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gile. C'est un véritable flot montant. Une seule anecdote donnera l'idée de l'activité et du zèle déployés par les Sociétés religieuses qui ont compris la croisade moderne comme une croisade chrétienne.

Le 14 avril 1875, M. Stanley écrivait d'Ouganda, sur le lac Victoria Nyanza, capitale du puissant roi Mtesa, qu'il engageait vivement les philanthropes et les gens pieux à envoyer une mission dans cette contrée, où le christianisme trouverait un terrain favorable.

Je vous assure, disait-il, que dans un an vous aurez converti au christianisme plus d'idolâtres que tous les autres missionnaires réunis. Le royaume de Mtesa est très peuplé; j'estime le le nombre de ses sujets à deux millions. Vous ne devez pas craindre de dépenser de l'argent pour cette mission, car Mtesa règne là seul, et il remboursera dix fois les avances en ivoire, café, peaux de loutres d'une très belle qualité, ou même en bétail, car la richesse de la contrée en tous ces produits est immense. La route pour venir ici serait par le Nil, ou via Zanzibar, Ougogo et Ounyanyembe..

M. Stanley ajoutait des conseils pratiques sur les présents qu'il serait bon d'offrir au roi Mtesa, sur les meilleures marchandises d'échange, et sur le matériel nécessaire à la mission. Quand il arriva à Zanzibar vers la fin de 1877, au retour de son voyage transcontinental, on lui apprit que les missions anglaises avaient répondu à son appel. A la réception de la lettre du 14 avril, une somme de 200 000 fr. avait été souscrite dans une seule soirée; le chiffre total des sommes recueillies s'était élevé à 325000 fr. La mission chargée de convertir le roi d'Ouganda et son peuple était déjà installée dans le pays, l'église dont M. Stanley avait planté les premiers po teaux était achevée et assidûment fréquentée par les indigènes.

Ces nouvelles furent d'autant plus agréables à M. Stan

ley, qu'il avait lui-même ébauché la conversion de Mtesa. au protestantisme. Il passait chaque jour plusieurs heures pendant son séjour à Ouganda, à entretenir son hôte royal de Jésus-Christ et des bienfaits qu'il a répandus sur l'humanité. Il avait donné aussi beaucoup de temps à traduire dans la langue du pays l'Evangile selon saint Luc, le Notre Père, les Actes des apôtres, plusieurs chapitres des Epitres de saint Paul, une partie de l'Apocalypse et les Dix commandements. Mtesa se faisait lire ces derniers tous les jours, ainsi que l'oraison dominicale, ce qui ne diminuait en rien sa vénération pour ses fétiches. On assure que même aujourd'hui, après sa conversion officielle au christianisme, il ne donnerait pas une audience sans avoir à côté de lui son coffre de grigris. Ceci est le revers de la médaille. Le nègre reçoit facilement les impressions qu'on veut lui donner, mais celles-ci ne sont ni profondes ni durables.

Quelles sont les conclusions à tirer des pages qu'on vient de lire? Le programme est très net; achever l'exploration scientifique de l'Afrique, y répandre les idées et les produits des nations chrétiennes, poursuivre la suppression de la traite des esclaves, telle est l'entreprise. Réussirat-elle, ainsi que le croient ses promoteurs, sans l'emploi de la force, sans autre secours que l'influence morale, la persuasion, le dévouement, la générosité? Nous croyons qu'on peut répondre affirmativement en ce qui concerne la première partie du programme. L'exploration géographique des portions encore inconnues de l'Afriqne sera terminée avant la fin de ce siècle. La génération actuelle ne disparaîtra pas sans avoir vu la carte totale du continent, sinon parfaite dans ses moindres détails, au moins fidèle dans ses traits généraux1.

Emile Banning.

