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386 LES PLAISIRS DE LA CAMPAGNE.

rare, mais il y aura plus d'adresse à le chercher et de plaisir à l'atteindre. Je me souviendrai des hattemens de cœur qu'éprouvoit mon père au vol de la première perdrix, et des transports de joie avec lesquels il trouvoit le lièvre qu'il avoit cherché tout le jour. Oui, je soutiens que, seul avec son chien, chargé de son fusil, de son carnier, de son fourniment, de sa petite proie, il revenoit le soir, rendu de fatigue et déchiré des ronces, plus content de sa jouruée que tous vos chasseurs de ruelle, qui, sur un bon cheval, suivis de vingt fusils chargés, ne font qu'en changer, tirer et tuer autour d'eux, sans art, sans gloire, et presque sans exercice.

LE NOYER DE LA TERRASSE.

O vous, lecteurs curieux de la grande histoire du noyer de la terrasse, écoutez-en l'horrible tragédie, et vous abstenez de frémir, si vous pouvez!

Il y avoit, hors de la cour, une terrasse à gauche en entrant, sur laquelle étoit un banc où l'on alloit souvent s'asseoir l'après-midi, mais qui n'avoit point d'ombre. Pour lui en donner, M. Lambercier y fit planter un noyer. La plantation de cet arbre se fit avec solennité. Les deux pensionnaires en fureut les parrains; et, tandis qu'on combloit le creux nous tenions l'arbre chacun d'une main avec des chants de triomphe.

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pour l'arroser, une espèce de bassin tout aupied. Chaque jour, ardens spectateurs de cet

arrosement, nous nous confirmions, mon cousin et moi, dans l'idée très-naturelle qu'il étoit plus beau de planter un arbre sur la terrasse qu'un drapeau sur la bièche, et nous résolûmes de nous procurer cette gloire sans la partager avec qui que ce fût.

Pour cela, nous allâmes couper une bouture d'un jeune saule, et nous la plantâmes sur la terrasse, à huit ou dix pieds de l'auguste noyer. Nous n'oubliâmes pas de faire aussi un creux autour de notre arbre : la difficulté étoit d'avoir de quoi le remplir, car l'eau venoit d'assez loin, et on ne nous laissoit pas courir pour en aller prendre. Cependant il en falloit absolument pour notre saule. Nous employâmes toutes sortes de ruses pour lui en fournir durant quelques jours, et cela nous réussit si bien que nous le vîmes bourgeonner et pousser de petites feuilles dont nous mesurions l'accroissement d'heure en heure, persuadés, quoiqu'il ne fût pas à un pied de terre, qu'il ne tarderoit pas à nous ombrager.

Comme notre arbre, nous occupant tout entier, nous rendoit incapables de toute application, de toute étude, que nous étions comme en délire, et que, ne sachant à qui nous en avions, on nous tenoit de plus court qu'auparavant, nous vîmes l'instant fatal où l'eau nous alloit manquer, et nous nous désolions dans l'attente de voir notre arbre périr de sécheresse. Enfin, la nécessité, mère de l'industrie, nous suggéra une invention pour garantir l'arbre et nous d'une mort certaine ce fut de faire, par dessous terre, une rigole qui conduisît secrètement au saule une partie de l'eau dont on arrosoit le noyer. Cette entreprise, exécutée avec ardeur, ne réussit pourtant pas d'abord. Nous avions si mal pris la pente que l'eau ne couloit point; la terre s'ébouloit et bouchoit la rigole; l'entrée se

remplissoit d'ordures, tout alloit de travers. Rien ne nous rebuta. Omnia vincit labor improbus. Nous creusâmes davantage et la terre et notre bassin pour donner à l'eau son écoulement; nous coupâmes des fonds de boîtes en petites planches étroites, dont les unes mises de plat à la file, et d'autres posées en angle des deux côtés sur celles-là, nous firent un canal triangulaire pour notre conduit. Nous plantâmes à l'entrée de petits bouts de bois très-minces et à claires voies, qui, faisant une espèce de grillage ou de crapaudine, retenoient le limon et les pierres sans boucher le passage à l'eau. Nous recouvrîmes soigneusement notre ouvrage de terre bien foulée; et le jour où tout fut fait, nous attendimes dans des transes d'espérance et de crainte l'heure de l'arrosement. Après des siècles d'attente cette heure vint eufin. M. Lambercier vint aussi à son ordinaire assister à l'opération, durant laquelle nous nous tenions tous deux derrière lui pour cacher notre arbre, auquel très-heureusement il tournoit le dos.

