Images de page
PDF
ePub

A leurs greniers publics, immenses souterrains,
Où par eux en monceaux sont élevés ces grains,
Dont le père commun de tout tant que nous sommes,
Nourrit également les fourmis et les hommes:
Et tous nourris par lui, nous passons sans retour,
Tandis qu'une chenille est rappelée au jour.
De l'empire de l'air cet habitant volage

Qui porte à tant de fleurs son inconstant hommage,
Et leur ravit un suc qui n'étoit pas pour lui;
Chez ses frères rampans, qu'il méprise aujourd'hui,
Sur la terre autrefois traînant sa vie obscure,
Sembloit vouloir cacher sa honteuse figure.

Mais les temps sont changés, sa mort fut un sommeil.
On le vit plein de gloire à son brillant réveil,
Laissant dans le tombeau sa dépouille grossière,
Par un sublime essor voler vers la lumière.

O ver, à qui je dois mes nobles vêtemens,

De tes travaux si courts que les fruits sont charmans!
N'est-ce donc que pour moi que tu reçois la vie?
Ton ouvrage achevé, ta carrière est finie :

Tu laisses de ton àrt des héritiers nombreux,
Qui ne verront jamais leur père malheureux.
Je te plains, et j'ai dû parler de tes merveilles;
Mais ce n'est qu'à Virgile à chanter les abeilles.

Le roi pour qui sont faits tant de biens précieux,
L'homme élève un front noble, et regarde les cieux.
Ce front, vaste théâtre où l'âme se déploie,
Est tantôt éclairé des rayons de la joie,
Tantôt enveloppé du chagrin ténébreux.
L'Amitié tendre et vive y fait briller ces feux,
Qu'en vain veut imiter, dans son zèle perfide,
La Trahison que suit l'Envie au teint livide.
Un mot
y fait rougir la timide Pudeur.
Le Mépris y réside, ainsi que la Candeur,

Le modeste Respect, l'imprudente Colère,
La Crainte, et la Pâleur, sa compagne ordinaire
Qui, dans tous les périls funestes à mes jours,
Plus prompte que ma voix', appelle du secours.
A me servir aussi, cette voix empressée

[ocr errors]

2

Loin de moi, quand je veux va porter ma pensée;
Messagère de l'âme, interprète du cœur,
De la société je lui dois la douceur.

Quelle foule d'objets l'œil réunit ensemble!
Que de rayons épars ce cercle étroit rassemble!
Tout s'y peint tour à tour. Le mobile tableau
Frappe un nerf qui l'élève et le porte au cerveau.
D'innombrables filets, ciel! quel tissu fragile!
Cependant ma mémoire en a fait son asile,
Et tient dans un dépôt fidèle et précieux
Tout ce que m'ont appris mes oreilies, mes yeux :
Elle y peut à toute heure et remettre et reprendre ;
M'y garder mes trésors, exacte à me les rendre.
Là, ces esprits subtils, toujours prêts à partir,
Attendent le signal qui les doit avertir :
Mon âme les envoie, et, ministres dociles,
Je les sens répandus dans mes membres agiles:
A peine ai-je parlé qu'ils sont accourus tous.
Invisibles sujets, quel chemin prenez-vous?
Mais qui donne à mon sang cette ardeur salutaire ?
Sans mon ordre il nourrit ma chaleur nécessaire;
D'un mouvement égal il agite mon cœur :
Dans ce centre fécond il forme sa liqueur;
Il vient me réchauffer par sa rapide course;
Plus tranquille et plus froid il remonte à sa source,
Et toujours s'épuisant se ranime toujours.
Les portes des canaux destinés à son cours
Ouvrent à son entrée une libre carrière,
Prêtes, s'il reculoit, d'opposer leur barrière.

Ce sang pur s'est formé d'un grossier aliment,"
Changement que doit suivre un nouveau changement;
Il s'épaissit en chair dans mes chairs qu'il arrose,
En ma propre substance il se métamorphose.
Est-ce moi qui préside au maintien de ces lois ;
Et pour les établir ai-je donné ma voix?

Je les connois à peine. Une attentive adresse
Tous les jours m'en découvre et l'ordre et la sagesse.
De cet ordre secret reconnoissons l'auteur.

