Images de page
PDF
ePub

PENSÉES.

C'EST

un grand signe de médiocrité de louer toujours modérément.

Nous n'avons pas le droit de rendre misérables ceux que nous ne pouvons pas rendre bons.

C'est une preuve de petitesse d'esprit lorsqu'on distingue toujours ce qui est estimable de ce qui est aimable.

Ceux qui manquent de probité dans les plaisirs n'en ont qu'une feinte dans les affaires. C'est la marque d'un naturel féroce lorsque le plaisir ne rend point humain.

Les grands hommes entreprenuent les grandes choses parce qu'elles sont grandes, et les fous parce qu'ils les croyent faciles.

Les maximes des hommes décèlent leur cœur.

On dit peu de choses solides lorsqu'on cherche à en dire d'extraordinaires.

Les grandes pensées viennent du cœur.

Pour exécuter de grandes choses, il faut vivre comme si on ne devoit jamais mourir.

Le fruit du travail est le plus doux des plaisirs.

Ceux qui combattent les préjugés du peuple croient n'être pas peuple: un homme qui avoit fait à Rome un argument contre les poulets sacrés se regardoit peulêtre comme un philosophe.

La plus fausse de toutes les philosophies est celle qui, sous prétexte d'affranchir les hommes des embaras des passions, leur conseille l'oisiveté, l'abandon et l'oubli d'eux-mêmes.

Nous querellons les malheureux pour nous empêcher de les plaindre.

Ceux qui se moquent des penchans sérieux aiment sérieusement des bagatelles.

Il est faux que l'égalité soit une loi de la uature. La nature n'a rien fait d'égal. Sa loi souveraine est la su→ bordination et la dépendance.

La patience est l'art d'espérer.

Lorsqu'on ne veut rien perdre ni cacher de son esprit, on en diminue d'ordinaire la réputation.

Ce que nous appelons une pensée brillante n'est ordinairement qu'une expression captieuse, qui, à l'aide d'un peu de vérité, nous impose une erreur qui nous

étonne.

Pour savoir si une pensée est nouvelle, il n'y a qu'à l'exprimer bien simplement.

Un

peu de bon sens feroit évanouir beaucoup d'esprit. Il est peut-être plus utile dans les grandes places de savoir et de vouloir se servir de gens instruits que de l'être soi-même,

Les feux de l'aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire.

Les premiers jours du printemps ont moins de grâce que la vertu naissante d'un jeune homme.

Les regards affables ornent le visage des rois.

Le plus sage et le plus courageux de tous les hommes, M. de Turenne, a respecté la religion : et une infinité d'hommes obscurs se placent au rang des génies et des âmes fortes seulement à cause qu'ils la mé-prisent.

Toutes les fois que la littérature et l'esprit de raisonnement deviendront le partage de toute une nation, il arrivera, comme dans les états populaires, qu'il n'y aura point de puérilités et de sottises qui ne se produisent et ne trouvent des partisans.

L'amour paternel ne diffère pas de l'amour-propre. Un enfant ne subsiste que par ses parens, dépend d'eux, vient d'eux, leur doit tout.

Ainsi, un père ne sépare point l'idée d'un fils de la sienne, à moins que le fils n'affoiblisse cette idée de propriété par quelque contradiction; mais plus un père s'irrite de cette contradiction, plus il s'afflige, plus il prouve ce que je dis.

La pitié n'est qu'un sentiment mêlé de tristesse et d'amour ; je ne pense pas qu'elle ait besoin d'être excitée par un retour sur nous-mêmes, comme on le croit. Pourquoi la misère ne pourroit - elle faire sur nos cœurs ce que fait la vue d'une plaie sur nos seus? N'y a-t-il pas des choses qui affectent immédiatement l'esprit? L'impression des nouveautés ne prévient-elle pas toujours nos réflexions? Et notre âme est-elle incapable d'un sentiment désintéressé?