A peine achevoit-on de verser le premier seau d'eau, que nous commençâmes d'en voir couler dans notre bassin. A cet aspect, la prudence nous abandonna. Nous nous mîmes à pousser des cris de joie qui firent retourner M. Lambercier, et ce fut dommage, car il prenoit grand plaisir à voir combien la terre du noyer étoit bonne, et buvoit avidement son eau. Frappé de la voir se partager entre deux bassins, il s'écrie à son tour, regarde, aperçoit la friponnerie, se fait brusquement apporter une pioche, donne un coup, fait voler deux ou trois éclats de nos planches; et, criant à pleine tête, un aquéduc! un aquéduc! il frappe de toutes parts dcs coups impitoyables dont chacun portoit au milieu de nos coeurs. En un mo

ment, les planches, le conduit, le bassin, le saule, tout fut détruit, tout fut labouré, saus qu'il y eût, durant cette expédition terrible, aucun autre mot prononcé, sinon l'exclamation qu'il répétoit sans cesse: un aquéduc! s'écrioit-il en brisant tout, un aquéduc! un aquéduc!

LETTRE A UN JEUNE HOMME

Qui demandoit à s'établir à Montmorency, pour profiter de ses leçons.

Montmorency, 17 février 1758.

Vous ignorez, monsieur, que vous écrivez à un pauvre homme accablé de maux; et, de plus, fort occupé; qui n'est guère en état de vous répondre, et qui le seroit encore moins d'établir avec vous la société que vous lui proposez. Vous m'honorez en pensant que je pourrois vous être utile, et vous êtes louable du motif qui vous la fait désirer; mais sur le motif même, je ne vois rien de moins nécessaire que de venir vous établir à Montmorency. Vous n'avez pas besoin d'aller chercher si loin les principes de la morale rentrez dans votre cœur, et vous les y trouverez; et je ne pourrai vous rien dire à ce sujet que ne vous dise encore mieux votre conscience, quand vous voudrez la consulter. La vertu, monsieur, n'est pas une science qui s'apprenne avec tant d'appareil. Pour être vertueux

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il suffit de vouloir l'être; et, si vous avez bien cette volonté, tout est fait, votre bonheur est décidé. S'il m'appartenoit de vous donner des conseils, le premier que je voudrois vous donner seroit de ne point vous livrer à ce goût que vous dites avoir pour la vie contemplative, et qui n'est qu'une paresse de l'âme condamnable à tout âge, et surtout au nôtre. L'homme n'est point fait pour méditer, mais pour agir : la vie laborieuse que Dieu nous impose n'a rien que de doux au coeur de l'homme de bien qui s'y livre en vue de remplir son devoir; et la vigueur de la jeunesse ne vous a pas été donnée pour la perdre à d'oisives contemplations. Travaillez donc, monsieur, dans l'état où vous ont placé vos parens et la providence : voilà le premier précepte de la vertu que vous voulez suivre; et si le sejour de Paris, joint à l'emploi que vous remplissez, vons paroît d'un trop difficile alliage avec elle, faites mieux, monsieur, retournez dans votre province; allez vivre dans le sein de votre famille; servez; soignez vos vertuenx parens : c'est là que vous remplirez véritablement les soins que la vertu vous impose. Une vie dure est plus facile à supporter en province que la fortune à poursuivre à Paris, surtout quand on sait, comme vous ne l'ignorez pas, que les plus indignes manèges y font plus de fripons gueux que de parvenus. Vous ne devez point vous estimer malheureux de vivre comme fait monsieur votre père, et il n'y a point de sort que le travail, la vigilance, l'innocence et le contentement de soi ne rendent supportable quand on s'y bumet en vue de remplir son devoir. Voilà, monsieur, des conseils qui valent tous ceux que vous pourriez venir prendre à Montmorency: peut-être ne seront-ils pas de votre goût, et je crains que vous ne preniez pas le parti de les suivre ; mais je

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