinq maifons & familles. Dans la premiere il n'y en a que trente, & dans la feconde vingt-cinq. Il y en a une quatrieme dédiée à S. Mi

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chel, où il n'y a des peintures qu'au devant du Sanctuaire, n'y en ayant LIV. VIII.
CH. V.
point au dedans à caufe qu'elle eft fort pauvre, quoiqu'elle ait trente
familles. Le Papás de celle-ci rend au Métropolite de Calcédoine trente-
cinq piaftres. Le Caloyer de l'Annonciation en donne vingt. Le Papas
de S. Dimitre autant, & celui de S. Théodore cinquante.

Je trouvai les Papas de ces Paroiffes bien inftruits, & entr'autres le Caloyer de l'Annonciation, lequel ayant plus de vivacité & de promptitude à répondre, me dit que l'on gardoit le Viatique dans le Sanctuaire, qui eft un lieu à part & féparé du commerce, & que c'étoit le fujet pour lequel les féculiers n'y venoient point prier; qu'il étoit feulement destiné pour l'usage des malades, & que hors le temps de la célébration on n'y tenoit point de lampe allumée; que Jefus Chrift étant la lumiere même, n'avoit pas besoin de cet honneur extérieur. Mais ces raifons ne me fatiffaifant pas, parce que nous ne devons jamais manquer, autant que nous le pouvons, de faire paroître au dehors ce que nous profeffons dans le coeur, il me repliqua que c'étoit l'ufage. Je lui dis, & à tous les autres, que le peu de respect qu'ils portoient au Saint Sacrement par la maniere dont ils le tenoient dans des boîtes, enfermé dans un fac, étoit caufe que les Calviniftes accufoient les Grecs de ne pas croire la préfence réelle, & la converfion du pain & du vin au corps & au fang de Jefus Christ. Ils s'écrierent en difant, que c'étoit une accufation téméraire, & que P'Eglife d'Orient avoit toujours cru, & croyoit encore le corps de Jefus Christ préfent réellement dans l'Euchariftie, fous les apparences du pain & du vin. Je leur fis plufieurs queftions fur ce divin myftere, & je trouvai leurs réponses uniformes, auxquelles ils ajouterent, que ceux qui croyoient autrement étoient des excommuniés. Quantité de payfans qui nous environnoient, apportoient beaucoup d'attention à notre entretien. Et lorfque je dis à leurs Papas qu'on les accufoit de ne pas croire la préfence réelle, & le changement du pain & du vin, ils remuerent la tête, & quélquesuns dirent que c'étoit une fauffeté.

Je m'informai des Papas s'ils avoient foin d'inftruire leurs Paroiffiens les Dimanches & les principales fêtes, de ce qu'ils leur enfeignoient touchant la Sainte Trinité, les fept Sacrements, & autres choles néceffaires au falut? Ils m'affurerent qu'ils s'acquittoient à cet égard de leur devoir autant bien qu'il leur étoit poffible, & que la tyrannie fous laquelle ils vivoient le leur permettoit; qu'ils leur enfeignoient que la Trinité confiftoit en trois perfonnes, Dieu le Pere, Dieu le Fils, Dieu le S. Efprit: qu'il y avoit fept Sacrements, & qu'il falloit invoquer les Saints, & particuliérement la Sainte Vierge. Ils me dirent aufli que leurs paroiffiens communioient d'obligation à Pâques, & par dévotion aux autres fêtes;

LIV. VIII. qu'il y avoit des gens qui apprenoient à leurs enfants à lire, & en même CH. V temps leur croyance. Et comme je voulus en interroger un de cinq à fix ans, le Papas me dit qu'il ne favoit encore rien. Je lui demandai s'il ne communioit pas; & m'ayant répondu qu'oui, je lui fis reproche de l'admettre à ce Sacrement fans lui donner aucune connoiffance de ce qu'il faifoit. Sa replique fut, qu'étant dans l'état d'innocence, il n'étoit pas néceffaire de lui donner des inftructions dont il n'étoit pas capable. Ce qui m'obligea de lui dire, que cela étoit bon à l'égard des enfants de deux ou trois ans, que l'on communioit auffi dans l'Eglife Grecque, mais non pas pour ceux qui étoient déja capables de comprendre quelque chofe, & qui étoient bien proches de fortir de l'état d'innocence.

Je m'enquis encore de la vifite que leur Métropolite faifoit dans leurs Eglifes & Paroiffes, & je trouvai leurs réponses conformes à celles que l'on m'avoit faites ailleurs. Enfin m'ayant déclaré qu'ils ne prenoient rien de leurs Paroiffiens que leur volonté, je les quittai, & m'en retournant je paffai dans une petite Eglife dédiée à S. Jean, deffervie par des Caloyers, mais qui étoient abfents. Un valet de la maifon me l'ouvrit en l'absence de ces Religieux. Je trouvai que la demi-voute derriere l'Autel répondoit fuffisamment aux queftions que j'avois envie de leur faire. La réalité y étant peinte, puifque l'on y voit Jefus Chrift en chair & figure humaine fur la représentation de l'hoftie; la converfion du vin en fon fang, tout de même par le moyen du calice qui eft tout contre; l'adoration y eft auffi enfeignée par les Anges & les Saints qui font auprès représentés dans un culte de latrie: ce qui fait bien connoître de quelle maniere les Grecs entendent l'inftitution de la Cene figurée au deffus.

