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Qu'à Paris, au palais, l'honnête citoyen
Plaide pendant vingt ans pour un mur mitoyen;
Qu'au fond d'un diocèse un vieux prêtre gémisse
Quand un abbé de cour enlève un bénéfice;

Et que

dans le parterre un poëte envieux

Ait, en battant des mains, un feu noir dans les yeux; Tel est le cœur humain : mais l'ardeur insensée D'asservir ses voisins à sa propre pensée,

Comment la concevoir ? Pourquoi, par quel moyen Veux-tu que ton esprit soit la règle du mien?

Je hais surtout, je hais tout causeur incommode, Tous ces demi-savans gouvernés par la mode, Ces gens qui, pleins de feu, peut-être pleins d'esprit, Soutiendront contre vous ce que vous aurez dit. Un peu musiciens, philosophes, poëtes,

Et grands hommes d'état formés par les gazettes; Sachant tout, lisant tout, prompts à parler de tout, Et qui contrediroient Voltaire sur le goût,

Montesquieu sur les lois, de Brogli sur la guerre, Ou la jeune d'Egmont sur le talent de plaire. Voyez-les s'emporter sur les moindres sujets, Sans cesse répliquant sans répondre jamais : « Je ne céderois pas au prix d'une couronne... «Je sens... le sentiment ne consulte personne... <<< Et le roi seroit là... je verrois là le feu... << Messieurs, la vérité mise une fois en jeu, «Doit-il nous importer de plaire ou de déplaire ?... » C'est bien dit; mais pourquoi cette roideur austère? Hélas! c'est pour juger de quelques nouveaux airs, Ou des deux Poinsinet lequel fait mieux des vers. Auriez-vous par hasard connu feu monsieur d'Aube, Qu'une ardeur de dispute éveilloit avant l'aube? Contiez-vous un combat de votre régiment,

Il savoit mieux que vous où, contre qui, comment;

Vous seul en auriez eu toute la renommée,
N'importe, il vous citoit ses lettres de l'armée;
Et, Richelieu présent, il auroit raconté
Ou Gênes défendue, ou Mahon emporté.
D'ailleurs homme de sens, d'esprit et de mérite;
Mais son meilleur ami redoutoit sa visite.
L'un, bientôt rebuté d'une vaine clameur,
Gardoit en l'écoutant un silence d'humeur.
J'en ai vu, dans le feu d'une dispute aigrie,
Près de l'injurier, le quitter de furie,
Et, rejetant la porte à son double battant,
Ouvrir à leur colère un champ libre en sortant.
Ses neveux, qu'à sa suite attachoit l'espérance,
Avoient vu dérouter toute leur complaisance.
Un voisin asthmatique, en l'embrassant un soir,
Lui dit: Mon médecin me défend de vous voir.
Et, parmi cent vertus, cette unique foiblesse
Dans un triste abandon réduisit sa vieillesse.
Au sortir d'un sermon la fièvre le saisit,
Las d'avoir écouté sans avoir contredit;
Et tout près d'expirer, gardant son caractère,
Il faisoit disputer le prêtre et le notaire.

Que la bonté divine, arbitre de son sort,
Lui donne le repos que nous rendit sa mort!
Si du moins il s'est tû devant ce grand arbitre.

Un jeune bachelier, bientôt docteur en titre,
Doit, suivant une affiche, un tel jour, en tel lieu,
Répondre à tout venant sur l'essence de Dieu.
Venez-y, venez voir comme sur un théâtre
Une dispute en règle, un choc opiniâtre,
L'entimème serré, les dilemmes pressans,
Poignards à double lame, et frappant en deux seus
Et le grand syllogisme en forme régulière,
Et le sophisme vain de sa fausse lumière,

Des moines échauffés, vrai fléau de docteurs,
De pauvres hibernois complaisans disputeurs,
Qui, fuyant leur pays pour les saintes promesses,
Viennent vivre à Paris d'argumens et de messes;
Et l'honnête public qui, même écoutant bien,
A la saine raison de n'y comprendre rien.
Voilà donc les leçons qu'on prend dans vos écoles !
Mais tous les argumens sont-ils faux ou frivoles?
Socrate disputoit jusque dans les festins,
Et tout nu quelquefois argumentoit aux bains.
Etoit-ce dans un sage une folle manie ?
La contrariété fait sortir le génie.

