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les trois à leur tour le fuseau de leur mère Clotho, de la main droite, en touche l'extérieur par intervalles ; Atropos, de la gauche, en presse les cercles intérieurs; et Lachésis, avec les deux mains, le fait mouvoir tout entier.

A peine arrivés, il fallut nous présenter devant Lachésis. D'abord un hierophante nous range autour d'elle; ensuite il prend sur les genoux de la Parque les sorts qu'elle lui donne, les destinées de l'autre vie, et nous parle ainsi du haut d'un tribunal : Ecoutez les paroles de Lachésis, fille de la Nécessité. Ames nées d'hier, principes d'un autre monde qui doit mourir et qui meurt, on ne vous assignera pas votre Génie, c'est vous qui le choisirez vous-mêmes. O toi qui vas recevoir le premier sort, fais le premier ce choix irrévocable. La vertu n'est à

personne; et selon qu'on la desire ou qu'on la néglige, elle donne ou garde ses faveurs. Viens, mais n'accuse que toi, n'accuse point ton Dieu. Il dit, et répand les sorts au milieu de nous : chacun saisit le sien, excepté moi; la voix sacrée me l'avait défendu. Mais l'ordre des autres fut réglé.

Le ministre étala ensuite devant nos yeux toutes les destinées de la vie, en plus grand nombre que nous n'étions. Il y avait mille existences différentes pour les hommes et tous les êtres qui respirent. On distinguait des tyrannies perpétuelles, et de ces tyrannies d'un moment, qui finissent par l'indigence, l'exil et l'abandon. L'illustration se montrait sous plusieurs faces; on pouvait choisir la beauté, l'art de plaire, les combats, la victoire, ou la naissance et de nobles ancêtres. Les femmes ont aussi leur par

tage, mais le rang particulier des ames n'est pas encore fixé, parcequ'il doit changer suivant leurs vœux. Des mélanges de richesse et de pauvreté, de santé et de maladie, enfin les états intermédiaires étaient offerts à leur choix.

Voilà donc le moment fatal! Que chacun de nous y songe, et qu'il laisse toutes les vaines études, qu'il ne se livre qu'à la science qui fait le sort de l'homme. Cherchons un maître qui nous apprenne à discerner la bonne et la mauvaise destinée, et à choisir tout le bien que le ciel nous abandonne. Examinons avec lui quelles situations humaines, séparées ou réunies, conduisent aux bonnes actions; si la beauté, par exemple, jointe à la pauvreté ou à la richesse, ou à telle disposition de l'ame, doit produire la vertu ou le vice; de quel avantage

peuvent être une naissance brillante ou commune, la vie privée ou publique, la force ou la faiblesse, l'instruction ou l'ignorance, enfin tout ce que l'homme reçoit de la nature, et tout ce qu'il tient de lui-même. Éclairés par la conscience, décidons. quel lot notre ame doit préférer. Oui, le pire des destins est celui qui la rendrait injuste, et le meilleur, celui qui la formera sans cesse à la vertu ; tout le reste n'est rien pour nous. Irionsnous oublier qu'il n'y a point de choix plus salutaire après la mort comme pendant la vie? Ah! que ce dogme sacré s'identifie pour jamais avec notre ame, qu'il nous suive dans un autre monde, qu'il nous y conserve inaccessibles à l'admiration du vulgaire pour les richesses et les autres misères de l'homme et, comme nous ne ferons jamais servir la tyrannie et

les crimes aux tourments de nos semblables, nous ne souffrirons pas nousmêmes encore plus; et nous saurons, en choisissant un sage milieu, rassembler contre les excès toutes nos forces morales, soit dans le temps, soit dans l'éternité; et nous trouverons ainsi le bonheur.

L'hiérophante, continua le messager du monde invisible, prononçait encore ces paroles Qui que tu sois qui choisiras le dernier, pour peu que la sagesse règle ton choix et ta vie, ne crains pas un partage inégal. Loin du premier l'erreur funeste; mais loin de toi le désespoir.

Alors celui que le sort nommait le premier se hâta de saisir la destinée. du tyran le plus absolu son ignorance, son avidité l'empêchèrent de tout apercevoir d'un coup d'œil, et en se jetant sur sa proie, il ne vit pas

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