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L'AFRIQUE

D'APRÈS LES DÉCOUVERTES RÉCENTES

TROISIÈME ET DERNIÈRE PARTIE '.

IV

A l'exception d'un petit nombre de peuplades dégradées qui vivent sans travail à l'état nomade, logeant dans les cavernes et mangeant le produit de leur chasse, peuplades que leur existence purement animale et l'absence absolue de culture placent tout au bas de l'échelle humaine, les populations africaines pratiquent l'agriculture, l'industrie et le commerce. A la vérité, leur agriculture et leur industrie sont rudimentaires, et leur commerce, surtout chez les peuples vaillants, de race supérieure, se borne trop souvent au trafic des esclaves. Il n'en ressort pas moins que les nègres ont la notion du travail productif et celle de l'échange. Leur capacité d'invention est très bornée, mais ils sont doués d'une faculté d'imitation remarquable. Il leur suffit de regarder travailler un ouvrier

'Pour la première et deuxième partie, voir les livraisons de mai et de juin.

européen pour s'approprier en peu de temps ses procédés. Aussi les Sociétés africaines font-elles grand fond sur les artisans, qui formeront la plus grande part du personnel des stations. Elles sont persuadées, et non sans raison, que si l'on parvient à prendre de l'ascendant sur les indigènes, ce sera surtout à leurs professeurs ès-métiers qu'on le devra. L'intérêt personnel est un des premiers sentiments qui s'éveillent chez l'homme. Quelque insouciant et imprévoyant que soit le nègre, il est sensible aux avantages directs et immédiats qui résultent pour lui d'un progrès industriel.

Les tribus agricoles, tantôt cultivent la terre, tantôt se livrent à l'élève du bétail. Quelques-unes font l'un et l'autre. Les Dinkas ont de véritables fermes, avec maison d'habitation, hangar, parc à bestiaux, étable pour les bêtes malades. Leurs animaux domestiques consistent en boeufs, chèvres, moutons et chiens. Les plantes qu'ils cultivent sont le sorgho, le haricot, le tabac, le sésame, l'igname. D'autres y ajoutent le riz, le maïs, le coton, le café, etc. Le commandant Cameron a traversé, entre la côte orientale et les grands lacs, des contrées parfaitement cultivées, où chaque champ était entouré d'une haie d'épines. Il y remarqua même des essais d'irrigation. Plus au sud encore, quelques tribus possèdent des jardins soigneusement entretenus, auxquels leurs propriétaires donnent plusieurs façons par saison.

Les travaux des champs sont habituellement réservés aux femmes. Les hommes exercent les gros métiers, chassent, font la guerre, ou se reposent. Presque tous savent travailler les métaux. L'âge actuel est véritablement pour un grand nombre de tribus l'âge du fer. C'est leur métal

Peuple du centre de l'Afrique, entre le 8° et le 9° degré de latiude nord.

précieux, dont elles fabriquent leurs plus beaux ornements. Chez les Dinkas, les femmes des riches ont sur elles au moins un demi-quintal d'anneaux de fer. Un voyageur a rencontré chez un autre peuple des hommes dont les jambes étaient chargées d'anneaux de fer si gros et si pesants que les heureux possesseurs de ces bijoux étaient obligés de marcher les jambes écartées, et n'avançaient qu'avec la plus grande difficulté. C'est ce qui a fait dire que les nègres portaient réellement les chaînes de la mode.

Il est de fait que la mode n'est nulle part aussi tyrannique et aussi respectée que dans ces contrées, où il semble qu'elle doive avoir si peu de prise, puisque le costume y est à peu près inconnu. Des négresses ayant pour tout vêtement un tablier de la grandeur de la main mettent autant de soin à confectionner cet objet que s'il s'agissait d'une des robes compliquées portées par nos élégantes. Une année la vogue est aux perles d'une certaine forme et d'une certaine couleur ; à la saison suivante, l'ancien modèle est démodé; le bleu ou le blanc «< ne se portent plus, et les négociants arabes sont obligés de renouveler leur stock de marchandises. La prétention à l'élégance règne jusque chez les tribus qui vont à l'état de nature. On en rencontre où une portion notable de la vie d'un homme se passe à sa coiffure. M. Stanley déclare que le premier soin d'un explorateur, avant de s'engager dans l'intérieur, doit être de s'informer de son mieux de l'état de la mode dans les provinces qu'il se propose de traverser, car les objets d'échange qui lui serviront à tel endroit perdront toute valeur cinquante lieues plus loin. M. Stanley en a fait l'expérience dans son dernier voyage. Différentes tribus savent aussi fondre le minerai de cuiyre. Quelques-unes poussent l'industrie jusqu'à fabriquer des fusils, des casques, des cottes de mailles, des serru