LA grandeur d'âme est un instinct élevé qui porte les hommes au grand, de quelque nature qu'il soit; mais qui les tourne au bien ou au mal, selon leurs passions, leurs lumières, leur éducation, leur fortune, etc.; égale à tout ce qu'il y a sur la terre de plus élevé, tantôt elle cherche à soumettre, par toutes sortes d'efforts ou d'artifices, les choses humaines à elle, et tantôt dédaignant ces choses, elle s'y soumet elle-même tant que sa soumission s'abaisse pleine de sa propre grandeur, elle s'y repose en secret, contente de se posséder. Qu'elle est belle quand la vertu dirige

tous ses mouvemens; mais qu'elle est dangereuse alors qu'elle se soustrait à la règle! Représentez-vous Catilina, au-dessus de tous les préjugés de sa naissance méditaut de changer la face de la terre et d'anéantir le nom romain concevez ce génie audacieux menaçant le monde du sein des plaisirs, et formant, d'une troupe de voluptueux et de voleurs, un corps redoutable aux armées et à la sagesse de Rome. Qu'un homine de ce caractère auroit porté loin la vertu s'il eût été tourné au bien! Mais les circonstances malheureuses le poussent au crime. Catilina étoit né avec un amour ardent pour les plaisirs, que la sévérité des lois aigrissoit et contraignoit. La dissipation et les débauches l'engagèrent peu-à-peu à des projets criminels : ruiné, décrié, traversé, il se trouva dans un état où il lui étoit moins facile de gouverner la républiqne que de la détruire; ne pouvant être le héros de la patrie, il en méditoit la conquête. Ainsi, les hommes sont souvent portés au crime par de fatales rencontres ou par leur situation; ainsi leur vertu dépend de leur fortune.. Que mauquoit-il à César que d'être né souverain? Il étoit bon, magnanime, généreux, bardi, clément; personne n'étoit plus capable de gouverner le monde et de le rendre heureux : s'il eût eu une fortune égale à son génie, sa vie auroit été sans tache; mais parce qu'il s'étoit placé lui-même sur le trône par la force, on a cru pouvoir le compter avec justice parmi les tyrans.

Cela fait sentir qu'il y a des vices qui n'excluent pas les grandes qualités, et par conséquent de grandes qualités qui s'éloignent de la vertu. Je reconnois celte vérité avec douleur. Il est triste que la bonté n'accompagne pas toujours la force, et que l'amour de la jus→ tice ne prévale pas nécessairement dans tous les hom

430

PENSÉES DE VAUVENARGUE.

mes et dans tout le cours de leur vie, sur tout autre amour. Mais non-seulement les grands hommes se laissent entraîner au vice, les vertueux mêmes se démentent et sont inconstans dans le bien. Cependant, ce qui est sain est sain, ce qui est fort est fort. Les inégalités de la vertu, les foiblesses qui l'accompagnent, les vices qui flétrissent les plus belles vies, ces défauts inséparables de notre nature, mêlée si manifestement de grandeur et de petitesse, n'en détruisent pas les perfections. Ceux qui veulent que les hommes soient tout bons ou tout méchans, absolument grands ou petits, ne connoissent pas la nature. Tout est mélangé dans les hommes, tout y est limité, et le vice même a ses bornes.

LES passions des hommes sont autant de chemins ouverts pour aller à eux.

Les grands hommes parlent comme la nature, plement.

sim

Les vues courtes multiplient les maximes et les lois, parce qu'on est d'autant plus enclin à prescrire des bornes à toutes choses qu'on a l'esprit moins étendu. Il y a des hommes qui vivent heureux sans le savoir. Les grandes places instruisent promptemeut les grands esprits.

La science des mœurs ne donne pas celle des hommes. Quelque service qu'on rende aux hommes, on ne leur fait jamais autant de bien qu'ils en croyent mé→ riter.

« PrécédentContinuer »