La veine d'un caillou recèle un feu qui dort,
Image de ces gens, froids au premier abord,
Et qui dans la dispute, à chaque repartie,

Sont pleins d'une chaleur qu'on n'avoit point sentie.
C'est un bien, j'y consens; quant au mal, le voici :
Plus on a disputé, moins on s'est éclairci.
On ne redresse point l'esprit faux ni l'œil louche;
Ce mot j'ai tort, ce mot nous déchire la bouche.
Nos cris et nos efforts ne frappent que le vent;
Chacun dans son avis demeure comme avant :
C'est mêler seulement aux opinions vaines
Le tumulte insensé des passions humaines.
Le vrai peut quelquefois n'être point de saison,
Et c'est un très-grand tort que d'avoir trop raison.
Autrefois la justice et la vérité nues

Chez les premiers humains furent long-temps connues;
Elles régnoient en soeurs; mais on sait que depuis
L'une a fui dans le ciel, et l'autre dans un puits.
La vaine opinion règne sur tous les âges ;
Son temple est dans les airs porté sur les nuages;
Une foule de dieux, de démons, de lutins,

Sont au pied de son trône; et tenant dans leurs mains

Mille riens enfantés par un pouvoir magique,

Nous les montrent de loin sous des verres d'optique.
Autour d'eux nos vertus, nos biens, nos maux divers
Eu boules de savon sont épars dans les airs;
Et le souffle des vents y promène sans cesse
De climats en climats le temple et la déesse ;
Elle fuit et revient : elle place un mortel
Hier sur un bûcher, demain sur un autel.
Le jeune Antinoüs eut autrefois des prêtres.
Nous rions maintenant des mœurs de nos ancêtres;
Et qui rit de nos mœurs ne fait que prévenir
Ce qu'en doivent penser les siècles à venir.
Une beauté frappante et dont l'éclat étoune,
Les François la peindront sous les traits de Brionne,
Sans croire qu'autrefois un petit front serré,
Un front à cheveux d'or fut toujours adoré.
Ainsi l'opinion changeante et vagabonde
Soumet la beauté même, autre reine du monde.
Ainsi dans l'univers ses magiques effets

Des grands événemens sont les ressorts secrets.
Comment donc espérer qu'un jour aux pieds d'un sage
Nous la voyions tomber du haut de son nuage,
Et que la vérité, se montrant aussitôt,

Vienne au bord de son puits voir ce qu'on fait en haut?
Il est pour les savans et pour les sages même
Une autre illusion; cet esprit de système
Qui bâtit en rêvant des mondes enchantés,
Et fonde mille erreurs sur quelques vérités.
C'est par lui qu'égarés après de vaines ombres,
L'inventeur du calcul chercha Dieu dans les nombres;
L'auteur du mécanisme attacha follement

La liberté de l'homme aux lois du mouvement:
L'un du soleil éteint veut composer la terre ;

La terre,

dit un autre, est un globe de verre.

De là ces différens soutenus à grands cris,
Et sur un tas poudreux d'inutiles écrits,
La dispute s'assied dans l'asile du sage.

La contrariété tient souvent au langage;
On peut s'entendre moins formant un même son,
Que si l'un parloit basque, et l'autre bas-breton.
C'est là, qui le croiroit? un fléau redoutable;
Et la pâle famine, et la peste effroyable
N'égalent point les maux et les troubles divers
Que les malentendus sèment dans l'univers.

Peindrai-je des dévots les discordes funestes,
Les saints emportemens de ces âmes célestes,
Le fanatisme au meurtre excitant les humains,
Des poisons, des poignards, des flambeaux dans les mains,
Nos villages déserts, nos villes embrasées,

Sous nos foyers détruits nos mères écrasées ;
Dans nos temples sanglans, abandonnés du ciel,
Les ministres rivaux égorgés sur l'autel,
Tous les crimes unis, meurtre, inceste, pillage,
Les fureurs du plaisir se mêlant au carnage,
Sur des corps expirans d'infâmes ravisseurs
Dans leurs embrassemens reconnoissant leurs sœurs,
L'étranger dévorant le sein de ma patrie,
Et sous la piété déguisant sa furie,

Les pères conduisant leurs enfans aux bourreaux,
Et les vaincus toujours traînés aux échafauds?
Dieu puissant! permettez que ces temps déplorables
Un jour par nos neveux soient mis au rang des fables. -
Mais je vois s'avancer un fâcheux disputeur ;
Son air d'humilité couvre mal sa hauteur,
Et son austérité, pleine de l'Evangile,
Paroît offrir à Dieu le venin qu'il distille.

<< Monsieur, tout ceci cache un dangereux poison;
<< Personne, selon vous, n'a ni tort ni raison;

18e siècle.

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