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vive et si éclatante, qu'ils ne puissent s'empêcher de reconnoître à ce caractère auguste la présence de la vérité.

Qu'il ne se laisse pas éblouir par le succès passager de `cette vaine éloquence qui cherche à surprendre les suffrages par des grâces étudiées, et non à les mériter par les beautés solides d'un raisonnement victorieux : l'auditeur, flatté sans être convaincu, condamne le jugement de l'orateur dans le temps qu'il loue son imagi nation; et lui accordant à regret le triste éloge d'avoir su plaire sans avoir su persuader, il préfère sans hésiter une éloquence grossière et sauvage, mais convaincante et persuasive, à une politesse languissante, énervée, et qui ne laisse aucun aiguillon dans l'âme des auditeurs.

Celui qui aura bien connu la nature de l'esprit humain saura trouver un juste milieu entre ces deux extrémités. Instruit dans l'art difficile de montrer la vérité aux hommes, il sentira que, même pour leur plaire, il n'est pas de moyen plus sûr que de les convaincre; mais il saura ménager la superbe délicatesse de l'auditeur, qui veut être respecté dans le temps même qu'on l'instruit, et la vérité ne dédaignera pas d'emprunter dans sa bouche les ornemens de la parole. Il la dévoilera avec tant d'art que ses auditeurs croiront qu'il n'a fait que dissiper le nuage qui la cachoit à leurs yeux ; et ils joindront au plaisir de la découvrir celui de se flatter en secret qu'ils partagent avec l'orateur l'honneur de cette découverte.

Persuadé que, sans l'art du raisonnement, la rhétorique est un fard qui corrompt les beautés naturelles, le parfait orateur en épuisera toutes les sources, et il découvrira tous les canaux par lesquels la vérité pent entrer dans l'esprit de ceux qui l'écoutent; il ne négligera pas même ces sciences abstraites que le commun des hommes ne méprise que parce qu'il les ignore.

La connoissance de l'homme lui apprendra qu'elles sont comme les routes naturelles, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, les avenues de l'esprit humain. Mais attentif à ne pas confondre les moyens avec la fin, il ne s'y arrêtera pas trop long-temps; il se hâtera de les parcourir avec l'empressement d'un voyageur qui retourne dans sa patrie; on ne s'apercevra point de la sécheresse des pays par où il aura passé; il pensera comme un philosophe, et il parlera comme un orateur. Par un secret enchaînement de propositions également simples et évidentes, il conduira l'esprit de vérités en vérités sans jamais lasser ni partager son attention; et dans le temps même que ses auditeurs s'attendent encore à une longue suite de raisonuemens, ils seront surpris de voir que par un artifice innocent la simple méthode a servi de preuve, et que l'ordre seul a produit la conviction.

Mais ce sera peu pour lui de convaincre, il voudra persuader, et il découvrira d'abord dans l'étude du coeur humain les caractères différens de la conviction et de la persuasion.

Pour convaincre, il suffit de parler à l'esprit; pour persuader, il faut aller jusqu'au coeur. La conviction agit sur l'entendement, et la persuasion sur la volonté l'une fait connoître le bien; l'autre le fait aimer: la première n'emploie que la force du raisonnement; la dernière y ajoute la douceur du sentiment, et si l'une règne sur les pensées, l'autre étend son empire sur les actions mêmes.

Tous les coeurs sont capables de sentir et d'aimer; tous les esprits ne le sont pas de raisonner et de connoître. Pour apercevoir distinctement la vérité, il faut quelquefois autant de lumières que pour la découvrir aux autres. La preuve devient inutile si l'esprit de

celui qui l'écoute n'est pas capable de la comprendre ; et un grand orateur demande souvent un grand auditeur pour suivre le progrès de son raisonnement.

Mais pour régner par la force ou par la douceur du sentiment, il suffit de parler devant des hommes : leur amour-propre prête à l'orateur des armes pour les combattre; la première vertu est de connoître les défauts des autres; la sagesse consiste à découvrir leurs passions, et sa force à savoir profiter de leur foiblesse. C'est par là qu'il achève de surmonter les obstacles qui s'opposent au succès de son éloquence : les âmes les plus rebelles, ces esprits opiniâtres, sur lesquels la raison n'avoit point de prise, et qui résistoient à l'évidence même, se laissent entraîner par l'attrait de la persuasion. La passion triomphe de ceux que la raison n'avoit pu dompter; leur voix se mêle avec celle des génies d'un ordre supérieur : les uns suivent volontairement la lumière que l'orateur leur présente ; les autres sont enlevés par un charme secret dont ils éprouvent la force sans en connoître la cause : tous les esprits convaincus, tous les cœurs persuadés, paient également à l'orateur ce tribut d'amour et d'admiration, qui n'est dû qu'à celui que la connoissance de l'homme a élevé au plus haut degré de l'éloquence. Maîtres dans l'art de parler au coeur, ne craignez pas de manquer jamais de figures, d'ornemens et de tout ce qui compose cette innocente volupté, dont l'orateur doit être l'artisan.

