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à-fait, de peur qu'elles n'empêchent la contemplation. 14. Celui qui s'est une fois appliqué à la contemplation ne doit plus retourner à la méditation, parce que ce seroit aller de mieux en pis.

15. Si dans le temps de la contemplation il survient des pensées terrestres et animales, il ne faut prendre aucun soin de les chasser, ni recourir à aucune bonne pensée, mais au contraire prendre plaisir à ce tour

ment.

16. Toute action ou affection intérieure, bien que produite avec réflexion en vue de la foi pure, ne peut être agréable à Dieu, parce qu'elle naît de l'amourpropre, toutes les fois qu'elle n'est pas inspirée par le Saint-Esprit avant toute application et toute diligence de notre part: c'est pourquoi dans la contemplation ou dans l'oraison d'affections, il faut demeurer oisif en attendant le souffle miraculeux du Saint-Esprit.

17. Toute personne étant actuellement en contemplation ou dans l'oraison de quiétude, soit religieux ou fils de famille, ou autrement dans la sujétion, ne doit point en ce temps-là obéir à la règle, ni accomplir les ordres des supérieurs, afin de ne pas interrompre la contemplation.

18. Les contemplatifs doivent être tellement dépouillés de l'affection de toutes choses, qu'ils rejettent loin d'eux, et méprisent même les dons et les faveurs de Dieu, et perdent jusqu'à l'amour des vertus: enfin pour se dépouiller plus parfaitement de tout, ils doivent faire ce qui répugne même à la modestie et à l'honnêteté, pourvu que ce ne soit pas chose expressément contre les préceptes du Décalogue.

19. Les contemplatifs sont quelquefois sujets à des transports qui leur ôtent tout usage du libre arbitre, tellement qu'encore qu'ils tombent extérieurement

dans des péchés très-griefs, néanmoins intérieurement ils n'en sont aucunement coupables: aussi ne se doivent-ils pas confesser de ce qu'ils ont fait, comme on le prouve par l'exemple de Job, qui en disant nonseulement des injures au prochain, mais encore des blasphêmes et des impiétés contre Dieu, ne péchoit en aucune manière, parce qu'il faisoit tout cela par la violence du démon: or ni la théologie scolastique ni la morale ne sont d'aucun usage pour juger de ces sortes d'états violens, mais il y faut apporter un esprit surnaturel qui se trouve en très-peu de personnes, dans lesquelles on ne doit point juger de l'intérieur par l'extérieur, mais de l'extérieur par l'intérieur.

CONDAMNATION DE MOLINOS.

M

MALGRÉ les soins et les précautions qu'on vient de voir, la nouvelle contemplation s'est enseignée par toute l'Italie. Michel de Molinos, prêtre du diocèse de Sarragosse en Arragon, ayant été déféré à l'Inquisition de Rome, où il demeuroit depuis plusieurs années, comme l'un des principaux fauteurs de cette hérésie fut mis dans les prisons du saint Office le 18 juillet 1685. Son procès y a été instruit avec beaucoup de maturité: et enfin après être demeuré d'accord des principaux chefs d'accusation portés contre lui; après avoir reconnu et détesté ses erreurs, et demandé pardon de ses excès, en considération de sa repentence on l'a seulement condamné à la prison perpétuelle et à des pénitences particulières, par sentence des cardinaux inquisiteurs généraux députés à cet effet, au mois d'août de l'année 1687. Pour rendre plus authentique

la condamnation de tant d'erreurs, dans le même temps le pape Innocent XI a fait suivre cette sentence d'un décret de l'Inquisition et d'une bulle, dont voici la teneur.

DÉCRET

DE L'INQUISITION DE ROME CONTRE MOLINOS,

Traduit du latin.

Du jeudi vingt-huit août 1687.

DANS la Congrégation générale de la sainte Inquisition romaine et universelle, tenue dans le palais apostolique du Mont-Quirinal, en présence de notre très-saint Père par la providence divine le pape Innocent XI, et des éminentissimes et révérendissimes cardinaux de la sainte Eglise romaine, inquisiteurs généraux dans la république chrétienne contre la contagion de l'hérésie, spécialement députés par le saint Siége apostolique.

