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le roi de Languedoc, repoussa les avances des Guise et s'unit de nouveau à ces réformés qu'il avait abandonnés en 1577. Henri de Montmorenci, homme de mauvaises mœurs et d'humeur fort egoïste, mais assez adroit politique, n'avait point jugé à propos de servir d'instrument aux Lorrains, ces vieux ennemis de sa maison '. Le. 10 août 1585, une déclaration, rédigée par du PlessisMornai, fut publiée au nom du roi de Navarre, du prince de Condé, du duc de Montmorenci « et des seigneurs, chevaliers, gentilshommes, provinces, villes et communautés, tant d'une que d'autre religion, associés pour la conservation de l'Estat. » Les signataires, après une longue et virulente diatribe contre les Lorrains, auteurs de tous les maux de la France 2, protestaient de ne combattre que pour le service et la liberté du roi, contraint par la violence des ligueurs à révoquer une paix qu'il avait accordée librement, et déclaraient guerre à toute outrance aux chefs de la Ligue et à leurs fauteurs.

Le 25 août, on vit arriver à Nérac trois députés envoyés par Henri III au roi de Navarre : c'étaient Philippe

Il resta toutefois en négociations secrètes avec les cours d'Espagne et de Savoie, qui n'avaient pas perdu l'espoir de se servir de lui. Mém. de Nevers, t. I, p. 750.- Capefigue, t. IV, p. 504.

Ils renouvelaient une accusation déjà portée plusieurs fois contre les Guise; celle d'avoir proposé aux huguenots, en 1578-1579, de s'associer à eux contre le roi. Il y avait eu au moins des insinuations à ce sujet : la Ligue n'ayant pas produit, en 1576-4577, tout l'effet qu'on attendait, les Guise avaient eu la pensée de chercher leur mobile ailleurs que dans la religion; les impôts et les mignons eussent été le mot d'ordre. Mais ce ne fut qu'une velléité passagère : les huguenots restèrent sur la réserve, et les Guise rentrèrent dans la politique habituelle de leur maison. — Voy. la déclaration du roi de Navarre et de ses associés dans les Mémoires de la Liguc, t. I, p. 182. Le rédacteur de la déclaration ménage beaucoup la reine mère, et s'efforce de la détacher des Guise; il va jusqu'à dire qu'elle s'était acquis le nom de mère du royaume, avant ce malheureux traité de Nemours.

de Lenoncourt, abbé de Rebais, Jean d'Angennes, seigneur de Poigni, et le président Brùlart. Ces envoyés avaient pour assistants ou pour surveillants deux théologiens choisis parmi les chefs populaires de la Ligue parisienne, Prévost, curé de Saint-Séverin, et Cueuilli, curé de SaintGermain l'Auxerrois. Ils venaient requérir le Béarnais de rendre, les places de sûreté et de suspendre partout l'exercice de la religion prétendue réformée, durant les six mois de délai que le dernier édit accordait aux protestants pour se convertir; ils promettaient qu'on chercherait les moyens de le contenter, et parlaient vaguement de concile, sans faire aucune ouverture formelle à ce sujet. Ils proposaient une conférence entre la reine mère et le roi de Navarre, et offraient de rappeler au nord de la Loire les troupes catholiques déjà en mouvement au midi de ce fleuve, pourvu que le roi de Navarre arrêtât les auxiliaires étrangers, que la cour croyait déjà prêts à se mettre en marche.

Le roi de Navarre se déclara prêt à reconnaître un concile légitime et à conférer avec la reine mère, mais refusa tout le reste, et fit suivre son refus de lettres au roi, au parlement et à la Sorbonne ; il y soutenait avec autant de force que de modération la justice de sa cause (Mém. de la Ligue, t. 1, p. 244. - Mém. de du Plessis-Mornai, t. 1, p. 561-577). La lettre à la Sorbonne, œuvre de du Plessis comme les autres, est surtout un chef-d'œuvre d'habileté.

A peine le roi de Navarre avait-il congédié les envoyés de Henri III, que les foudres de Rome, devançant les coups de la Ligue, éclatèrent sur sa tête. La mort de Grégoire XIII avait retardé de plusieurs mois la publication de la sentence d'excommunication préparée par ce pontife contre

tiques, relaps, coupables de lèse-majesté divine, et déchus, eux et leurs héritiers, de toutes principautés, domaines, seigneuries, dignités, honneurs et offices, et incapables de succéder à aucuns duché, principauté, seigneurie et royaume, et spécialement au royaume de France, « auquel ils ont commis de si énormes forfaits et crimes. >> Tous les officiers, vassaux et sujets des deux princes excommuniés étaient déliés du serment de fidélité à eux prêté, et sommés de ne leur plus rendre aucune obéissance, à peine d'être enveloppés dans l'anathème. SixteQuint finissait par une exhortation à son très-cher fils en Jésus-Christ, Henri, roi de France très-chrétien, de se souvenir du serment prêté à son sacre d'exterminer les hérétiques, afin que « de son autorité, puissance et vertu, il travaille à l'exécution de cette si juste sentence '. »

