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viez vous sauver, tous les hommes presque se sauveroient; puisque, à un petit nombre d'impies près qui se livrent à des excès monstrueux, tous les autres hommes ne font que ce que vous faites: or, que tous les hommes presque se sauvent, la foi nous défend de le croire, tandis que vous ne pourrez vous sauver si le grand nombre ne se sauve.

Voilà des vérités qui font trembler, et ce ne sont pas ici de ces vérités vagues qui se disent à tous les hommes, et que nul ne prend pour soi et ne se dit à soimême. Il n'est peut-être personne ici qui ne puisse dire de soi Je vis comme le grand nombre, comme ceux de mon rang, de mon âge, de mon état ; je suis perdu si je meurs dans cette voie. Or, quoi de plus propre à effrayer une âme à qui il reste encore quelque soin de son salut? Cependant c'est la multitude qui ne tremble point; il n'est qu'un petit nombre de justes qui opèrent à l'écart leur salut avec crainte; tout le reste est calme: on sait en général que le grand nombre se damne; mais on se flatte qu'après avoir vécu avec la multitude, on en sera discerné à la mort; chacun se met dans le cas d'une exception chimérique; chacun augure favorablement soi.

pour

Et c'est pour cela que je m'arrête à vous, mes Frères, qui êtes ici assemblés. Je ne parle plus du reste des hommes, je vous regarde comme si vous étiez seuls sur la terre et voici la pensée qui m'occupe et qui m'épouvante. Je suppose que c'est ici votre dernière heure et la fin de l'univers; que les cieux vont s'ouvrir sur vos têtes, Jésus-Christ paroître dans sa gloire au milieu de ce temple, et que vous n'y êtes assemblés que pour l'attendre, et comme des criminels tremblans à qui l'on va prononcer, ou une sentence de grâce, ou un arrêt de mort éternelle car vous avez 18e siècle. 26

beau vous flatter, vous mourrez tel que vous êtes aujourd'hui; tous ces désirs de changement qui vous amusent, vous amuseront jusqu'au lit de la mort; c'est l'expérience de tous les siècles; tout ce que vous trouverez alors en vous de nouveau sera peut-être un compte un peu plus grand que celui que vous auriez aujourd'hui à rendre ; et sur ce que vous seriez, si l'on venoit vous juger dans le moment, vous pouvez presque décider de ce qui vous arrivera au sortir de la vie.

Or, je vous demande, et je vous le demande frappé de terreur, ne séparant pas en ce point mon sort du vôtre, et me mettant dans la même disposition où je souhaite que vous entriez ; je vous demande donc : Si Jésus-Christ paroissoit dans ce temple, au milieu de cette assemblée, la plus auguste de l'univers, pour nous juger, pour faire le terrible discernement des boucs et des brebis, croyez-vous que le plus grand nombre de tout ce que nous sommes ici fût placé à la droite? croyez-vous que les choses du moins fussent égales? croyez-vous qu'il s'y trouvât seulement dix justes que le Seigneur ne put trouver autrefois en cinq villes tout entières? Je vous le demande, vous l'ignorez, je l'ignore moi-même; vous seul, ô mon Dieu! connoissez ceux qui vous appartiennent; mais si nous ne connoissons pas ceux qui lui appartiennent, nous savons du moins que les pécheurs ne lui appartiennent pas. Or, qui sont les fidèles ici assemblés? Les titres et les dignités ne doivent être comptés pour rien, vous en serez dépouillés devant Jésus-Christ: qui sont-ils ? beaucoup de pécheurs qui ne veulent pas se convertir, encore plus qui le voudroient, mais qui diffèrent leur conversion; plusieurs autres qui ne se convertissent jamais que pour retomber; enfin un grand nombre qui croyent n'avoir pas besoin de conversion : voilà le parti

des réprouvés. Retranchez ces quatre sortes de pécheurs de cette assemblée sainte, car ils en seront retranchés au grand jour. Paroissez maintenant, justes; où êtesvous? Restes d'Israël, passez à la droite; froment de Jésus-Christ, démêlez-vous de cette paille destinée au feu. O Dieu! où sont vos élus? Et que reste-t-il pour votre partage?

Mes Frères, notre perte est presque assurée, et nous n'y pensons pas. Quand même, dans cette terrible séparation qui se fera un jour, il ne devroit y avoir qu'un seul pécheur de cette assemblée du côté des réprouvés, et qu'une voix du ciel viendroit nous en assurer dans ce temple saus le désigner, qui de nous ne craindroit d'être le malheureux? Qui de nous ne retomberoit d'abord sur sa conscience pour examiner si ses crimes n'ont pas mérité ce châtiment? Qui de nous, saisi de frayeur, ne demanderoit pas à Jésus-Christ, comme autrefois les apôtres, Seigneur, ne seroit-ce pas moi? Numquid ego sum, Domine? Et si l'on laissoit quelque délai, qui ne se mettroit en état de détourner de lui cette infortune par les larmes et les gémissemens d'une sincère pénitence?