Pour arrêter le cours d'une hérésie très-dangereuse, qui s'est répandue en plusieurs parties du monde, au grand scandale des ames, il faut que la vigueur apostolique s'anime, afin que par l'autorité et la sagesse de la sollicitude pastorale l'audace des hérétiques soit abattue dès les premiers efforts de l'erreur, et que le flambeau de la vérité catholique, qui brille dans la sainte Eglise, la fasse voir de toutes parts pure de l'horreur des fausses doctrines. Etant donc notoire qu'un enfant de perdition, nommé Michel de Molinos, a enseigné de vive voix, et par des écrits répandus de tous côtés, des maximes impies qu'il a même mises en pra¬

tique, par lesquelles, sous prétexte d'une oraison de quiétude contraire à la doctrine et à la pratique des saints Pères depuis la naissance de l'Eglise, il a précipité les fidèles, de la vraie religion et de la pureté de la piété chrétienne, dans des erreurs très-grandes et dans des infamies honteuses: notre très-saint Père le pape Innocent XI, qui a tant à cœur que les ames confiées à ses soins puissent heureusement arriver au port du salut, en bannissant toute erreur et toute opinion mauvaise, dans une affaire si importante, après avoir ouï plusieurs fois en sa présence les éminentissimes et révérendissimes cardinaux inquisiteurs généraux dans toute la république chrétienne, et plusieurs docteurs en théologie, ayant aussi pris leurs suffrages de vive voix et par écrit, et les ayant mûrement examinés, l'assistance du Saint-Esprit implorée, il a ordonné qu'il procéderoit comme s'ensuit, à la condamnation des propositions ici rapportées, dont Michel de Molinos est auteur, qu'il a reconnu être les siennes, qu'il a été convaincu, et qu'il a confessé respectivement avoir dictées, écrites, communiquées et crues.

PROPOSITIONS.

I. Il faut s'anéantir soi-même, et le reste, avec les propositions suivantes, jusqu'au nombre de 68, dans la Bulle d'Innocent XI, pag. 506, où l'on renvoie le lecteur.

Lesquelles propositions il condamne, note et efface comme hérétiques, suspectes, erronées, scandaleuses, blasphématoires, offensives des pieuses oreilles, téméraires, énervant et renversant la discipline chrétienne, et séditieuses respectivement, et tout ce qui a été dit, écrit ou imprimé sur ce sujet; défend à tous et à un chacun dorénavant, en quelque manière que ce soit,

d'en parler, écrire, disputer, de les croire, retenir, enseigner, ou de les mettre en pratique, et toutes autres choses semblables: quiconque fera autrement, il le prive actuellement et pour toujours de toute dignité, degré, honneur, bénéfice et office, et le déclare inhabile à en posséder aucun; il le frappe aussi de l'anathême, dont aucune personne inférieure au souverain Pontife ne pourra l'absoudre sinon à l'heure de la

mort.

En outre, Sa Sainteté défend et condamne tous les livres et toutes les œuvres, en quelque lieu et en quelque langue qu'ils soient imprimés, aussi tous les manuscrits du même Michel de Molinos; fait défense qu'aucun de quelque qualité et condition qu'il soit, dût-il être nommé à cause de sa dignité, ose les imprimer ou faire imprimer sous quelque prétexte que ce soit, en quelque langue que ce puisse être, dans les mêmes paroles ou semblables ou équivalentes, sans nom, ou sous un nom feint et emprunté; ni les lire ou garder imprimés ou manuscrits; ordonne de les mettre et délivrer entre les mains des Ordinaires des lieux ou des Inquisiteurs, sous les peines portées ci-dessus, pour être à l'instant brûlés à leur diligence.

Lieu du sceau.

Signe, ALEXANDRE SPERONI, notaire de la sainte Inquisition romaine et universelle.

Le 3 septembre 1687, le Décret ci-dessus a été publié et affiché aux portes de l'église de Saint-Pierre, et du palais du saint Office; à la téte du champ de Flore, et autres lieux accoutumés de la ville, par moi François Perino, courrier de notre saint Père, et de la sainte Inquisition.

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