J'obfervai toutes ces particularités le vingt-deuxieme, & le vingt-troifieme étant retourné de la vifite des Papas, je rencontrai dans l'Abbaye deux Religieux Grecs du Mont de Sinaï, qui faifoient leur quête. Nous parlâmes de plufieurs points qui concernoient le temporel; & étant tombé fur le spirituel, ils me dirent que l'on difoit quatre meffes tous les jours fur le Mont Sinaï, contre la coutume de l'Eglife Grecque, qui veut que l'on n'en célebre qu'une chaque jour; & que le nombre des bienfaicteurs qui faifoient leurs aumônes, afin qu'on priât pour eux, & qu'on les nommât au faint Sacrifice, étoit caufe qu'on s'éloignoit de la regle générale: qu'à la vérité il n'y avoit qu'une meffe publique, les trois autres étant particulieres, & que la tyrannie des Turcs étoit encore le fujet pour lequel on n'y prenoit pas garde de fi près, à caufe de la néceffité où ils les réduifoient de fe procurer leur fubfiftance. Je leur demandai d'où vient qu'ils appellent la meffe le Saint Sacrifice, & ce que fon Archevêque & tous fes Religieux, & lui-même en croyoient. II

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me dit que c'étoit le Sacrifice non fanglant du corps & du fang de Jefus Liv. VIII. Christ inftitué par lui-même, qui fe faifoit en mémoire de fa Paffion. Et CH. VI. fur les objections que je lui fis du pain & du vin qui paroiffent visiblement, & d'une préfence de vertu, il repliqua qu'après la confécration & l'oraifon du S. Efprit, les fubftances du pain & du vin étoient tellement changées au corps & au fang de Jefus Chrift, qu'il ne reftoit plus du pain & du vin que les apparences extérieures & les accidents, que les Grecs nommoient cuμleßnxóra. Je lui repréfentai que les Calvinistes de France & autres, foutenoient que l'Eglife Grecque ne tenoit pas la préfence reelle de Jefus en l'Euchariftie, ni le changement des fubftances du pain & du vin. S'étant mis à rire comme d'un fait avancé témérairement, il repliqua que ces hérétiques reffembloient à ceux qui faifoient naufrage, lefquels fe fervoient de tout ce qu'ils rencontroient pour tâcher de fe fauver; mais que malgré leur imagination, la croyance de l'Eglife Orientale fubfiftoit, & que par la grace de Dieu elle fubfifteroit toujours. Il me parla auffi du nombre des Sacrements, qu'il m'affura être de fept; me proteftant que ces vérités étoient capitales, & qu'elles étoient crues par fon Archevêque & tous fes Religieux, comme faifant une partie effentielle de la foi orientale. Voilà l'information que j'ai prise de ce bon Religieux. Le famedi vingt-quatrieme je retournai tout droit à Conftantinople, d'où je n'étois éloigné que de trente milles, ou dix lieues de France, & j'arrivai à dix heures, étant parti à quatre heures du matin.

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Union de l'Eglife Grecque avec l'Eglife Romaine fur l'Euchariftie, prouvée par une Atteftation authentique du Patriarche de Conftantinople, fignée des trois autres Patriarches qui ont été avant lui, du Patriarche d'A lexandrie & de trente-cing Métropolites.

Election du Patriarche Dionyfius à présent féant. Lifte des Patriarches de puis Cyrille Lucar. Lettre de M. de Nointel au Roi fur l'Attestation de · Dionyfius.

ON

N doit d'autant plus eftimer l'Atteftation authentique, du Patriarche de Conftantinople que nous, produiróns 'ici, que quand il l'auroit refufée, il n'y auroit pas fujet de s'en étonner les Grecs ne manquant pas de raisons pour ne pas accorder ces fortes d'Actes. Il y en a qui s'imaginent qu'on leur fait tort de demander des affurances de leur foi. D'autres

LIV. VIII. craignent que l'on s'en ferve pour avancer les prétentions de la Cour de CH. VI. Rome. D'autres peuvent appréhender de fe brouiller avec les Princes Pro

teltants, en les condamnant formellement. D'autres n'aiment pas à faire plaifir aux Latins, par la feule averfion qu'ils ont pour eux. Enfin ils peuvent prendre beaucoup d'autres prétextes pour s'en exempter.

Cependant le Patriarche nouvellement inftallé dans cette haute dignité, étant prié par M. l'Amballadeur de donner cette Attellation, n'a eu recours à aucune de ces excufes, & ayant cru au contraire, qu'il devoit fignaler fon zele pour la vérité de la foi en lui accordant l'Acte qu'il lyi demandoit, il l'a fait de la maniere du monde la plus folemnelle & la plus authentique, comme on le verra par la Lettre que M. l'Ambassadeur en a écrite au Roi, qui fera rapportée ci-deffous.

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Cependant afin que l'on fache quel eft ce Patriarche, & pourquoi cet Acte eft figné de quatre Patriarches de Conftantinople tous vivants qui paroît extraordinaire, on remarquera ici que la tyrannie des Turcs, jointe à l'ambition & à l'avarice de quelques Grecs, eft caufe de ce défordre. Car le Sultan s'étant mis en poffeffion de nommer au Patriarchat, quoiqu'il permette au Clergé d'examiner & d'élire celui qu'il nomme, & exigeant enfuite de celui qui eft élu une grande fomme d'argent; pour avoir droit d'exiger fouvent cette fomme, il prend des prétextes de lès dépofféder, & de conférer le Patriarchat à quelqu'autre qui lui donne encore de l'argent. Ainfi cette grande Chargé eft fouvent expofée à l'ambition & à l'avarice des Evêques des autres Sieges.

Ces-révolutions ont été fort fréquentes depuis quelques années, comme on le peut voir par la lifte que nous donnerons ici des Patriarches de Conftantinople depuis Cyrille Lucar.

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