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vertus par la vigilance de Chiron, ait nourri dans son cœur des passions désordonnées, et surtout deux vices contradictoires, un vil amour du gain, et un mépris superbe des dieux et des hommes.

Ne laissons pas croire que Thésée fils de Neptune, et Pirithoüs fils de Jupiter, aient jamais entrepris des enlèvements sacriléges, ni que les enfants des dieux et les héros se soient couverts de toutes les horreurs qu'on leur prête aujourd'hui. Que dis-je? forçons les poëtes de n'en plus faire des scélérats, ou de ne plus les nommer fils des dieux. Qu'ils choisissent; mais qu'ils n'essaient pas de persuader à la jeunesse que les dieux font le mal, et que les héros ne valent pas mieux que les hommes. Il n'y a dans ces fables ni religion ni vérité; car il est impossible que les dieux envoient le

mal sur la terre. Cette audace perdrait l'État : quel monstre, en effet, ne se pardonnera ses crimes, quand il pourra se comparer à ces enfants des dieux, à ces hommes nés près de Jupiter

Dont, au sommet d'Ida, s'élèvent les autels,

et qui peuvent dire:

Une céleste flamme en mes veines circule.

Ah! que les Muses n'enfantent point chez nous de ces fictions, de peur que nos jeunes gens ne rougissent plus d'être coupables....

Et si jamais un homme, habile à se métamorphoser lui-même pour imiter toutes choses, venait dans notre République et voulait nous faire entendre ses poëmes, nous rendrions hommage à son génie sacré, admirable, enchanteur; mais notre ville, lui dirionsnous, ne produit pas de si grands hommes, et nos lois les en excluent;

partez, d'autres peuples vous attendent. Alors nous répandrions des parfums sur sa tête, et il s'en irait avec sa couronne. Mais nous garderions le poëte austère et grave qui, plus utile pour les mœurs, n'imiterait que le langage de la vertu, et, dans les exemples qu'il offrirait aux jeunes guerriers, ne contredirait pas nos institutions et nos lois.

RÉPUBLIQUE, LIV. III,

PUNITION DES SACRILEGES,

DES CONSPIRATEURS, DES PARRICIDES.

Il semble que ce soit une honte d'avoir à fixer les délits, les peines, les tribunaux, dans un État que nous avons représenté comme l'asile de la sagesse, comme la société où il coûte

le moins d'être vertueux. Quoi ! supposer qu'il puisse naître ici quelqu'un de ces grands coupables qui, chez les autres peuples, forcent le législateur de prévoir et de menacer! s'imaginer qu'il faille ici des lois prohibitives, des lois pénales, comme s'il devait y avoir des crimes quel déshonneur pour nos institutions! Hélas! les temps ne sont plus où les précepteurs du monde s'adressaient à des héros, fils des dieux; où, descendus eux-mêmes des immortels, ils gouvernaient, dit-on, des peuples d'une céleste origine faibles hommes, nous écrivons nos lois pour les enfants des hommes. Qu'on nous laisse donc préparer un frein à ces mortels indomptables, dont le caractère endurci, comme certaines plantes que le feu ne peut amollir, résiste à l'action des plus puissantes lois.

I. Voilà ceux qui provoquent une

loi contre les sacriléges, loi déplorable, mais qui oppose à l'audace une salutaire leçon.

Ce n'est pas que nous puissions vouloir ou craindre que des citoyens, élevés suivant notre règle, soient jamais frappés de cet égarement; mais leurs esclaves, les esclaves des étrangers et les étrangers mêmes y seront-ils toujours inaccessibles? C'est surtout cette raison, c'est aussi l'idée effrayante de notre faible nature, qui, sur la profanation des choses saintes, et sur les autres maladies incurables de l'espèce humaine, m'inspirent la menace des lois. Je commence par un de ces courts préambules dont j'ai prouvé l'utilité ; je m'adresse à l'homme qu'un fatal démon tourmente le jour, éveille la nuit, pour l'entraîner vers les trésors d'un temple, et je lui parle comme un ami qui veut le sauver :

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