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sions parce qu'il n'en sait point. Un homme de la cour qui parleroit bassement me paroîtroit presque avoir le mérite d'un savant dans les langues étrangères. En effet, tous les talens dépendent des facultés naturelles, et surtout de l'exercice qu'on en fait. Le talent de la parole, ou plutôt de la conversation, doit donc se perfectionner à la cour plus que partout ailleurs, puisqu'on est destiné à y parler et réduit à n'y rien dire: ainsi les tours se multiplient et les idées se rétrécissent. Je n'ai pas besoin, je crois, d'avertir que je ne parle içi que des courtisaus oisifs à qui Versailles est nécessaire, et qui y sont inutiles.

Il résulte de ce que j'ai dit, que les gens d'esprit dé la cour, quand ils ont les qualités du coeur, sont les hommes dont le commerce est le plus aimable: mais de telles sociétés sont rares, Le jeu sert à soulager les gens du monde du pénible fardeau de leur existence, et les talens qu'ils appellent quelquefois à leur secours en cherchant le plaisir, prouvent le vide de leur âme et ne le remplissent pas. Ces remèdes sont inutiles à ceux que le goût, la confiance et la liberté réunissent.

Les gens du monde seroient sans doute fort surpris qu'on leur préférât souvent certaines sociétés bourgeoises où l'on trouve, sinon un plaisir délicat, du moins une joie contagieuse, souvent un peu de rudesse; mais on est trop heureux qu'il ne s'y glisse pas une demi-connoissance du monde qui ne seroit qu'un ridicule de plus encore ne se feroit-il pas sentir à ceux qui l'auroient : ils ont le bonheur de ne connoître de ridicule que ce qui blesse la raison ou les mœurs.

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A l'égard des sociétés, si l'on veut faire abstraction de quelque différence d'expression, on trouveia que la classe générale des gens du monde et la bourgeoisie opulente se ressemblent plus au fond qu'on ne le sup

pose; ce sont les mêmes tracasseries, le même vide, les mêmes misères. La petitesse dépend moins des objets que des hommes qui les envisagent. Quant au commerce habituel, en général, les gens du monde ne valent pas mieux, ne valent pas moins que la bourgeoise; celle-ci ne gagne ou ne perd guère à les imiter. A l'exception du bas peuple, qui n'a que des idées relatives à ses besoins, et qui en est ordinairement privé sur tout autre sujet, le reste des hommes est partout le même. La bonne compagnie est indépendante de l'état et du rang, et ne se trouve que parmi ceux qui pensent et qui sentent, qui ont les idées justes et les sentimens honnêtes.

LES HOMÉLIES DE L'ARCHEVÊQUE DE GRENADE.

(Extrait de Gil Blas, livre VII. )

UNE

NE des premières personnes que je rencontrai dans les rues de Grenade fut don Fernand de Leyva. Seigneur, lui dis-je, si quelqu'un de vos amis a besoin d'un secrétaire ou d'un intendant, je vous conjure de lui parler en ma faveur, j'ose vous assurer qu'il ne vous reprochera pas de lui' avoir donné un mauvais sujet. Très-volontiers, répondit-il, je ferai ce que vous souhaitez. Je demeure dans cette maison, poursuivit-il en me montrant un hôtel qui étoit à cent pas de nous venez me trouver dans quelques jours, je vous aurai peut être déjà déterré un poste convenable.

Effectisement, dès la première fois que nous nous revîmes, il me dit : Monsieur l'archevêque de Grenade, mon parent et mon ami, voudroit avoir un jeune homme qui eût de la littérature et une bonne main pour mettre au net ses écrits; car c'est un grand auteur. Il a composé je ne sais combien d'homélies, et il en fait encore tous les jours qu'il prononce avec applaudissemens. Comme je vous crois son fait, je vous ai proposé, et il m'a promis de vous prendre. Allez vous présenter à lui de ma part; vous jugerez, par la

réception qu'il vous fera, si je lui ai parlé de vous avantageusement.

La condition me sembla telle que je la pouvois désirer. Ainsi, m'étant préparé de mon mieux à paroître devant le prélat, je me rendis un matin à l'archevêché. Si j'imitois les faiseurs de romans, je ferois uue pompeuse description du palais épiscopal de Grenade; je m'étendrois sur la structure du bâtiment; je vanterois la richesse des meubles; je parlerois des statues et des tableaux qui y étoient; je ne ferois pas grâce au lecteur de la moindre des histoires qu'ils représentoient; mais je me contenterai de dire qu'il égaloit en magnificence le palais de nos rois.

Je trouvai dans les appartemens un peuple d'ecclésiastiques et de gens d'épée, dont la plupart étoient des officiers de monseigneur, ses aumôniers, ses gentilshommes, ses écuyers ou ses valets-de-chambre. Les laïques avoient presque tous des habits superbes : on les auroit plutôt pris pour des seigneurs que pour des domestiques. Ils étoient fiers, et faisoient les hommes de conséquence. Je ne pus m'empêcher de rire en les considérant, et de m'en moquer en moi-même. Parbleu, disois-je, ces gens-ci sont bien heureux de porter le joug de la servitude sans la sentir; car enfin, s'ils le sentoient; il me semble qu'ils auroient des manières moins orgueilleuses. Je m'adressai à un grave et gros personnage qui se tenoit à la porte du cabinet de l'archevêque, pour l'ouvrir et la fermer quand il le falloit. Je lui demandai civilement s'il n'y avoit pas moyen de parler à monseigneur. Attendez, me dit-il d'un air sec; sa grandeur va sortir pour aller entendre la messe, elle vous donnera en passant un moment d'audience. Je ne répondis pas un mot. Je m'armai de patience, et je m'avisai de vouloir lier conversation avec quelques

uns des officiers; mais ils commencèrent à m'examiner depuis les pieds jusqu'à la tête, sans daigner me dire une syllabe. Après quoi ils se regardèrent les uns les autres, en souriant avec orgueil de la liberté vois prise de me mêler à leur entretien.

que j'a

Je demeurai, je l'avoue, tout déconcerté de me voir traiter ainsi par des valets. Je n'étois pas encore bien remis de ma confusion quand la porte du cabinet s'ouvrit L'archevêque parut. Il se fit aussitôt un profond silence parmi ses officiers, qui quittèrent tout à coup leur maintien insolent pour en prendre un respectueux devant leur maître. Ce prélat étoit dans sa soixante-neuvième année, fait à peu près comme mon oncle le chanoine Gil Perez, c'est-à-dire gros et court. Il avoit, par dessus le marché, les jambes fort tournées en dedans; et il étoit si chauve qu'il ne lui restoit qu'un toupet de cheveux par derrière, ce qu l'obligeoit d'emboîter sa tête dans un bonnet de laine fine à longues oreilles. Malgré tout cela, je lui trouvois l'air d'un homme de qualité, sans doute parce que je savois qu'il en étoit un. Nous autres personnes du commun, nous regardons les grands seigneurs avec une prévention qui leur prête souvent un air de grandeur que la nature leur a refusé.

L'archevêque s'avança vers moi d'abord, et me demanda, d'un ton de voix plein de douceur, ce que je souhaitois. Je lui dis que j'étois le jeune homme dont le seigneur don Fernand de Leyva lui avoit parlé. Il ne me donna pas le temps de lui en dire davantage. Ah! c'est vous, s'écria-t-il, c'est vous dont il m'a fait un si bel éloge je vous retiens à mon service. Vous êtes une bonne acquisition pour moi vous n'avez qu'à demcurer ici. A ces mots, il s'appuya sur deux écuyers, et sortit après avoir écouté des ecclésiastiques qui

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