Sommes-nous sages, mes chers auditeurs? Peut-être que parmi tous ceux qui m'entendent, il ne se trouvera pas dix justes; peut-être s'en trouvera-t-il encore moins; que sais-je, ô mon Dieu ! je n'ose regarder d'un œil fixe les abîmes de vos jugemens et de votre justice; peut-être ne s'en trouvera-t-il qu'un seul, et ce danger ne vous touche point, mon cher auditeur? Et vous croyez être ce seul heureux dans le grand nombre qui périra? Vous qui avez moins sujet de le croire que tout autre; vous sur qui seul la sentence de mort devroit tomber, quand elle ne tomberoit que sur un seul des pécheurs qui m'écoutent.

Grand Dieu! que l'on connoît peu dans le monde. les terreurs de votre loi! Les justes de tous les siècles ont séché de frayeur en méditant la sévérité et la profondeur de vos jugemens sur la destinée des hommes : on a vu de saints solitaires, après une vie entière de pénitence, frappés de la vérité que je prêche, entrer au lit de la mort dans des terreurs qu'on ne pouvoit presque calmer, faire trembler d'effroi leur couche pauvre et austère, demander sans cesse d'une voix mourante à leurs frères: Croyez-vous que le Seigneur me fasse miséricorde? et être presque sur le point de tomber dans le désespoir, si votre présence, ô mon Dieu ! n'eût à l'instant apaisé l'orage, et commandé encore une fois aux vents et à la mer de se calmer: et aujour d'hui, après une vie commune, mondaine, sensuelle, profane, chacun meurt tranquille; et le ministre de Jésus-Christ, appelé, est obligé de nourrir la fausse paix du mourant, de ne lui parler que des trésors infinis des miséricordes divines, et de l'aider, pour ainsi dire, à se séduire lui-même. O Dieu ! que prépare donc aux enfans d'Adam la sévérité de votre justice? Mais que conclure de ces grandes vérités? Qu'il faut désespérer de son salut? A Dieu ne plaise! il n'y a que l'impie qui, pour se calmer sur ses désordres, tâche ici de conclure en secret que tous les hommes périront comme lui. Ce ne doit pas être là le fruit de ce discours; mais de vous détromper de cette erreur si universelle, qu'on peut faire ce que tous les autres font, et que l'usage est une voie sûre; mais de vous convaincre que, pour se sauver, il faut se distinguer des autres, être singulier, vivre à part au milieu du monde et ne pas ressembler à la foule.

Lorsque les Juifs, emmenés en servitude, furent sur le point de quitter la Judée et de partir pour Baby

lone, le prophète Jérémie, à qui le Seigneur avoit ordonné de ne pas abandonner Jérusalem, leur parla de la sorte. Enfans d'Israël, lorsque vous serez arrivés à Babylone, vous verrez les habitans de ce pays-là qui porteront sur leurs épaules des dieux d'or et d'argent; tout le peuple se prosternera devant eux pour les adorer; mais pour vous alors, loin de vous laisser entraîner à l'impiété de ces exemples, dites en secret: C'est vous seul, Seigneur, qu'il faut adorer: Te oportet adorari, Domine.

Souffrez que je finisse en vous adressant les mêmes paroles. Au sortir de ce temple et de cette autre sainte Sion, vous allez rentrer dans Babylone; vous allez revoir ces idoles d'or et d'argent devant lesquelles tous les hommes se prosternent; vous allez retrouver les vains objets des passions humaines, les biens, la gloire, les plaisirs qui sont les dieux de ce monde, et que presque tous les hommes adorent; vous verrez ces abus que tout le monde se permet, ces erreurs que l'usage autorise, ces désordres dont une coutume impie a presque fait des lois; alors, mon cher auditeur, si vous voulez être du petit nombre des vrais Israélites, dites dans le secret de votre cœur : C'est vous seul, ô mon Dieu ! qu'il faut adorer: Te oportet adorari, Domine. Je ne veux point avoir de part avec un peuple qui ne vous connoît pas; je n'aurai jamais d'autre loi que votre loi sainte. Les dieux que cette multitude insensée adore ne sont pas des dieux; ils sont l'ouvrage de la main des hommes ; ils périrout avec eux. Vous seul êtes l'immortel, ô mon Dieu! et vous seul méritez qu'on vous adore: Te oportet adorari, Domine. Les coutumes de Babylone n'ont rien de commun avec les saintes lois de Jérusalem ; je vous adorerai avec ce petit nombre d'enfans d'Abraham qui

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