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à ces riches propriétaires, qui donnent des ordres souverains à la foule innombrable de leurs esclaves? la seule différence, c'est que le despote en a davantage. Ces maîtres vivent pourtant sans terreur au milieu de l'immense troupeau qu'ils gouvernent, et ils ont raison de ne pas craindre : l'État veille pour chacun de ses membres. Mais qu'un dieu transporte un de ces riches citadins avec sa femme, ses enfants et ses richesses dans une solitude lointaine, où, sans espoir d'être secouru par des hommes libres, il n'ait plus que cette multitude d'esclaves auprès de lui; combien ne vat-il pas trembler d'être immolé par eux, lui, sa femme et ses enfants? Le voilà donc forcé d'en flatter plusieurs, de les gagner par de brillantes promesses, de les affranchir malgré lui : le maître embrasse les genoux de ses

esclaves; il faut les flatter ou mourir. Que sera-ce enfin, si le dieu rassemble dans le même désert un essaim nombreux de partisans de l'indépendance, irrités qu'un homme veuille commander à d'autres, et prêts à punir de mort l'ennemi de la liberté publique? Alors plus d'espérance, la mort s'offre à lui de toutes parts.

Telle est la prison où le tyran, dont vous savez le caractère, est dévoré de passions et de terreurs. Malgré l'avidité de ses desirs curieux, il ne peut rompre ses chaînes ; la ville est fermée pour lui scul; il ne verra jamais ce que veut voir tout homme libre, et sans cesse caché dans son palais comme une femme, il envie à ses sujets jusqu'à leur plaisir de voyager.

Un autre supplice toujours renaissant est réservé à ce malheureux, trop faible pour maîtriser son ame tyran

nique, et que son mauvais génie force d'être souverain: esclave de luimême, il a pris l'engagement de commander aux autres. N'est-ce pas le sort déplorable d'un homme malade. et languissant, qui, au lieu de vivre solitaire et tranquille, serait contraint de passer sa vie, comme un athlète, à livrer sans cesse de nouveaux combats? Le tyran n'est pas moins à plaindre, et déja malheureux par son caractère, il l'est encore plus par sa Couronne. Véritablement esclave, .quoi qu'en dise le vulgaire, mais le plus infortuné, le plus vil des esclaves; flatteur de tous les méchants; incapable de satisfaire jamais ses vœux, et toujours mécontent, toujours pauvre, si l'on pense à tous les besoins de son cœur; condamné à vieillir, comme un État despotique, dans les inquié– tudes, les angoisses et les larmes ; il

fait de plus en plus régner avec lui l'envie, l'injustice, la trahison; il n'a pas un ami, pas une vertu, et son ame n'accueille et ne nourrit que les

crimes.

C'est ainsi que le tyran est le plus malheureux des hommes, qui sont tous malheureux autour de lui.

RÉPUBLIQUE, LIV. IX.

CONSEILS DE PLATON

AUX SYRACUSAINS.

Soyez heureux. Mais comment pourrez-vous répondre au souhait le plus cher de mon cœur ? je vais essayer de vous l'apprendre. Puissent mes conseils être utiles et à tous les Syracusains et même à leurs ennemis ! Le sacrilége seul n'a plus de droit au

bonheur : il a perdu l'espérance, et ses crimes sont inexpiables. Vous, écoutez-moi.

Depuis la chute de la tyrannie, la Sicile entière est divisée : les uns voudraient reprendre le pouvoir absolu; les autres, en être délivrés pour toujours. En ces temps de discorde, chaque parti n'approuve que ce qui doit faire le plus de mal au parti contraire et le plus de bien à sa faction, comme si l'on pouvait ici faire beaucoup de mal aux autres sans en souffrir beaucoup soi-même. Vous n'avez pas besoin d'exemples étrangers; votre Sicile, déchirée par ceux qui veulent nuire et par ceux qui veulent se défendre, donne à tous les peuples une éclatante leçon: ses malheurs ont dû l'instruire.

Mais faire du bien ou le moins de mal possible à tous les partis, est un art plus difficile à trouver; et si on le

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