Fut-il jamais des lois sans un législateur?
Stupide impiété, quand pourras-tu comprendre
Que l'oeil est fait pour voir, l'oreille pour entendre?
Ces oreilles, ces yeux, celui qui les a faits
Est-il aveugle et sourd? Que d'ouvrages parfaits!
Que de riches présens t'annoncent sa puissance!
Où sont-ils ces objets de ma reconnoissance?
Est-ce un coteau riant? est-ce un riche vallon?
Hâtons-nous d'admirer. Le cruel aquilon.
Va rassembler sur nous son terrible cortége,
Et la foudre et la pluie, et la grêle et la neige.
L'homme a perdu ses biens, la terre ses beautés :
Et plus loin qu'offre-t-elle à nos yeux attristés?
Des antres, des volcans et des mers inutiles,
Des abîmes sans fin, des montagnes stériles,
Des ronces, des rochers, des sables, des déserts.
Jci de ses poisons elle infecte les airs;

Là rugit le lion, ou rampe la couleuvre.

De ce Dieu si puissant voilà donc le chef-d'œuvre?
Et tu crois, ô mortel, qu'à ton moindre soupçon,
Aux pieds du tribunal qu'érige ta raison,
Ton maître obéissant doit venir te répondre?
Accusateur aveugle, un mot va te confondre.
Tu n'aperçois encor que le coin du tableau :
Le reste t'est caché sous un épais rideau;

Et tu prétends déjà juger de tout l'ouvrage !
A ton profit, ingrat, je vois une main sage
Quí ramène ces maux dont tu te plains toujours.
Notre art des poisons même emprunte du secours.
Mais pourquoi ces rochers, ces vents et ces orages
?
Daigne apprendre de moi leurs secrets avantages,
Et ne consulte plus tes yeux souvent trompeurs.

La mer, dont le soleil attire les vapeurs,
Par ces eaux qu'elle perd voit une mer nouvelle
Se former, s'élever et s'étendre sur elle.
De nuages légers cet amas précieux,

Que dispersent au loin les vents officieux,
Tantôt, féconde pluie, arrose nos campagnes,
Tantôt retombe en neige, et blanchit nos montagnes.
Sur ces rocs sourcilleux, de frimas couronnés,
Réservoirs des trésors qui nous sont destinés,
Les flots de l'Océan apportés goutte à goutte
Réunissent leur force et s'ouvrent une route.
Jusqu'au fond de leur sein lentement répandus,
Dans leurs veines errans, à leurs pieds descendus,
On les en voit enfin sortir à pas timides,
D'abord foibles ruisseaux, bientôt fleuves rapides.
Des racines des monts qu'Annibal sut franchir,
Indolent Ferrarois, le Pô va t'enrichir.
Impétueux enfant de cette longue chaîne,

Le Rhône suit vers nous le penchant qui l'entraîne ;
Et son frère, emporté par un contraire choix,
Sorti du même sein, va chercher d'autres lois.
Mais enfin, terminant leurs courses vagabondes,
Leur antique séjour redemande leurs ondes :
Ils les rendent aux mers; le soleil les reprend :
Sur les monts, dans les champs, l'aquilon nous les rend.
Tel est de l'univers la constante harmonie.

De son empire heureux la discorde est bannie:

Tout conspire pour nous, les montagnes, les mers,
L'astre brillant du jour, les fiers tyrans des airs.
Puisse le même accord régner parmi les hommes !
Reconnoissons du moins celui par qui nous sommes,
Celui qui fait tout vivre et qui fait tout mouvoir.
S'il donne l'être à tout, l'a-t-il pu recevoir ?
Il précède les temps; qui dira sa naissance?

Par lui l'homme, le ciel, la terre, tout commence "
Et lui seul infini n'a jamais commencé.

Quelle main, quel pinceau dans mon âme a tracé D'un objet infini l'image incomparable?

Ce n'est point à mes sens que j'en suis redevable.
Mes yeux n'ont jamais vu que des objets bornés,
Impuissans, malheureux, à la mort destinés.
Moi-même je me place en ce rang déplorable,
Et ne puis me cacher mon malheur véritable;
Mais d'un être infini je me suis souvenu
Dès le premier instant que je me suis conny.
D'un maître souverain redoutant la puissance,
J'ai, malgré ma fierté, senti ma dépendance.
Qu'il est dur d'obéir et de s'humilier!

Notre orgueil cependant est contraint de plier.
Devant l'Etre éternel tous les peuples s'abaissent;
Toutes les nations en tremblant le confessent.
Quelle force invisible a soumis l'univers ?
L'homme a-t-il mis sa gloire à se forger des fers?
Oui, je trouve partout des respects unanimes,
Des temples, des autels, des prêtres, des victimes:
Le ciel reçut toujours nos vœux et notre encens.
Nous pouvons, je l'avoue, esclaves de nos sens,
De la divinité défigurer l'image.

A des dieux mugissans l'Egypte rend hommage;
Mais dans ce boeuf impur qu'elle daigne honorer,
C'est un dieu cependant qu'elle croit adorer.

« PrécédentContinuer »