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vertu, pour commettre sa personne à de tels amis, à des esclaves! Ces confidents, ces nouveaux citoyens l'admirent et forment sa cour; s'il reste de vrais citoyens, ce n'est que pour le haïr et l'éviter.

En vérité la tragédie est une belle invention, et Euripide un auteur bien moral. Quelle sentence profonde il a renfermée dans ce vers sur un tyran :

I apprend la sagesse en écoutant les sages.

Des sages composent sans doute la cour d'un usurpateur! Mais Euripide et les poëtes du théâtre divinisent en quelque sorte la tyrannie et d'autres. fléaux de l'humanité. La muse qui les inspire nous pardonnera donc si, dans notre République, et dans celles qui adopteront nos maximes, on ne reçoit pas les chantres des tyrans. Qu'ils aillent parcourir d'autres États, et qu'au milieu du peuple assemblé, ils arment

de la persuasion les plus belles voix de leurs acteurs mercenaires, pour mettre à la place de tous les gouvernements les tyrans, les démagogues. Chez eux, surtout chez les premiers, ils seront comblés de présents et d'honneurs; mais plus ils voudront s'engager dans la route escarpée qui mène aux vraies républiques, plus leur gloire, affaiblie, haletante, s'épuisera en vains efforts pour y atteindre.

Et cette garde du tyran, ce brillant essaim, ces nombreux satellites sans cesse renouvelés, comment fera-t-il pour les nourrir? Doutez-vous qu'il ne saisisse d'abord les biens religieux ? Tant que les produits de la vente subviendront aux besoins, de moindres impôts chargeront le peuple. Mais ensuite, quelle ressource? Il vivra sur les biens paternels, lui, ses convives, ses favoris, ses maîtresses. Et j'entends

par biens paternels ceux du peuple, qui est en effet son père. Le peuple indigné s'écriera peut-être : « N'estil pas plus juste qu'un fils comme lui nourrisse son père, et l'ai-je tiré du néant, l'ai-je élevé si haut, pour me voir, dès qu'il serait grand, l'esclave de mes esclaves, pour le nourrir lui, ses valets et son cortége? Je voulais, malgré les riches et ceux qu'on nomme ici les bons citoyens, être libre par sa puissance maintenant, qu'il sorte avec ses amis; c'est un père qui chasse un fils de chez lui avec ses compagnons de plaisirs. » Mais le peuple verra quel monstre il avait formé, nourri, réchauffé dans son sein; il verra sa propre faiblesse, et toute la force de son ennemi. Le tyran ne craindra pas de l'outrager, de le frapper même, s'il est indocile le peuple est désarmé.

Le tyran est donc un fils ingrat, un parricide; voilà l'image de la tyrannie triomphante. Le peuple, en voulant éviter, comme on dit, la fumée de la dépendance entre gens libres, tombe dans le brasier d'un honteux despotisme; et à son excessive et folle liberté succède le plus dur et le plus amer esclavage, qui le soumet à des esclaves.

RÉPUBLIQUE, LIV. VIII.

PORTRAIT DU TYRAN.

L'amour est un tyran, comme on l'a dit; l'homme dans l'ivresse veut aussi dominer; la démence, la frénésie ose commander aux mortels et aux dieux, qu'elle croit soumettre à son empire: ainsi, quand le ciel condamne un mal

heureux à la tyrannie, il faut, pour que rien ne manque à sa destinée, que la nature ou l'éducation, ou l'une et l'autre ensemble, l'aient rempli tout entier de passion, d'ivresse et de fu

reur.

D'abord il perd sa jeunesse dans les fètes, les banquets, les jeux et les plaisirs, n'écoutant que les appétits fougueux qu'il nourrit au fond de son cœur, et qui en maîtrisent toutes les facultés. Jour et nuit, de nouveaux desirs naissent en lui-même, toujours impérieux, toujours insatiables. Et bientôt, s'il est riche, ses trésors sont épuisés; il fait des emprunts, il consomme sa ruine. Privé de tout, il n'en est que plus tourmenté par les cris de tant de passions qui ne cessent d'éclore; leur aiguillon le presse et l'irrite; l'amour surtout, à la tête de ces monstres indomptables qui forment.

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