Ceux qui n'apportent à la profession de l'éloquence qu'une connoissance imparfaite, pour ne pas dire une ignorance entière de la science des mœurs, peuvent craindre de tomber dans ce défaut; destitués du secours des choses, ils recherchent ambitieusement celui des expressions comme un voile magnifique à la faveur duquel ils espèrent de cacher la disette de leur esprit, 18e siècle.

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et de paroître dire beaucoup plus qu'ils ne pensent.

Mais ces mêmes paroles qui fuient ceux qui les cherchent uniquement, s'offrent en foule à un orateur qui s'est nourri pendant long-temps de la substance des choses mêmes. L'abondance des pensées produit celle des expressions; l'agréable se trouve dans l'utile, et les armes qui ne sont données au soldat que pour vaincre, deviennent son plus bel ornement.

Avouons néanmoins qu'il est une science de plaire différente de celle d'émouvoir les passions. L'orateur ne touche pas toujours : son sujet y résiste souvent; mais l'orateur doit toujours plaire, l'intérêt de sa cause le demande toujours.

Telle est la nature de l'esprit humain, qu'il veut que la raison même s'assujétisse à lui parler le langage de l'imagination. La vérité simple et négligée trouve peu d'adorateurs : le commun des hommes la méconnoît dans sa simplicité, ou la méprise dans sa négligence; leur entendement se fatigue en vain à tracer les premiers traits du tableau qui se peint dans leur âme, si l'imagination ne lui prête ses couleurs. L'ouvrage de l'entendement n'est souvent pour eux qu'une figure morte et inanimée : l'imagination lui donne la vie et le mouvement. La conception pure, quelque lumineuse qu'elle soit, fatigue l'attention de l'esprit : l'imagination le délasse, et revêtit tous les objets des qualités sensibles dans lesquelles il se repose agréablement.

Il s'élève presque toujours contre ceux qui osent prendre une route nouvelle et qui veulent aller à l'entendement sans passer par l'imagination. Accoutumé à ne recevoir les impressions de la vérité que quand elles sont accompagnées de ce plaisir secret qu'il prend pour un de ses caractères, il préfère souvent un mensonge agréable à une austère vérité, et son imagiuation, in

dignée du mépris de l'orateur qui s'est contenté de parler à l'intelligence, s'en venge souvent sur l'orateur même, et détruit en secret cette conviction qu'il se flattoit d'avoir su produire.

Que cette disposition est favorable aux orateurs, et qu'il est vrai de dire que c'est l'imagination qui a élevé l'empire de l'éloquence, et qui lui a soumis tous les hommes!

C'est par son moyen que l'orateur sait approcher si près de notre âme les images de tous les objets, qu'elle les prend pour les objets mêmes; elle substitue, pour ainsi dire, les choses aux paroles; ce n'est plus l'orateur, c'est la nature qui parle : l'imitation devient si parfaite qu'elle se cache elle-même ; et, par une espèce d'enchantement, ce n'est plus une description ingénieuse, c'est un objet véritable que l'auditeur croit voir, croit sentir et se peindre à lui-même.

Ces miracles de l'art sont des effets de ce pouvoir naturel que la connoissance de l'imagination donne à l'orateur sur l'imagination même. Il n'appartient qu'à lui de faire ce choix si difficile entre dés beautés différentes; de savoir quitter le bien pour prendre le mieux; d'enlever, pour ainsi dire, et de cueillir la première fleur des objets qu'il présente à l'esprit; et d'attraper dans la peinture qui se fait par la parole, ce jour, cette lumière, ce moment heureux que le grand peintre saisit, et que le peintre médiocre cherche inutilement après qu'il a passé.

Il possède le talent encore plus rare de connoître jusqu'où il faut aller, de savoir garder la modération dans le bien même, de ne passer jamais les bornes presque imperceptibles qui séparent ce qui convient de ce qui ne convient pas, et d'observer en tout l'exacte rigueur de la bienséance,

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