Les conquêtes de la civilisation nous semblent devoir être en retard sur celles de la science. En admettant même que l'action des stations soit aussi efficace et aussi prompte que l'espèrent leurs fondateurs, qu'on songe à l'étendue du continent, et au temps qu'il faudra pour le couvrir d'un réseau de postes européens! Qu'on songe à la difficulté de recruter le personnel de ces postes, personnel qui devra être si soigneusement épuré, sous peine de compromettre l'œuvre! Il n'est certes point impossible de trouver des centaines d'hommes, doués de tous les talents et de toutes les vertus, qui soient disposés à faire complète abnégation d'eux-mêmes dans un but d'humanité; mais lorsque les centaines deviennent des milliers, la tâche est au moins difficile, et il est nécessaire de la répartir entre un nombre suffisant de générations.

Nous croyons donc qu'il convient de reculer la date que les esprits enthousiastes avaient assignée à la réalisation du beau rêve de l'Afrique régénérée. Il est même imprudent de vouloir fixer cette date.

Bien des événements peuvent venir à la traverse des plans de la conférence de Bruxelles et en retarder l'accomplissement. Ne voyons-nous pas, depuis un an, l'attention se détourner de l'Afrique pour se porter sur des points plus rapprochés de nous, des points qui nous touchent? Ce magnifique continent entrera à son tour, il n'en faut pas douter, dans l'histoire générale du globe, mais l'heure où il pèsera dans les destinées de l'humanité n'a pas sonné; nous en sommes encore séparés, non point par quelques années, mais par beaucoup d'années, peut-être par des siècles.

ARVEDE BARINE.

LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE

UN CONGRES DE GENS DE LETTRES

A PARIS

Depuis vingt ans, les gens de lettres de l'Europe n'avaient eu aucune occasion de se voir collectivement et de s'entretenir ensemble. Il n'est donc pas très étonnant que l'exposition universelle à Paris ait donné l'idée de les réunir dans cette ville. La Société des gens de lettres de France, qui compte un nombre considérable de membres, a pris l'initiative d'un congrès international, auquel elle a convoqué des écrivains de toutes nations, soit par invitations personnelles, soit par des appels collectifs. Le congrès devait s'ouvrir à l'origine le 4 juin. Des difficultés intérieures ont reculé cette date d'une semaine. C'est probablement à cette circonstance qu'il faut attribuer le nombre relativement restreint des étrangers qui se sont présentés pour y prendre part. Tous les pays de l'Europe étaient représentés par plusieurs délégués. Des contrées éloignées, telles que le Brésil et plusieurs des républiques de l'Amérique du Sud, y comptaient aussi des représentants. Néanmoins, il aurait été désirable qu'ils fussent plus nombreux.

Une autre circonstance a probablement contribué à retenir un certain nombre d'écrivains. En tout temps, une grande ville telle que Paris n'est pas très favorable à une réunion de ce genre. Les distances sont considérables et font perdre beaucoup de temps, les objets d'intérêt y sont multipliés et doivent nécessairement détourner une partie de l'attention, enfin les membres du congrès qui habitent la grande ville et qui doivent former la majorité par la force des choses ont pour la plupart des occupations qui ne leur permettent de donner à l'œuvre commune qu'un temps limité. En temps d'exposition universelle, tous ces inconvénients doivent être aggravés. Dans le congrès de Paris, ils l'ont été d'une manière très marquée. Les séances ont été courtes et espacées de deux jours en deux jours, menaçant ainsi de se prolonger presque indéfiniment. C'est à la fin de la seconde semaine seulement que le congrès a pu discuter les propositions de sa première commission, et il restait alors tellement de choses à examiner que, pour le faire sérieusement, deux ou trois semaines devenaient indispensables.

Peut-être aussi le programme était-il quelque peu ambitieux. Il s'agissait d'étudier la propriété littéraire et les questions nombreuses et complexes qui s'y rattachent. On ne saurait nier que le moment ne fût bien choisi. L'Italie et l'Espagne viennent de se donner une législation nouvelle sur la matière; l'Angleterre et la Belgique sont en train de modifier assez profondément la leur. La Suisse a inscrit le principe de la propriété littéraire dans sa constitution fédérale, mais elle attend encore la loi qui la consacrera. Enfin, tous les traités de commerce entre les divers pays d'Europe doivent être renouvelés prochainement, la plupart étant échus déjà, ce qui peut permettre d'améliorer les dispositions internationales sur la matière.

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