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On veut que Polyphonte, en vous donnant la main,
Semble tenir de vous le pouvoir souverain.
MÉROPE.

On ose me donner un tyran qui me brave;
On a trahi le fils, on fait la mère esclave!

ISMÉNIE.

Le peuple vous rappelle au rang de vos aïeux.
Suivez sa voix, madame, elle est la voix des dieux.
MÉROPE.

Inhumaine, tu veux que Mérope avilie
Rachète un vain honneur à force d'infamie!

SCENE V.

MEROPE, EURYCLES, ISMENIE.

EURYCLES

MADAME, je reviens en tremblant devant vous;
Préparez ce grand coeur aux plus terribles coups:
Rappelez votre force à ce dernier outrage.

MÉROPE.

Je n'en ai plus; les maux ont lassé mon courage; Mais n'importe, parlez.

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Il est trop vrai : déjà cette horrible nouvelle
Consterne vos amis et glace tout leur zèle.

MÉROPE.

Mon fils est mort!

ISMÉNIE.

O dieux !

BURYCLES.

D'indignes assassins,

Des piéges de la mort ont semé les chemius.

Le crime est consommé.

MÉROPE.

Quoi! ce jour que j'abhorre, Ce soleil luit pour moi, Mérope vit encore! Il n'est plus ! Quelles mains ont déchiré son flanc? Quel monstre a répandu les restes de mon sang? EURYCLES.

Hélas! cet étranger, ce séducteur impie,

Dont vous-même, admiriez la vertu poursuivie,
Pour qui tant de pitié naissoit dans votre sein,
Lui que vous protégiez!...

MÉROPE.

Ce monstre est l'assassin ?
EURYCLES.

Oui, madame; on en a des preuves trop certaines :
On vient de découvrir, de mettre dans les chaînes
Deux de ses compagnons qui, cachés parmi nous,
Cherchoieut encor Narbas échappé de leurs coups.
Celui qui sur Egisthe a mis ses mains hardies,
A pris de votre fils les dépouilles chéries,
L'armure que Narbas emporta de ces lieux.

(On apporte cette armure dans le fond du théâtre.} Le traître avoit jeté ces gages précieux,

Pour n'être point connu par ces marques sanglantes. MÉROPE.

Ah! que me dites-vous? Mes mains, ces mains tremblantes

18e siècle.

14

En armèrent Cresphonte, alors que de mes bras
Pour la première fois il courut aux combats.
O dépouille trop chère ! en quelles mains livrée!
Quoi! ce monstre avoit pris cette armure sacrée ?
EURYCLES.

Celle qu'Egisthe même apportoit en ces lieux.
MÉROPE.

Et teinte de son sang on la montre à mes yeux!
Ce vieillard qu'on a vu dans le temple d'Alcide...
EURYCLES.

C'étoit Narbas, c'étoit son déplorable guide;

Polyphonte l'avoue.

MÉROPE.

Affreuse vérité !

Hélas! de l'assassin le bras ensanglanté,

Pour dérober aux yeux son crime et son parjure, Donne à mon fils sanglant les flots pour sépulture! Je vois tout. O mon fils, quel horrible destin!

EURYCLES.

Voulez-vous tout savoir de ce lâche assassin ?

SCENE VI.

MEROPE, EURYCLÈS, ISMENIE, EROX,
GARDES de Polyphonte.

ÉROX.

MADAME, par ma voix, permettez que mon maître,
Trop dédaigné de vous, trop méconnu peut-être,
Dans ces cruels momeus vous offre son secours.
11 a su que d'Egisthe on a tranché les jours;
Et cette part qu'il prend aux malheurs de la reine...

MÉROPE.

Il y prend part, Erox, et je le crois sans peine ;
Il en jouit du moins, et les destins l'ont mis-
Au trône de Cresphonte, au trône de mon fils.
ÉROX.

Il vous offre ce trône ; agréez qu'il partage
De ce fils qui n'est plus le sanglant héritage,
Et dans vos malheurs il mette à vos genoux

que

Un front que la couronne a fait digne de vous.
Mais il faut dans mes mains remettre le coupable;
Le droit de le punir est un droit respectable :
C'est le devoir des rois; le glaive de Thémis,
Ce grand soutien du trône, à lui seul est commis,
A vous comme à son peuplé il veut rendre justice.
Le sang des assassins est le vrai sacrifice

Qui doit de votre hymen ensanglanter l'autel.

MÉROPE.

Non, je veux que ma main porte le coup mortel.
Si Polyphonte est roi, je veux que sa puissance
Laisse à mon désespoir le soin de ma vengeance.
Qu'il règne, qu'il possède et mes biens et mon rang;
Tout l'honneur que je veux, c'est de venger mon sang.
Ma main est à ce prix; allez, qu'il s'y prépare:
Je la retirerai du sein de ce barbare,

Pour la porter fumante aux autels de nos dieux.

ÉROX.

Le roi, n'en doutez point, va remplir tous vos vœux. Croyez qu'à, vos regrets son cœur sera sensible.

SCENE VII.

MEROPE, EURYCLES, ISMENIE.

MÉROPE.

NON, ne m'en croyez point; non, cet hymen horrible,
Cet hymen que je crains ne s'accomplira pas.
Au sein du meurtrier j'enfoncerai mon bras;
Mais ce bras à l'instant m'arrachera la vie.
EURYCLES.

Madame, au nom des dieux...

MÉROPE.

Ils m'ont trop poursuivie.

Irai-je à leurs autels, objet de leur courroux,

Quand ils m'ôtent un fils, demander un époux?
Joindre un sceptre étranger au sceptre de mes pères,
Et les flambeaux d'hymen aux flambeaux funéraires?
Moi vivre! moi lever mes regards éperdus

Vers ce ciel outragé que mon fils ne voit plus!
Sous un maître odieux, dévorant ma tristesse,
Attendre dans les pleurs une affreuse vieillesse !
Quand on a tout perdu, quand on n'a plus d'espoir,
La vie est un opprobre, et la mort un devoir.

FIN DU SECOND ACTE.

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