Vingt-deux ans auparavant, une bulle semblable, fulminée contre la mère du roi de Navarre, avait été repoussée si vigoureusement par la cour de France, que le pape Pie IV s'était vu obligé de la retirer et de la supprimer; mais les temps étaient changés : le lâche Henri III n'osa protester avec éclat contre un arrêt qui proste nait toutes les couronnes dans la poussière devant la tiare; il envoya la bulle au parlement, comme pour requérir une vérification qu'il espérait ne pas obtenir. Son espoir ne fut pas trompé l'arrogance de ce langage, renouvelé de Boniface VIII, réveilla dans toute leur énergie les vieilles passions gallicanes. Le parlement adressa au roi des remontrances d'une violence extrême; il nia, non-seulement que les princes de France fussent justiciables du

pape,

mais

Voyez la bulle en latin dans les Scripta utriusque partis, Francfort, 1586;

et la traduction française contemporaine, dans les Mémoires de la Ligue, t. I, p. 244.

que leurs sujets eussent jamais pris cognoissance de la religion de leurs princes, et déclara que la bulle ne méritait « autre récompense que d'estre jetée au feu en présence « de toute l'église gallicane. »- « Tous ces artifices, » disait encore le parlement au roi, « sont apostés par les << ennemis de l'Estat, lesquels, sous le nom de vos Hoirs, <«< s'adressent à vostre propre personne. » Le parlement offrait sa démission en masse plutôt que d'enregistrer la bulle (Mém. de la Ligue, t. 1, p. 222-227). Le parlement sauva ainsi l'honneur de la couronne que le roi n'osait défendre, et empêcha, sinon la publicité, au moins la publication officielle de la bulle en France.

La sentence de Sixte-Quint ne demeura pas sans réponse de la part de ceux qu'elle frappait. Le 6 novembre au matin, on trouva, sur les deux fameuses statues de Pasquin et de Marforio, sur les murs des principales églises, et jusque sur la porte du Vatican, un placard affiché par une main inconnue.

« Henri, par la grâce de Dieu, roi de Navarre, prince souverain de Béarn, premier pair et prince de France, s'oppose à la déclaration et excommunication de Sixte V, soi-disant pape de Rome, la maintient fausse et en appelle comme d'abus en la cour des pairs de France, desquels il a cet honneur d'estre le premier. Et, en ce qui touche le crime d'hérésie..., dit et soutient que monsieur Sixte, soi-disant pape (sauve sa sainteté), en a faussement et malicieusement menti, et que lui-mesme est hérétique, ce qu'il fera prouver en plein concile libre et légitimement assemblé.... proteste cependant de nullité et de recourir contre ce prétendu pape Sixte et ses successeurs, pour réparation d'honneur de l'injure qui lui est faite et à toute la maison de France... espère que Dieu lui fera la

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songer à se venger par la trahison. Plusieurs de ses principaux conseillers, Joyeuse, Villeroi, Villequier, et même Bellièvre, l'avaient pressé de se rallier franchement à la Ligue, et de rivaliser de zèle avec Guise, afin de lui enlever la direction du parti catholique. Il était trop tard pour que ce rôle de chef de parti pût être accepté; Henri s'en tint au projet d'user les deux factions l'une par l'autre et de traîner la guerre en longueur, afin de la rendre insupportable au peuple.

Le parlement de Paris, circonstance importante, n'avait enregistré l'édit de juillet qu'après de vives remontrances sur ses principales dispositions. Cette cour suprême, autrefois si ardente à poursuivre les hérétiques, avait marché en sens inverse du mouvement de la Ligue, à mesure qu'elle voyait grandir l'esprit ultramontain et s'affaiblir la monarchie. La révolte de la faction lorraine imprima une telle force à cette réaction, que la majorité du parlement répondit à la présentation de l'édit de juillet par ces mêmes maximes de tolérance et d'humanité qu'elle avait jadis refusé d'écouter dans la bouche de L'Hôpital'. Le parlement approuvait bien qu'on révoquât les édits qui accordaient le culte public aux réformés, mais non pas que l'on forçât les dissidents à se faire catholiques sous peine d'exil ou de mort.

La Ligue elle-même, en 1576, n'en demandait pas davantage, puisqu'elle offrait protection aux réformés paisibles; mais la pensée intime du parti, la pensée de Philippe II et de l'inquisition, n'avait pu se contenir longtemps.

L'enregistrement de l'édit fut suivi d'une scène assez étrange. Le 11 août, le roi manda au Louvre le premier

I

«

Les consciences sont exemptes de la puissance du fer et du feu. » Mém. de la Ligue, t. I, p. 225.

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