res; les nègres de Bornou sont parvenus à fondre des

canons.

La poterie africaine est d'une rare élégance, bien qu'obtenue par les procédés les plus élémentaires. M. Cameron vit une négresse fabriquer un vase de terre. Sans autre instrument que ses mains et des fragments de bois et de courge, elle fit en trente-cinq minutes un vase gracieux, irréprochable de forme et couvert d'ornements. Les courbes lui avaient été fournies par les morceaux de courge, et les éclats de bois lui avaient servi à polir la

terre.

Le tannage des peaux est poussé sur plusieurs points du continent à une quasi-perfection. L'art de filer, de teindre et de tisser est répandu dans les zones où ne manquent point les matières textiles. Dans celles qui n'ont ni coton ni chanvre, les étoffes tissées sont quelquefois suppléées par des écorces, préparées selon des recettes connues des indigènes. Quelques tribus se montrent adroites à travailler le bois, d'autres à tisser des nattes. Les Achantis savent travailler l'or et possèdent d'habiles orfèvres.

Toutes ces créations d'une industrie naissante sont dignes, assurément, d'attirer l'attention de l'Europe. Néanmoins, il ne faudrait pas s'en exagérer l'importance. Ici encore, comme pour les conditions religieuses et morales, on est en face d'une société rudimentaire. Il est devenu nécessaire d'insister sur cette idée, qui eût semblé, il y a peu d'années, un truisme, parce que l'engouement qu'on nous passe le mot excité par les dernières explorations africaines a porté à amplifier singulièrement les mérites et les capacités du nègre. Après l'avoir vu en laid pendant plusieurs siècles, on l'a vu subitement trop en beau. On n'a plus eu d'yeux que pour les bons côtés d'une race à coup sûr intéressante et capable de perfec

tionnement, mais terriblement arriérée, et chargée de défauts invétérés, qui rendront ses progrès difficiles et lents. La perfidie et la cruauté sont devenues chez la majorité des nègres africains une seconde nature. Nous croyons du reste que le livre que M. Stanley prépare en ce moment sur son expédition transcontinentale dissipera beaucoup d'illusions. On y retrouvera les laideurs qu'on avait trop oubliées depuis quelque temps.

V

Quel accueil les indigènes de l'Afrique réservent-ils aux blancs qui se dévoueront à venir leur enseigner les vérités du christianisme et les arts de la civilisation? Les considéreront-ils comme des amis et des bienfaiteurs, ou comme des ennemis, des conquérants futurs déguisant leurs projets sous de trompeuses caresses? La réponse des explorateurs varie selon leurs expériences personnelles, et leurs expériences personnelles varient à leur tour selon les tribus visitées et selon le caractère du visiteur. Il est toutefois bien peu de voyageurs, même parmi les plus doux et les plus patients, qui n'aient eu à supporter les insultes et les menaces de quelque horde barbare, et à essuyer ses flèches ou ses balles. Livingstone lui-même, cet homme de paix et de charité, qui sut comme pas un gagner la confiance et l'affection des natifs et dont le nom vivra longtemps chez une foule de tribus, Livingstone a été maltraité et attaqué. Il a eu à subir des exigences importunes, à défendre les hommes de son escorte contre les petits souverains qui voulaient les réduire en esclavage, à réprimer le révolver au poing des mutineries chez ses propres serviteurs. Il lui a fallu construire des retranchements, cheminer en ordre de bataille,

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